C’est la rentrée des classes, les enfants reprennent le chemin de l’école… La Garde de Nuit profite de cette occasion pour vous proposer des « romans d’apprentissage ».
Les littératures de l’imaginaire aiment nous faire partager les aventures d’enfants ou d’adolescents qui doivent apprendre, au fil des ans, à maîtriser leurs dons. Mais cette thématique est bien plus ancienne, elle est née des romans initiatiques où l’enfant devient un homme ou une femme adulte, accompli et rempli de sagesse. C’est parti pour les recommandations :
↑Vita Nostra, de Marina et Sergueï Diatchenko
Je vais vous parler ici de mon dernier très gros coup de cœur en date : le roman d’urban fantasy ukrainien de Marina et Sergueï Diatchenko, vainqueur du prix du meilleur roman étranger aux Imaginales 2020 : Vita Nostra.
Vita Nostra nous raconte l’histoire de Sacha, une adolescente de 17 ans qui va se retrouver inscrite de force à l’Institut des Technologies Spéciales, une école supérieure des plus étranges où l’on formerait peut-être les étudiants à la magie, ou peut-être pas, on ne sait pas trop. Il s’agit un établissement inquiétant, où les cours n’ont aucun sens, où les professeurs sont sadiques et cruels et où les élèves semblent peu à peu devenir fous. Sacha n’a pas choisi de venir ici. On l’y a forcé par le chantage : si elle ne réussit pas ses examens, ou si elle fait le moindre faux pas, le malheur frappera sa famille…
En lisant le synopsis, je m’attendais à tomber sur un ersatz un peu nul de la saga Harry Potter, comme avait pu l’être la série télévisée américaine The Magicians par exemple. En fait, mis à part vaguement le cadre (à savoir une école de « magie ») ça n’a absolument rien à voir de près ou de loin avec les aventures de notre petit sorcier à lunettes. Ici on est beaucoup plus proche des registres de l’horreur, de l’étrange, voire de la poésie. Le récit en lui-même surprend par la noirceur de ses péripéties, parfois poussée assez loin, et par la tension constante qui plane sur nos personnages, et l’ambiance crasseuse et gothique de petite bourgade paumée au fin fond de la Russie ne va rien faire pour mettre le lecteur à l’aise.
Je ne vais pas en dire plus sur l’intrigue puisque c’est le genre de livre qu’il ne faut surtout pas spoiler. On est continuellement attaché au point de vue de la personnage principale (et franchement, j’ai rarement à ce point ressenti tout ce qu’un personnage de fiction ressentait qu’avec ce roman) et vu qu’elle est souvent dans le flou il est très important pour l’immersion que le lecteur n’en sache pas plus qu’elle.
Bref, Vita Nostra c’est un livre que j’ai énormément aimé, qui a été une véritable claque littéraire et que je ne peux que vous recommander chaudement.
DroZo
↑Le Livre de la jungle, de Rudyard Kipling
Le Livre de la jungle est-il un roman d’apprentissage ? Oui et non. Déjà, ce n’est pas un roman, mais une suite de nouvelles. Ensuite, Mowgli (quand il est le héros des nouvelles) y apprend beaucoup, mais les leçons sont parfois contradictoires (ce qui fait tout le charme de l’ouvrage pour les enfants).
Abandon et adoption, loi et liberté : voici les grands thèmes du Livre de la jungle, ceux entre lesquels Mowgli est ballotté d’une histoire à l’autre. Et tout comme Mowgli peut passer du monde des humains à celui des animaux, il peut aussi suivre les leçons de l’ours Baloo et de Bagheera la panthère, en tirer profit et s’en servir dans ses aventures, respecter aussi scrupuleusement que possible cette « loi de la jungle » qu’on lui enfonce parfois dans le crâne à coups de pattes, et pour autant, à la ligne suivante du texte, être ce garçon libre qui « grandit et devint fort comme fait à l’accoutumée un garçon qui ne va pas à l’école et n’a dans la vie à s’occuper de rien que de choses à manger. »
Le Livre de la jungle, roman d’apprentissage ? Assurément, mais un apprentissage libre et plein de vie, ou rien n’est définitif et où tout se réinvente en permanence. À redécouvrir ou découvrir, pour ceux qui ne connaissent que les versions Disney.
DNDM
↑Blankets, de Craig Thompson
J’ai découvert Blankets, roman graphique publié en 2003 et qui a immédiatement reçu les prix les plus prestigieux de la BD, lors d’un des longs après-midis au CDI qui ont peuplé mes années de collège. Je me souviens avoir été étrangement fascinée par certains dessins, voire carrément stupéfaite par d’autres. Par hasard, le roman m’est tombée dessus pendant les vacances. C’était l’occasion de le relire, et la magie a une nouvelle fois opéré.
Ce roman graphique est un roman d’apprentissage. Il suit l’enfance, l’adolescence et l’entrée dans la vie adulte de Craig en pleine Amérique ultra-religieuse. Le roman se centre principalement sur l’histoire d’amour que va entretenir le jeune homme avec une jeune femme rencontrée lors d’un camp de vacances évangéliste. L’auteur ne tombe pas dans la nostalgie d’une enfance perdue, il se souvient de ses moments passés seul, isolé qu’il est dans un lycée où il est tout à la fois alone et lonely, mais il évoque aussi les moments de partage avec son petit frère dans le grand lit où ils s’amusent à imaginer des scénarios. Il se souvient également avec beaucoup de beauté de son éloignement progressif de la religion, nourri par l’amour qu’il porte envers celle qu’il a rencontrée. Il ne renie pas la foi, qui l’a construit, mais lui fait prendre un nouveau tournant, comme une source d’inspiration artistique. Les dessins sont de fait sublimes, notamment lorsque l’auteur dépeint l’éveil du désir.
Sous le dessin de Craig Thompson, on retrouve les sensations de l’enfance, celles des rêves (le lit devient bateau de pirates), l’autorité (celle du père), voire même l’arbitraire des adultes (les professeurs abusifs, le baby-sitter libidineux et autres personnage) & la passion (pour Craig, il s’agit du dessin). Le dessin se fait métaphorique, symbolique, expressionniste.
Bref, Blankets est un roman graphique qui se lit comme un véritable roman. Il est d’une sensibilité sans pareil dans sa description de l’enfance et de l’apprentissage de la vie. Il parle de valeurs morales sans être moralisateur, il parle de la différence, la différence évidente (la trisomie) et celle qui l’est moins, il parle en somme de l’amour, et de toutes les formes qu’il peut prendre, et c’est pour cela que cette lecture est, pour moi, indispensable !
O’Cahan
↑L’Enfant de poussière, de Patrick K. Dewdney
Cet ouvrage de fantasy traînait sur ma pile à lire depuis deux ans déjà, depuis son carton en librairie en 2018 (rayon littérature de l’imaginaire, bien sûr) et je dois avouer que je le laissais végéter tranquillement, en me disant qu’au vu de l’écart entre le nombre de tome prévus (sept, comme-par-hasard-tiens-tiens-tiens) et le nombre de tomes parus actuellement (deux) pour ce Cycle de Syffe, rien ne pressait. Et c’est donc après avoir mis le nez dans les premières pages que je décidais de l’embarquer en rando pour 10 jours, lesquels se sont révélés bien insuffisants pour venir à bout du pavé de 650 pages.
On y suit les pérégrinations de Syffe, héros éponyme du cycle, de ses huit ans jusqu’à ses douze-treize ans pour ce premier tome. Le gamin est marqué du sceau de l’étranger dans le comté où il réside par la présence d’un tatouage dans son dos, et vit d’abord dans une ferme qui recueille quelques orphelins, puis à la ville, et de fil en aiguille, il finira par prendre la route bon gré mal gré. Le roman évolue clairement en deux sections : une première à Corne-Brune (où des enfants disparaissent mystérieusement) qui ne sera pas sans évoquer les aventures de Castelcerf d’un certain Fitz Chevalerie dans L’Assassin royal, ce dont l’auteur n’hésite pas à se réclamer, avant de prendre un virage qui propulse son personnage principal sur les routes. J’ai été plus sensible, je dois l’avouer, à la première partie du roman et ses enjeux (on y parle beaucoup du rapport à l’étranger, de racisme, même, pour être franc, et les positions politiques de l’auteur y transpirent dans ce contexte) ainsi que sa galerie de personnages, tous un peu dépressifs mais toujours attachants (Hesse <3). La seconde moitié lorgne plus sur le roman « d’apprentissage » avec un Syffe qui apprend le métier des armes, et outre une impression de « déjà-lu », j’avoue que les personnages rencontrés m’ont paru moins intéressant, même si on sent dans cette section qu’il y a une part légèrement autobiographique (l’auteur a fait l’expérience de vivre en autarcie en partant de rien pendant deux ans).
Mais alors, Crys, pourquoi es-tu resté ? La langue, tout simplement. Patrick K. Dewdney manie sa poésie mélancolique comme je l’ai assez peu lu en fantasy et j’avoue qu’elle m’a emballé de la première à la dernière page. L’auteur s’encombre assez peu de dialogues et préfère le discours rapporté, ne laissant ses personnages discuter entre eux que ponctuellement. On est donc loin d’un Pevel qui trace un tiret quadratin pour balancer un « Oui. », et c’est assez rafraichissant, même si, vous vous en rendrez rapidement compte, de ce fait le livre est réellement long à lire. Bref, si vous cherchez quelque chose à lire pour l’automne tout en suivant l’éducation d’un jeune homme, assurément, ce premier tome du cycle de Syffe saura coller aussi bien aux atmosphères de rentrée qu’aux brumes du matin et aux feuilles qui roussissent dans les lumières rasantes qui suivent l’équinoxe.
Il est à noter que nous avions eu l’occasion d’interviewer Patrick K Dewdney lors des Imaginales 2019. L’entretien est à retrouver juste ici !
Crys
↑Le Sorcier de Terremer, d’Ursula Le Guin
Le Sorcier de Terremer est le premier roman du cycle de Fantasy le plus connu d’Ursula Le Guin. Un jeune garçon grandit sur Terremer, lieu étrange couvert d’îles habitées par des populations prétechnologiques et quelques sorciers qui aident leurs voisins avec leur magie. Vivant dans un village pauvre et reculé, l’enfant s’avère avoir le pouvoir des mots, ce don qui révèle et manipule la réalité. Après une première initiation, il se rendra sur l’île de Roke auprès des maîtres qui enseignent le contrôle de la magie si particulière de cet univers.
Ce premier tome du Cycle de Terremer a tous les aspects du roman d’apprentissage typique de la Fantasy. Le jeune Ged doit non seulement suivre l’instruction dispensée par des mages, mais aussi dominer son caractère arrogant. Par défi, il commettra l’irréparable qui marquera un tournant dans sa vie, et devra entamer une longue quête solitaire et dangereuse pour affronter l’Ombre qu’il a libérée.
Ursula Le Guin a créé un univers qui ressemble peu à ce qui se publiait à cette époque (années 60), et visiblement son imagination a été inspirée par des cultures diverses et par le taoïsme, pour proposer un monde unique et cohérent. Le travail sur le texte transparaît assez vite, hissant ce roman au niveau des livres littéraires.
L’aventure n’est pas oubliée, parfois comme prétexte à exposer l’univers, parfois comme nécessaire à l’évolution de Ged, son caractère et son destin. Ses périples sont l’occasion de maintes péripéties, et elles permettent au protagoniste de découvrir un monde qu’il connaît si peu, car malgré ses pouvoirs il reste l’ancien enfant pauvre ayant grandi dans un village reculé.
La couverture que je vous propose est celle de l’intégrale du Cycle de Terremer : 4 romans et 4 nouvelles, dont les 2 nouvelles écrites par l’auteure peu de temps avant sa mort, et qui ne sont disponibles en français que dans l’édition publiée par Le Livre de Poche
FeyGirl
↑Conclusion
Si rien de tout cela ne vous parle, n’hésitez pas à consulter l’annuaire de toutes les recommandations publiées sur le blog de la Garde de Nuit.