S’il y a des mots qui ont fait beaucoup parler dans la saga, ce sont bien ceux de la prophétie faite à Cersei par Maggy la Grenouille. Et parmi tous ces mots, il y en a encore un qui s’est toujours démarqué, le mystérieux valonqar. Ainsi, le but du présent décryptage n’est pas tant de discuter l’ensemble des paroles qui hantent les nuits de la reine Lannister que de vous livrer une analyse sur ce terme si détonnant.
« Et lorsque tes larmes t’auront noyée, les mains du valonqar se resserreront autour de ta gorge blanche et te feront exhaler ton dernier souffle de vie. »
Illustration de tête : Peter Mckinstry
↑Un candidat tout désigné
A priori, le seul valonqar possible est Tyrion car ce terme signifie en effet petit frère et Cersei n’en a qu’un, Tyrion. Cersei en est d’ailleurs tellement convaincue qu’elle en rêve la nuit :
Les mains du valonqar se resserreront autour de ta gorge, entendit la reine, mais la voix n’était pas celle de la vieille femme. Les mains émergèrent des brumes de son rêve et se reployèrent sur son cou ; des mains épaisses et vigoureuses. Au-dessus d’elles flottait sa figure, dont les yeux dépareillés la lorgnaient sournoisement. Non ! tenta de hurler la reine, mais les doigts du nain s’enfouirent si profondément dans sa chair qu’ils étranglèrent ses protestations.
Elle avait, alors plus jeune, posé la question de la signification de ce mot à sa septa. Elle nous l’apprend quand elle en demande confirmation à Taena Merryweather.
« Le valonqar, c’est Tyrion, dit-elle. Est-ce que vous utilisez ce terme, à Myr ? En haut valyrien, il signifie petit frère. » Elle avait questionné Septa Saranella sur ce point précis, après la noyade de Melara.
Taena s’empara de sa main et la caressa. « C’était une femme haineuse, vieille et malade et laide.
D’autres sont du même avis, tel cet aventurier de Tyrosh qui lui amène une tête difforme dans l’espoir de toucher la prime promise pour celui qui lui livrerait le Lutin:
« Votre Grâce, murmura le Tyroshi en s’inclinant bien bas, je constate que vous êtes aussi adorable que dans les contes. Même au-delà du détroit, nous avons entendu parler de votre splendeur insigne et du chagrin qui déchire votre noble cœur. Nul être au monde n’est capable de vous rendre votre brave jouvenceau de fils, mais mon espoir est de pouvoir au moins vous offrir de quoi adoucir votre peine. » Il posa sa main sur le coffret. « Je vous apporte la justice. Je vous apporte la tête de votre valonqar. »
Tyrion ne fait rien pour détromper ni sa sœur, ni le lecteur, puisqu’il rêve lui aussi de la tuer. Cependant, le lecteur averti sait que, quand un personnage, et à plus forte raison Cersei, est convaincu de quelque chose, il y a de bonnes raisons de douter. Et en observant bien les citations ci-dessus, on constate que le contexte a fortement influencé les intervenants quand ils désignent Tyrion. La septa et le Tyroshi, qui ne connaissent pas la prophétie, ne peuvent guère songer qu’au Lutin. Taena, qui elle a la version intégrale de l’histoire, est incitée par la reine à confirmer qu’il s’agit bien de la bonne traduction. Or, elle élude quelque peu la question. Et si Cersei avait raté quelque chose ?
↑Langue commune et haut valyrien
Valonqar est un des très rares mots de haut valyrien prononcés dans la saga. C’est simple, ils ne sont que cinq : dracarys (« feu-dragon »), valar dohaerys (« Tous les hommes doivent servir »), valar morghulis (« Tout homme doit mourir ») et donc valonqar. On pourrait encore y ajouter Selaesori Qoran (« L’intendant parfumé »), qui est du volantain, un dialecte dérivé du valyrien. La série a également engagé un linguiste qui a inventé de nombreux autres termes, mais ceux-ci n’existaient pas dans la tête de George R.R. Martin au moment de l’écriture de la saga, nous allons donc les laisser de côté.
Que Maggy la Grenouille utilise un mot dans une langue étrangère très peu connue à Westeros n’est donc pas vraiment anodin. On devine assez rapidement qu’elle semble être une maegi venue d’Essos et pratiquant la sang-magie et la divination dans la riche cité de Port-Lannis. Sa langue maternelle n’est donc probablement pas la langue commune de Westeros, c’est-à-dire l’anglais ou le français pour le lecteur. Pour autant, Maggy semble couramment pratiquer cette langue commune, le reste de ses propos étant tout à fait clairs. Mais entre des jumeaux incestueux et un nain, Maggy a sans doute hésité. Songez à la difficulté que peuvent éprouver les non-francophones entre un petit frère et un frère petit, ajoutez demi-frère, beau-frère, frère de lait, frère de sang… Même certaines personnes de langue maternelle française peinent entre le cadet et le benjamin. Si elle a éprouvé le besoin de revenir au haut valyrien, c’est possiblement que cette langue est plus à même de transmettre une nuance intraduisible.
↑Un petit Lannister peut en cacher un autre
Un échange entre Eddard et Cersei nous apprend que celle-ci a un autre frère né après elle, Jaime, qui est venu au monde en lui tenant le pied.
Jaime et moi sommes d’ailleurs plus que frère et sœur. Nous ne formons qu’un seul être en deux corps. Dès le sein, nous partagions tout. Au dire de notre vieux mestre, Jaime tenait mon pied quand il vint au monde. Quand il est en moi, je me sens… entière.
Ainsi, la nuance qui a fait hésiter Maggy pourrait bien être l’ordre de naissance particulier des deux jumeaux. Mais on peut encore aller chercher plus loin, car la réponse est sans doute également sous notre nez dans ce que dit Cersei. Quelque chose que ni septa Saranella ni un Tyroshi en pleine audience n’auraient pu relever, quelque chose que Taena ne peut jeter à la figure de la reine… Les Valyriens pratiquaient l’inceste entre frère et sœur, tout comme les jumeaux. C’était même une pratique couramment acceptée. De là à penser qu’ils avaient un terme spécifique pour désigner un frère et une sœur destinés à s’unir et qu’il s’agit de valonqar, il n’y a qu’un pas.
On pourrait rétorquer que, contrairement à son frère, Jaime n’a jamais exprimé l’envie de tuer sa sœur, bien au contraire. Mais il s’éloigne d’elle dans ADWD, et il n’est pas impossible d’imaginer un scénario l’obligeant à mettre un terme aux souffrances ou à la folie de sa sœur. D’ailleurs, les deux jumeaux, chacun de leur côté, sont persuadés qu’ils mourront ensemble.
Je ne saurais mourir tant qu’elle est en vie, se dit-il. Nous mourrons ensemble, comme ensemble nous sommes nés.
Nous quitterons ce monde ensemble, comme nous y sommes jadis entrés. « Il ne perdra pas. Pas Jaime. Pas alors qu’il y va de mon existence. »
↑Le garçon au féminin, la fille au masculin
Les plus attentifs auront remarqué que val(onq)ar est construit sur le modèle de valar. Or, ce terme, traduit par tout homme, désigne aussi bien un homme qu’une femme, tout être humain devant mourir. On ignore si le valyrien connaît le genre, ou le neutre, comme certaines langues de notre univers. L’ambiguïté entre féminin et masculin est utilisée dans la saga. Pensez aux protagonistes qui cherchent un Prince qui fut promis alors qu’ils ont une Princesse, ou à ceux qui cherchent en vain à savoir quel dragon est mâle, quel dragon est femelle. De plus, Maggy ne dit pas votre valonqar mais le valonqar. Le cadet ou la cadette, cela ouvre une importante liste de candidats. N’importe quel personnage, homme ou femme, n’étant pas l’aîné de la famille est bel et bien le valonqar de quelqu’un. Daenerys, Stannis, Bran, Arya et Sansa, Margaery et Loras, Sandor Clegane, un des frères Potaunoir, un des frères Greyjoy… On a aussi toute une compagnie de mercenaires, qui s’appelle les Puînés, et il y a tous les frères ou sœurs des ordres militaires ou religieux, comme un frère de la Garde de Nuit. Certains ont même émis l’idée que le cadet ou la cadette en question pourrait être Tommen ou Myrcella. À part ces derniers, en tout cas pour le moment, bon nombre de personnages ont de bonnes raisons d’en vouloir à Cersei, et les méandres de l’intrigue pourraient les conduire à la tuer.
Ces éléments de « linguistique » apportent donc l’embarras du choix plus qu’ils ne permettent de trouver des pistes, et, en fait, n’excluent pas Tyrion, ni Jaime. En effet, l’utilisation du le valonqar est peut-être à chercher par la différence entre idiomes, comme vu plus haut. La langue de Maggy a très bien pu fourcher en cherchant à dire « l’amant qui te sert de petit frère » en parlant de Jaime, le « monstre qui te sert de petit frère » ou « le bâtard qui te sert de petit demi-frère » en parlant de Tyrion. Et oui, certains font la supposition que Tyrion pourrait être l’enfant d’Aerys et Joanna, ce que la voyante aurait pu découvrir dans ces visions. Mais c’est là une toute autre discussion.
Et pour vous, qui est le valonqar ? Venez en discuter sur le forum
Cneus
Un article intéressant, je n’avais pas perçu toute la polysémie du terme.
Du coup mon hypothèse Jaime devient moins évidente, ce qui n’est pas pour me déplaire.
Merci beaucoup
nicolp84
moi j’aime bien l’idée que se soit Jaime !