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5 mai 2020 à 9 h 38 min #133996Eridan
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Première intervention du premier jour du colloque « Game of Thrones » des Imaginales, dont la thématique générale était : « Game of Thrones, nouveau modèle pour la Fantasy? »
Thierry Soulard « A Song of Ice and Fire, un monde secondaire polysémique qui se joue des prophéties »
[Série – romans]
Thierry Soulard introduit son propos en rappelant ce qu’est une prophétie en fantasy, d’après la définition du dictionnaire de la fantasy (Editions Vendemiaires, sous la direction d’Anne Besson). Elle est soit un guide pour l’action future du héros, révélant sa destinée ou annonçant son avènement ; soit une annonce mystérieuse, annonçant des événements futurs.
La prophétie est un cliché usuel de la fantaisie : la plupart du temps, il n’y en a qu’une qui joue un rôle central au sein d’une saga littéraire. Dans <i>Le Trône de Fer</i>, Martin se sert du cliché de la prophétie et l’exploite : il n’y a pas une prophétie unique, il y a plusieurs éléments prophétiques, qu’on retrouve dans des rêves, dans des visions, dans des prédictions. Toute la saga, tous les livres se rapportant à l’univers du<i> Trône de Fer </i>sont parcourus d’une surabondance de phénomènes prophétiques.
Thierry Soulard range ces phénomènes prophétiques en trois catégories :
- Les phénomènes explicitement magiques : ceux qui annoncent un futur qui se réalise (exemple : rêves verts de Jojen).
- Les prophéties semi-réalistes : celles qui sont entre le rêve et la prophétie surnaturelle (exemples : rêves pas encore réalisés de Jaime, Tyrion ou Jon). Celles-ci peuvent donc être interprétées, soit comme la manifestation de l’inconscient du personnage, soit comme de véritables prophéties pour l’avenir de la saga.
- Les prophéties à utilisation politique : celles-ci apparaissent à un moment opportun et sont généralement utilisées dans un but essentiellement politique (exemple : prophétie de Mélisandre autour d’Azor Ahai) Il s’agit généralement de prédire l’arrivée d’un sauveur, afin de justifier les actions de celui-ci. Il peut aussi s’agir de paroles permettant d’impressionner un autre personnage ou de le persuader d’un avenir inéluctable.
Thierry Soulard tisse un lien entre ces dernières prophéties et l’histoire. Il explore certaines prophéties historiques du Moyen Âge, qui annonçaient l’avènement d’élus. Au cours du Moyen Âge, plusieurs interprétations de prophéties sont proposées :
- au temps des croisades, apparaît la prophétie du prêtre Jean, qui annonçait l’arrivée d’un puissant roi chrétien qui viendrait en aide aux Croisés. A l’époque de Marco Polo, un chef de guerre mongol est identifié comme ce fameux prêtre Jean. Plus tard, on croit que l’Éthiopie est le royaume du prêtre Jean.
- La prophétie de la pucelle de Lorraine existait avant Jeanne d’Arc ; aussi quand celle-ci apparaît, elle est accueillie favorablement.
Les prophéties sont utilisées de manière essentiellement politique à l’époque du Moyen Âge, car elles ont une grande influence. Henri VII (Tudor) d’Angleterre finit par les interdire, car elles deviennent dangereuses pour lui.
Certaines de ces prophéties historiques ont été reprises dans la littérature, notamment par Shakespeare, qui va mettre en évidence certains jeux de mots, qui font tout l’intérêt de ces prophéties, car leur réalisation n’est pas littérale, mais plutôt symbolique :
- Henri IV devait mourir à Jérusalem ; il meurt finalement dans la chambre de Jérusalem de l’Abbaye de Westminster. (à noter : il s’y rend de son plein gré, comme une acceptation de la prophétie.)
- Le duc de Sommerset devait éviter un château ; il meurt dans une auberge portant comme enseigne un château.
- Macbeth ne sera renversé que lorsque la forêt avancera sur son château ; une armée, camouflée par des branchages, se rapproche finalement de son château avant de l’attaquer. (Cette image est reprise par GRRM dans ADWD lors de la bataille de Motte-la-Forêt)
GRRM dit lui-même dans ses interviews que les prophéties sont trompeuses et qu’il faut chercher les mots ambigus, trompeurs. Il le fait également dire par plusieurs personnages dans la saga (notamment Tyrion), ce qui renseigne le lecteur sur la véritable nature des prophéties de GRRM.
Dans les livres, GRRM utilise des prophéties qui se réalisent de bien des manières différentes (sur un jeu de mot, de manière littérale, de manière symbolique ou en trompe-l’œil). Il arrive même qu’elles se réalisent plusieurs fois et qu’on puisse donc les interpréter de plusieurs manières différentes, comme lorsque Stannis voit un roi brûlé par sa propre couronne de feu : lui-même l’interprète comme une métaphore de sa condition, un roi que son propre pouvoir consume. Le lecteur peut y voir une représentation littérale du destin de Viserys III lors de la première intégrale. Une seule et même image peut donc tour à tour être symbolique ou littérale, comme lorsque Jojen Reed rêve que Bran et Rickon se font écorcher par « Schlingue » et qu’ils se retrouvent dans le caveau familial au milieu des rois de pierre : en définitive, les enfants qui sont tués par « Schlingue » sont de faux Bran et Rickon, les vrais s’étant réfugiés dans les cryptes de Winterfell.
Thierry Soulard revient ensuite à ce qui fait le cœur de son analyse du TdF : le monde de GRRM est fait de mots, et les prophéties aussi. Les mots ont plusieurs sens, et un seul mot, utilisé dans une prophétie, peut donc renvoyer à plusieurs interprétations. Ainsi, dans le TdF, un corbeau peut désigner un simple animal, ou un frère juré de la Garde de Nuit, ou Freuxsanglant, ou Euron Œil-de-Choucas, ou les Nerbosc … Balerion est le nom d’un dieu valyrien, d’un dragon, d’un chat, d’un bâtard Targaryen ou d’un bâteau.
Grâce aux mots et à leur polysémie extra et intradiégétique, Martin élargit le spectre des possibilités d’interprétations de ses prophéties. D’après saint Jérôme, parlant de l’Apocalypse : « L’apocalypse contient autant de mystères que de mots. […] En chacun des mots se cachent des sens multiples. » Thierry Soulard tisse donc un parallèle entre les deux œuvres, expliquant que les prophéties du Trône de Fer peuvent elles aussi être interprétées et donner lieu à de multiples réalisations, soit littérales, soit symboliques, soit magiques.
En conclusion, Thierry Soulard pose la question : quelle sera la fin de la saga ? Évoquant le destin de Sandor Clegane des livres, il explique qu’à l’heure actuelle, les fans peuvent envisager soit qu’il est mort, soit qu’il est toujours en vie et en pleine rédemption de ses péchés. Thierry Soulard partage son souhait que la fin de GRRM laissera, elle-aussi, place à l’interprétation : il espère que telle les prophéties de cet univers, la fin de la saga restera ouverte sur de multiples possibilités d’interprétation.
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Thierry Soulard : journaliste indépendant, auteur de nouvelles et de romans, membre de La Garde de Nuit. Il a publié « Les mystères de Trône de fer tome 1 : Les mots sont du vent » (éd. Pygmalion, 2019). Il a co-écrit « Les mystères de Trône de fer tome 2 : La clarté de l’histoire, le brouillard des légendes » avec Aurélie Paci (éd. Pygmalion, à paraître.. un jour ^^’).
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5 mai 2020 à 11 h 48 min #133998Babar des Bois- Fléau des Autres
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Merci aux intervenants, c’était vraiment très intéressant ! ^_^
Dans la discussion qui a suivi, il y avait aussi pas mal de choses intéressantes, sur les figures féminines, sur la place des Autres/Marcheurs Blancs, etc..
J’avais une question que je n’ai pas forcément osé poser et/ou qui n’a pas été lue par manque de temps :
* (une question davantage destinée à Thierry) : est-ce que finalement jouer à ce point sur la polysémie n’en devient pas une facilité d’écriture ? (oui la question est peu provocatrice ^^’)
- Cette réponse a été modifiée le il y a 4 années et 6 mois par Nymphadora.
- Cette réponse a été modifiée le il y a 4 années et 6 mois par Nymphadora.
#hihihi
Co-autrice : "Les Mystères du Trône de Fer II - La clarté de l'histoire, la brume des légendes" (inspirations historiques de George R.R. Martin)
Première Prêtresse de Saint Maekar le Grand (© Chat Noir)5 mai 2020 à 14 h 44 min #134001DNDM- Fléau des Autres
- Posts : 3093
* (une question davantage destinée à Thierry) : est-ce que finalement jouer à ce point sur la polysémie n’en devient pas une facilité d’écriture ? (oui la question est peu provocatrice ^^’)
Un peu: quand on compris le « truc », les dessous du tour de magie, le tour de magie parait facile. Comme j’ai tenté de l’exposer dans le T1 des Mystères du Trône de Fer, GrrM utilise les possibilités offertes par son « monde de mots » non seulement pour les prophéties, mais aussi de bien d’autres façons (préfigurations, jeux de mots, lettres codées…). Mais ce « monde de mots » est aussi, pour moi, l’un des coeurs du projet narratif de GrrM, du point de vue de la technique littéraire. Peut-être qu’à l’avenir cela va devenir un cliché, une facilité d’écriture, que beaucoup d’auteurs de fantasy vont construire leur propre « Monde de mots », que peut-être on pourra à l’avenir dégager les lignes d’un courant littéraire suite à cela… Mais GrrM est le précurseur à ce sujet, celui qui invente ce système et explore ses règles et ses possibilités. Ce qu’il fait parait facile, quand on a compris comment ça marche, mais il y a une réelle réflexion à long terme derrière qui est tout sauf facile.
Auteur de "Les mystères du Trône de Fer", tome I, co-auteur du tome 2: https://www.lagardedenuit.com/forums/sujets/les-mysteres-du-trone-de-fer-les-mots-sont-du-vent/ & https://www.lagardedenuit.com/forums/sujets/les-mysteres-du-trone-de-fer-2/
Présentation & autres pub(lications) : www.lagardedenuit.com/forums/sujets/presentation-dndm/5 mai 2020 à 15 h 33 min #134011Emmalaure- Exterminateur de Sauvageons
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Merci Eridan pour le compte-rendu exhaustif et clair ! J’ai hâte maintenant que la version écrite sorte !
J’ai envie de répondre aussi à Babar :
(une question davantage destinée à Thierry) : est-ce que finalement jouer à ce point sur la polysémie n’en devient pas une facilité d’écriture ? (oui la question est peu provocatrice ^^’)
Je ne crois pas que ce soit une facilité, mais l’inverse, car l’essentiel, pour que ça ait du sens, c’est que l’ensemble reste cohérent. Et avec l’immensité de sa narration et le nombre presque infini d’histoires, la polysémie est à la fois un moyen de les tenir ensemble (elles renvoient toutes les unes aux autres en jouant sur des variations de schémas semblables) mais ouvre le risque de se tromper de route et de perdre des persos sur le chemin du labyrinthe. C’est sûrement une des raisons pour lesquelles GRRM met tant de temps à écrire : il est arrivé à un point d’éparpillement extrême et inédit pour un seul auteur en littérature, et il lui faut à présent resserrer son récit sans se tromper parmi les chemins ouverts, et je ne crois pas qu’il puisse choisir n’importe lesquels (i.e. ce qui va marcher avec une « prophétie » peut entrer en contradiction avec toutes les interprétations possibles d’une autre, or, GRRM arrive à faire coller un événement/une trajectoire narrative avec plusieurs « prophéties » à la fois, c’est ça qui est difficile) : la liberté de ses personnages, elle est toute relative ^^.
6 mai 2020 à 0 h 47 min #134057Pandémie- Fléau des Autres
- Posts : 2883
Je pense aussi qu’il y a quand même un peu de facilité pour GrrM, dans le sens qu’il a compris avoir un bon « tour », et donc que notre auteur-jardinier favori l’a utilisé et réutilisé. Le problème quand on sème trop de graines, c’est qu’elles finissent par essaimer n’importe où et par envahir toutes les plates-bandes. Donc du coup comme le dit Emmalaure, il se retrouve un peu embêté pour réconcilier le tout. Je pense qu’il se retrouve face au même problème que le Nœud meerenien avec les PoV. Il tenait un bon filon avec ses personnages ayant différents point de vue, et Meeren devait en avoir tellement sur place (Dany, Tyrion, Victarion, Quentyn) que ça aurait dû être du gâteau à raconter. Sauf que c’était en fait pire et qu’il a fallu faire de Barristan Selmy un PoV pour s’en sortir.
Et du coup je pense que si TWOW prend autant de temps, c’est non seulement parce qu’il a toujours autant de problèmes à coordonner ses PoVs que dans ADWD, mais qu’en plus, il ne peut plus semer de graines polysémiques ou prophétiques quand ça l’arrange (le côté « facilité »), au contraire, elles ont germé et il doit en trancher certaines, en conserver d’autres, et parfois déjà en récolter les fruits.
En ce qui concerne les prophéties, je ne serais sans doute pas parti sur les parallèles historiques. A mon avis, c’est possible que GrrM en ait entendu parler, mais il y a un auteur qui l’a très fortement inspiré et pour lequel les prophéties sont au coeur du récit, c’est Tad Williams et sa saga Memory, Sorrows and Thorne ou l’Arcane des épées en français. Tad Willliams n’a pas tellement bossé sur la polysémie (quoique, des inventions comme Main du Roi, c’est lui), par contre en terme de worldbuilding, d’histoire qui se répète et donc de prophéties autoréalisatrices et mensongères mais où chaque mot compte, alors là, c’est au coeur de son texte, et GrrM s’en est grandement inspiré. Sans trop spoiler, il y a un livre mystérieux dont on n’a conservé que des fragments, écrit par Nisse, un prêtre-conseiller du Roi fou, dans lequel on parle d’épées magiques, de Prince, de comète rouge et autre fin du monde à éviter qui va être en fil rouge (comme les habits du prêtre) de la saga.
Je n’aurais sans doute pas mis non plus Mélisandre et la prophétie du Prince qui fût promis comme un exemple de prophétie qui apparaît à un moment politique opportun. Mél ne semble pas avoir inventé Azor Ahai pour faire avancer sa politique, mais utilise la politique pour faire avancer la prophétie d’Azoer Ahai. De plus, elle n’en est pas l’origine. Ce qui ne veut pas dire que personne n’utilise cette prophétie dans son propre intérêt (ceux qui ont lu Tad Williams devinent sans doute ce à quoi on peut s’attendre en gros si GrrM le suit dans sa façon de l’utiliser dans une intrigue). Je trouve que la prophétie du Dosh Khaleen correspond bien mieux à un truc qui paraît bricolé politiquement et sorti de nulle part pour servir les intérêts de Khal Drogo. Et là, ce qui serait drôle, c’est que les femmes aient prophétisé à l’insu de leur plein gré. ^^
6 mai 2020 à 1 h 20 min #134059DNDM- Fléau des Autres
- Posts : 3093
Yep, Tad Williams est une grosse influence avouée de GrrM. Mais l’idée en allant piocher dans les prophéties historiques était aussi de montrer que GrrM ne puise pas ses inspirations, sur le sujet des prophéties, uniquement dans la littérature de Fantasy (ou les prophéties autoréalisatrices et à base de jeux de mots sont légion), mais aussi dans l’histoire IRL, et que cela participe aussi à donner ce caractère de « réalisme » que l’on accole souvent au Trône de fer: les prophéties ni sont pas que magiques et/ou trompeuses, certaines sont aussi utilisées politiquement par des petits malins ou des fanatiques, comme c’était (et c’est toujours) le cas dans notre monde.
Je n’aurais sans doute pas mis non plus Mélisandre et la prophétie du Prince qui fût promis comme un exemple de prophétie qui apparaît à un moment politique opportun.
La formulation du CR serait un peu plus juste avec deux lettres en plus en fait:
les prophéties à utilisation politique : celles-ci réapparaissent à un moment opportun et sont généralement utilisées dans un but essentiellement politique (exemple : prophétie de Mélisandre autour d’Azor Ahai)
Non, Mélisandre n’invente pas Azor Ahai (et même si c’est moins clair, la prophétie de l’Etalon qui monte le monde semble être dans la culture Dothraki depuis longtemps aussi, personne ne s’en étonne). Mais Mélisandre fait une utilisation politique / orientée de cette prophétie, qu’elle essaye de « forcer » en refilant à Stannis une Illumination de pacotille.
La seule prophétie qui parait totalement inventée sur le coup pour légitimer des ambitions ou pousser au crime qui me vient à l’esprit, c’est la prophétie du Marteau dans Feu et Sang. Elle ne semble pas être liée à une religion ou autorité prophétique connue, apparaît vraiment juste au moment où on a besoin d’elle, et ne revient jamais ensuite (même si, magie de la polysémie, on peut l’appliquer à Robert vs Rhaeghar au Trident, personne ne la ressort après ce combat, autant qu’on le sache). Pour le coup j’ai bien envie d’y voir un coup non pas d’Hugh Marteau (il ne semble pas assez manipulateur pour ce genre de coup, ni assez intelligent pour comprendre pourquoi il aurait besoin de ce genre de tour alors qu’il a un gros dragon), mais de gens qui ont intérêt à pousser Hugh Marteau dans ses ambitions afin d’alimenter les tensions et de le faire de nouveau trahir son camp. 😉
- Cette réponse a été modifiée le il y a 4 années et 6 mois par R.Graymarch.
Auteur de "Les mystères du Trône de Fer", tome I, co-auteur du tome 2: https://www.lagardedenuit.com/forums/sujets/les-mysteres-du-trone-de-fer-les-mots-sont-du-vent/ & https://www.lagardedenuit.com/forums/sujets/les-mysteres-du-trone-de-fer-2/
Présentation & autres pub(lications) : www.lagardedenuit.com/forums/sujets/presentation-dndm/6 mai 2020 à 9 h 09 min #134068Nymphadora- Vervoyant
- Posts : 8412
Mais l’idée en allant piocher dans les prophéties historiques était aussi de montrer que GrrM ne puise pas ses inspirations, sur le sujet des prophéties, uniquement dans la littérature de Fantasy (ou les prophéties autoréalisatrices et à base de jeux de mots sont légion), mais aussi dans l’histoire IRL, et que cela participe aussi à donner ce caractère de « réalisme » que l’on accole souvent au Trône de fer
J’avoue avoir toujours beaucoup de mal avec ce genre d’affirmation concernant les inspirations directes qu’on attribue à Martin. Il y a un côté « qui de l’œuf ou de la poule ? » qui me paraît bancal : Est-ce vraiment ici Martin qui va puiser ses influences dans le monde réel (ou vice versa d’ailleurs : la politique s’inspire de l’art ?), ou n’est-ce pas plutôt Shakespeare et les auteurs grecs avant lui qui le faisaient, et donc par suite ceux qui ont repris le trope ? Pour des tropes littéraires aussi bateau que la prophétie, je serais bien en peine d’aller dire que Martin est allé voir consciemment du côté de l’histoire. On peut voir pleins de parallèles mais de là à parler d’une influence directe et consciente, je suis toujours personnellement gênée pour faire le pas (et souvent on voit des parallèles en fonction de notre propre biais de confirmation : par exemple un anglais verra plus de parallèles avec Shakespeare dans le Trône de Fer que nous francophones qui avons plus tendance à convoquer Druon et ses Rois Maudits).
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6 mai 2020 à 9 h 28 min #134071Eridan- Vervoyant
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Elle ne semble pas être liée à une religion ou autorité prophétique connue, apparaît vraiment juste au moment où on a besoin d’elle, et ne revient jamais ensuite (même si, magie de la polysémie, on peut l’appliquer à Robert vs Rhaeghar au Trident, personne ne la ressort après ce combat, autant qu’on le sache).
Je trouve également cette prophétie douteuse pour les raisons que tu cites, et il me paraît bien évident qu’elle a été avancée au moment opportun pour les raisons que tu évoques. 😉
Est-ce qu’elle existait avant ou non ? Difficile à dire. Ceux qui la colportent à ce moment-là semblent dire que oui, le reste du corpus n’en fait pas mention … Après, si elle ne semble pas a priori liée à une religion, on peut toutefois trouver des parallèles avec l’une ou l’autre « religion » de l’univers d’ASOIAF : le marteau est un signifiant polysémique lui-aussi utilisé plusieurs fois, notamment dans TWOIAF. Le Bras de Dorne reliant Essos et Westeros aurait été cassé par les vervoyants des enfants de la forêt grâce au Marteau de l’Eau. Le marteau est aussi le symbole du Ferrant de la religion des Sept (porté en sautoir par le frère nain ou gravé dans la pierre par les premiers Andals débarquant à Westeros).
Bref, on pourrait sans doute raccrocher cette prophétie à une voire plusieurs religions, même si le texte ne le fait pas.- Cette réponse a été modifiée le il y a 4 années et 6 mois par R.Graymarch.
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6 mai 2020 à 21 h 56 min #134176DNDM- Fléau des Autres
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Mais l’idée en allant piocher dans les prophéties historiques était aussi de montrer que GrrM ne puise pas ses inspirations, sur le sujet des prophéties, uniquement dans la littérature de Fantasy (ou les prophéties autoréalisatrices et à base de jeux de mots sont légion), mais aussi dans l’histoire IRL, et que cela participe aussi à donner ce caractère de « réalisme » que l’on accole souvent au Trône de fer
J’avoue avoir toujours beaucoup de mal avec ce genre d’affirmation concernant les inspirations directes qu’on attribue à Martin. Il y a un côté « qui de l’œuf ou de la poule ? » qui me paraît bancal : Est-ce vraiment ici Martin qui va puiser ses influences dans le monde réel (ou vice versa d’ailleurs : la politique s’inspire de l’art ?), ou n’est-ce pas plutôt Shakespeare et les auteurs grecs avant lui qui le faisaient, et donc par suite ceux qui ont repris le trope ? Pour des tropes littéraires aussi bateau que la prophétie, je serais bien en peine d’aller dire que Martin est allé voir consciemment du côté de l’histoire. On peut voir plein de parallèles mais de là à parler d’une influence directe et consciente, je suis toujours personnellement gênée pour faire le pas (et souvent on voit des parallèles en fonction de notre propre biais de confirmation : par exemple un anglais verra plus de parallèles avec Shakespeare dans le Trône de Fer que nous francophones qui avons plus tendance à convoquer Druon et ses Rois Maudits).
Pour le coup je pense avoir assez bien contextualisé la chose: je m’appuie sur une citation précise de GrrM:
« Prophecy is a staple element in Fantasy, but it’s tricky… You want to play with the notion of prophecies coming true but in an unexpected way. You want to be unpredictable about it. Shakespeare is the ultimate example of that — when the forest of Birnam Wood coming to Dunsinane Castle, MacBeth will fall. Everybody laughs — how can the forest come to the castle. [Malcolm] came camouflaged with branches and so on. Also, during the War of the Roses, one of the lords was prophesied that he would die at a certain castle. So he always took pains to avoid that castle. But then in the First Battle of St Albans, he was wounded and died outside a pub that had that castle on its pub sign. You have to look at prophecies carefully and look at the weasel-wording. Maggy the Frog tells Cersei a prophecy, but could Cersei make it happen through her efforts to avoid it? »
« Les prophéties sont un élément incontournable en Fantasy, mais un élément délicat/piégeux… [En tant qu’auteur], vous voulez jouer avec la notion de prophétie qui devient réalité, mais d’une façon inattendue. Vous voulez être imprévisible à ce sujet. Shakespeare est l’exemple ultime à ce sujet : quand la forêt de Birnam viendra au château de Dunsinane, MacBeth tombera de son trône. Tout le monde rit – Comment la forêt pourrait-elle venir dans un château ? Puis Malcolm arrive camouflé avec des branches. Autre exemple, pendant la guerre des deux-roses, on prophétisa à l’un des seigneurs qu’il mourrait dans un château particulier. Il prit donc garde d’éviter ce château. Mais lors de la première bataille de St Albans, il fut blessé et mourut à l’extérieur d’une taverne qui avait ce château sur son enseigne. Il faut regarder les prophéties avec attention et chercher les mots ambigus, trompeurs. Maggie la Grenouille fait une prophétie à Cersei, mais Cersei, en essayant de l’éviter, peut-elle la en fait la faire se réaliser ? »
ew.com ‘Game of Thrones’: George R.R. Martin on that creepy flashback scene, April 12, 2015
La citation fait référence à Shakespeare, mais aussi à la mort du duc de Somerset pendant la guerre des Deux-Roses (la prophétie avec le château), anecdote qui est chez Shakespeare, mais dans une version différente de ce que que GrrM cite ici (dans Shakespeare, il doit éviter tous les châteaux, pas un chateau en particulier).
Et Shakespeare, pour cette pièce (mais aussi pour plein d’autres), utilise des sources historiques. Il a reprit cette prophétie dans sa principale source historique pour cette période, les Chronicles of England, Scotland, and Ireland de Raphael Holinshed (1577), Holinshed l’avait lui-même repris dans The Union of the Two Noble and Illustre Famelies of Lancastre & Yorke (1548) d’Edward Hall, et Hall s’appuyait lui-même sur des documents tels que la correspondance de la famille Paston. De ce que j’ai réussi à remonter, la lettre du 5 mai 1450 de la famille Paston évoque par exemple une autre prophétie du même type qui n’est pas celle citée par GrrM ici, mais qu’il connait forcément, puisque elle concerne aussi la guerre des deux-roses et qu’elle est dans la même pièce, dans la même scène, littéralement une ligne plus haut: celle de la mort du Duc de Suffolk, qui devait selon ce qu’on raconte de sa prophétie « se garder du danger de la Tour », et qui mourra assassiné par l’équipage d’un bateau nommé le Nicolas de la Tour.
Par ailleurs, la question des prophéties politiques sur la période Plantagenêt / guerre de Cent ans / guerre des deux roses est abondamment traitée, et évoquée dans tous les livres historiques que j’ai consulté sur cette période (et on sait que George R.R. Martin connait très bien ces périodes, même si on ne sait pas exactement quelles sont ses sources), ainsi que chez Thomas B. Costain, qui fait de la « popular history » (que George R.R Martin a cité comme influence principale notamment pour Feu & Sang, mais qu’il utilisait bien avant comme source vu le nombre de parallèles que l’on peut faire avec la saga – bon, là, j’anticipe totalement sur un certain bouquin qui devait paraître ce mois-ci et qui a été renvoyé aux calendes grecques ^^).
Tout ceci sera bien évidemment détaillé et sourcé dans les actes du colloque, j’ai dû sabrer quelques idées et détails pour faire tenir la communication orale en 25 minutes.
le marteau est un signifiant polysémique lui-aussi utilisé plusieurs fois, notamment dans TWOIAF. Le Bras de Dorne reliant Essos et Westeros aurait été cassé par les vervoyants des enfants de la forêt grâce au Marteau de l’Eau. Le marteau est aussi le symbole du Ferrant de la religion des Sept (porté en sautoir par le frère nain ou gravé dans la pierre par les premiers Andals débarquant à Westeros).
Bref, on pourrait sans doute raccrocher cette prophétie à une voire plusieurs religions, même si le texte ne le fait pas.Yep, encore une fois, Martin n’a pas choisi ce mot spécifique par hasard. ^^
Auteur de "Les mystères du Trône de Fer", tome I, co-auteur du tome 2: https://www.lagardedenuit.com/forums/sujets/les-mysteres-du-trone-de-fer-les-mots-sont-du-vent/ & https://www.lagardedenuit.com/forums/sujets/les-mysteres-du-trone-de-fer-2/
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Ta réponse, @dndm, m’amène à un questionnement : certaines prophéties sont restées dans l’histoire (et donc reprises par des auteurs comme Shakespeare) parce qu’elles semblent s’être réalisées, même s’il faut parfois interpréter (exemples que tu cites, comme l’enseigne de l’auberge ou le nom du bateau).
Est-ce que par hasard il n’y avait pas, à l’époque, des dizaines voire des centaines de prophéties qu’on racontait dans les familles, et dans le lot, deux ou trois pouvaient statistiquement se réaliser ? Mais l’Histoire aurait retenu uniquement celles qui ont vraiment eu lieu, car cela stupéfie, et les autres auraient simplement été oubliées.
En prolongeant le raisonnement et en l’adaptant à ASOIAF, on conclurait que certaines prophéties de la saga vont « se réaliser » parce que c’est statistique, mais ça manque un peu de charme.
- Cette réponse a été modifiée le il y a 4 années et 6 mois par FeyGirl.
6 mai 2020 à 23 h 11 min #134183DNDM- Fléau des Autres
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En fait c’est surtout que, pour celles qui font appel à des jeux de mots précis, elles sont inventées après coup. ^^
La superstition engendrait les prophéties, assez sages pour être faites après les événements, et souvent d’une ironie mordante. Les Anglais, note sèchement Philippe de Commynes, ne sont jamais à court de prédictions. Quand le Duc de Suffolk fut assassiné par l’équipage d’un navire appelé le Nicolas de la Tour, l’histoire se répandit immédiatement qu’il avait « demandé le nom du bateau, et lorsque il le sut, il se rappela que Stacy disait que s’il pouvait échapper au danger de la Tour, il serait sauf ; puis le cœur lui manqua… ». A la première bataille de Saint-Albans (1455), le duc de Somerset trouva la mort sous l’enseigne d’une auberge sur laquelle figurait un château ; l’histoire courut bientôt qu’on lui avait prédit qu’il périrait sous un château. (…)
L’Angleterre au temps de la guerre des Deux-Roses, Paul Murray Kendall, Fayard, pp. 29-30.
Elles sont historiques dans le sens où elles sont évoquées et discutées à l’époque – mais les histoires de ce genre sont en fait inventées après la mort du type.
Après il y a aussi le cas des prophéties autoréalisatrices. Tout ce qui tourne autour de l’arrivée d’un messie, par exemple. Ce ne sont pas les candidats qui manquent pour se porter volontaire pour le rôle, y compris de nos jours. Le cas de la prophétie de la Pucelle de Lorraine qui met en place un terreau fertile pour Jeanne d’Arc peut être interprété ainsi: elle existe (je crois) bien avant la naissance de Jeanne d’Arc ; mais Jeanne d’Arc baigne dedans depuis son enfance, donc elle peut se convaincre qu’elle est la pucelle de la prophétie. Il y a d’ailleurs eu des variantes de cette prophétie (du genre « la France a été perdue par une femme et sera sauvée par une femme »), et d’autres cas de femmes – prophétesse sur la période reçue par les autorités royales de l’époque. Les anglais ont même je crois sorti la leur de leur chapeau (de mémoire) pour tenter de jouer aussi à ce jeu.
On peut aussi évoquer ici le cas de la mort d’Henri IV, celui-ci se faisant porter dans la chambre de Jerusalem de l’Abbaye de Westminster pour « forcer » sa prophétie qui disait qu’il devait mourir à Jerusalem.
Et enfin le cas des prophéties purement politiques, inventées pour discréditer le monarque en place et/ou préparer l’arrivée de son concurrent. On est là dans une forme de propagande superstitieuse, en fait. Si le concurrent gagne, alléluia, la prophétie s’est réalisée! S’il perd, la prophétie est oubliée. 😉
Mais oui, il y avait aussi des tonnes de prophéties qui n’ont pas traversé le temps. J’ai quelque part dans mes notes le cas d’un roi Plantagenêt (je ne sais plus lequel) qui (de mémoire) fait exprès d’aller sur le rocher chelou dont une vieille folle vient de lui dire de ne pas s’approcher, histoire justement de montrer qu’il ne croit pas à ces sornettes de vieilles femmes et d’affermir son autorité.
- Cette réponse a été modifiée le il y a 4 années et 6 mois par DNDM.
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Présentation & autres pub(lications) : www.lagardedenuit.com/forums/sujets/presentation-dndm/6 mai 2020 à 23 h 31 min #134186FeyGirl- Fléau des Autres
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En fait c’est surtout que, pour celles qui font appel à des jeux de mots précis, elles sont inventées après coup. ^^
La superstition engendrait les prophéties, assez sages pour être faites après les événements, et souvent d’une ironie mordante. Les Anglais, note sèchement Philippe de Commynes, ne sont jamais à court de prédictions. Quand le Duc de Suffolk fut assassiné par l’équipage d’un navire appelé le Nicolas de la Tour, l’histoire se répandit immédiatement qu’il avait « demandé le nom du bateau, et lorsque il le sut, il se rappela que Stacy disait que s’il pouvait échapper au danger de la Tour, il serait sauf ; puis le cœur lui manqua… ». A la première bataille de Saint-Albans (1455), le duc de Somerset trouva la mort sous l’enseigne d’une auberge sur laquelle figurait un château ; l’histoire courut bientôt qu’on lui avait prédit qu’il périrait sous un château. (…)
L’Angleterre au temps de la guerre des Deux-Roses, Paul Murray Kendall, Fayard, pp. 29-30.
Elles sont historiques dans le sens où elles sont évoquées et discutées à l’époque – mais les histoires de ce genre sont en fait inventées après la mort du type.
Merci pour cette précision, qui apporte un autre éclairage sur le sujet.
Prophétie créée après l’événement ! (étymologiquement, prophète = je dis avant)
6 mai 2020 à 23 h 45 min #134187DNDM- Fléau des Autres
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Prophétie créée après l’événement ! (étymologiquement, prophète = je dis avant)
Oui si on tatillonne, c’est sûr que ça n’a de prophétie que le nom. 😉
Pour l’étymologie on pourrait discutailler aussi, la source que j’ai (et qui sera dans les Actes, pareil c’est un bout que j’ai coupé faute de temps) me dit que rattacher le substantif grec prophètès et le verbe prophèmi, lequel signifie « prédire » ou « annoncer d’avance », est une erreur médiévale, « même si, semble t-il, dans la culture grecque, il fut parfois reçu dans ce sens, ou même si ce sens put lui être accolé par confusion », et que le prophète est surtout étymologiquement celui qui « se fait l’interprète (d’un dieu)». Il y a du coup l’idée que la prophétie n’est pas un message clair mais est dès ses origines une information à interpréter, à traduire, ce qui me plait beaucoup. ^^
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