À l’occasion de la sortie d’un ouvrage consacré aux storyboards de la série Game of Thrones à l’automne 2019 (ouvrage que nous avions chroniqué), nous avions pu rencontrer William Simpson, l’auteur de toutes ces planches, et lui poser quelques questions. Il était temps de vous les présenter !
Depuis, William Simpson a travaillé sur le Trône de Fer et les sciences (dir. J.-S. Steyer, Belin, 2021) dont il a réalisé les illustrations.
↑Gdn : Pouvez-vous nous parler de votre parcours, et de votre formation ?
William Simpson : En réalité… j’ai été un très mauvais étudiant *rires*. Je n’ai fait qu’une année d’école d’art. À l’origine, ce que je voulais faire, c’était des peintures de style Renaissance et des grands portraits baroques. Mais à l’école dans laquelle j’étais, on apprenait soit de l’impressionnisme soit du conceptuel, donc je n’étais pas du tout adapté à ce qu’on y enseignait. J’ai donc commencé à faire des peintures par moi-même, des paysages et des portraits. À côté, je travaillais sur mes comics. Petit à petit, mes travaux sur les comics ont commencé à être vus et partagés, à prendre de l’ampleur… c’est ainsi que ça a commencé.
C’est d’ailleurs toujours ainsi que ça fonctionne pour moi : j’essaye des choses, les gens regardent, et ça se diffuse progressivement.
↑GdN : Vous avez ensuite travaillé dans les comics, puis êtes entré dans l’industrie du cinéma. Comment en êtes-vous venus à Game of Thrones et est-ce que c’est la première série TV sur laquelle vous avez travaillé ?
W. S. : Non, j’avais déjà beaucoup travaillé sur des séries et des films avant Game of Thrones. J’avais notamment été sur trois films que Neil Jordan réalisait1 – j’ai d’ailleurs travaillé sur l’un d’eux pendant que j’étais sur Game of Thrones. J’avais auparavant travaillé sur pas mal de films indépendants. J’avais également déjà travaillé sur une grosse série avant Game of Thrones, celle des Tudors – et pour un réalisateur qui était spécifiquement venu me chercher, ce qui fait toujours plaisir. J’en avais également fait une autre, une série de la BBC qui se déroulait en Irak, mais dont j’ai oublié le nom…2. Bref j’avais une bonne expérience avant d’arriver sur Game of Thrones
Concernant Game of Thrones, je vous raconte :
À l’époque, je travaillais sur le film Votre Majesté, qui était une comédie assez loufoque. Le producteur de cette comédie, Mark Huffam, est venu me voir et m’a demandé si je pouvais travailler en extra sur un autre projet à côté, une série télévisée. Je lui ai demandé sur quoi. « Oh je n’ai pas le droit de te dire. Mais est-ce que tu veux tester ? ». Je lui ai demandé le sujet. « C’est de la fantasy médiévale ». Et j’ai accepté. J’ai donc commencé à dessiner des loups géants, des châteaux, quelques décapitations. J’ai rendu le travail, mais je n’avais aucune idée d’où cela allait mener.
Je suis retourné sur Votre Majesté. Environ au milieu de la production du film, Mark revient me voir, et on me dit « Ça y est, Game of Thrones va être lancé ! ». Ah, c’est donc sur ça que j’avais travaillé ! Mais est-ce que cela voulait dire que j’avais un boulot ? « Oui ».
↑GdN : Pouvez-vous nous parler un peu plus en détail de votre travail sur la série ?
W. S. : Mon premier job sur la série, ça a été du concept art. C’était sur l’épisode-pilote, et il n’y avait que moi sur le projet, ils n’avaient pas vraiment d’autres artistes alors.
La première chose qu’ils m’ont demandée, c’est si je pouvais dessiner les armes. J’ai donc fait les premiers designs d’Aiguille, de Glace et de Grand-Griffe, des armes dothrakis et des armes Lannister, ou encore le poignard qui devait tuer Bran. Et une fois que j’ai fini, mon travail a directement été intégré à la série : l’épée Glace de la série TV est celle que j’ai dessinée, et qu’ils ont fabriquée pour l’épisode-pilote !
J’ai aussi planché sur le design des Marcheurs Blancs. L’illustration de couverture du livre, c’est le premier tableau des Marcheurs Blancs que j’ai fait. Je me suis appuyé sur le seul petit paragraphe que George avait écrit dans le premier livre, parce qu’on ne les revoit plus après. Et c’était vraiment très intéressant à faire. Bien sûr, le rendu des Marcheurs Blancs à l’écran est différent, mais j’ai continué à les dessiner à ma façon, selon ma propre vision (c’est le plus important pour moi). J’ai donc fait toute une série de dessins sur les Marcheurs Blancs.
J’ai également dessiné plusieurs carrosses pour Cersei. J’ai aussi aidé pour certains éléments d’armure, comme les casques.
Finalement j’ai fait des choses très différentes.
↑GdN : Et ce n’est qu’après que vous vous êtes attelé au storyboard ?
W. S. : Pas après, mais en même temps. J’ai fait les storyboards du pilote également, en même temps.
Ils étaient contents de mon travail, et quand la série a été commandée, j’ai été officiellement engagé comme storyboarder, mais un storyboarder qui faisait aussi un peu de concept art. Quand ils avaient besoin de quelque chose de rapide, comme la corneille à trois yeux par exemple, ils venaient vers moi, et je le faisais. Ça ne veut pas dire que ce que vous voyez à l’écran est la transposition exacte de mon travail, mais j’y ai participé.
↑GdN : Le métier de storyboarder n’est pas forcément bien connu du grand public. Comment les storyboards aident-ils à tourner une scène ?
W. S. : Pour faire simple, le storyboard est en quelque sorte la version en BD de ce que nous allons voir à l’écran. C’est une sorte d’étape, de transition entre le script et le rendu à l’écran. Il faut que [les planches] soient claires. C’est aussi un travail qui doit donner une importance particulière à ce que seront les mouvements de caméra. Le storyboard doit aussi donner corps à l’aspect dramatique de l’histoire et à sa progression. C’est une étape vraiment nécessaire, qui permet de faire tous les essais nécessaires à peu de frais, parce que le plus souvent, ça ne réunit que moi et le réalisateur. Pas besoin de convoquer toute l’équipe de tournage pour tester des angles de vues, les scènes, les costumes, etc.
Sur Game of Thrones, il y a pas mal de séquences où ce que l’on voit à l’écran est très proche de ce que j’ai fait.
↑GdN : Vous qui avez beaucoup travaillé sur les comics, et étant donné que George R.R. Martin est un grand fan de comics, est-ce que vous sentez dans l’écriture de ses livres (ou bien dans la façon de porter le livre à l’écran), une influence des comics ?
W. S. : Ah c’est intéressant, je crois que je n’ai jamais eu à penser à ce genre d’influence. Je viens du milieu des comics, mais j’ai aussi beaucoup travaillé sur des séries et des films, et le travail est différent entre les deux. Les influences dans les films ou séries viennent surtout beaucoup d’autres films ou séries, mais c’est vrai que l’on peut ressentir certains traits de comics. Mais l’influence des comics peut aussi venir de films ou de séries. Si je prends mon cas personnel, j’ai grandi avec une quantité faramineuse de films. Quand j’étais petit, je regardais souvent la télévision le samedi après-midi. Beaucoup de films de guerre, de westerns. Je les avais aussi en tête quand je travaillais sur mes comics. Mais j’ai aussi été influencé par d’autres artistes [de comics].
Je pense que George se nourrit aussi de tout ce qu’il a pu lire ou voir. J’étais à un panel avec lui cet été [à Dublin, pendant la WorldCon 2019, ndlr], c’est typiquement le genre de question que j’aurais dû lui poser. Surtout que ses œuvres ont été adaptées en comics.
On avait discuté avec David et Dan (Benioff et Weiss, les deux showrunners de la série, ndlr) de faire quelque chose comme un roman graphique, mais George avait toujours tous les droits sur les impressions, donc on ne pouvait pas. Mais j’aurais vraiment adoré faire cela ! Finalement le livre des storyboards est la version la plus proche de ce projet.
↑GdN : Merci de nous avoir accordé ce temps !
Propos recueillis par Babar des Bois
- 1 William Simpson a notamment travaillé sur Breakfast on Pluto (2005)
- 2 Il s’agit de la mini-série Occupation (2009).