[Auteur] Timothée de Fombelle

Alma, tome 1 : le vent se lève, de Timothée de Fombelle

C’était splendide.

De la littérature jeunesse de 400 pages, et c’est le tome 1 d’une trilogie. Un cadre historique grave et dramatique (l’esclavage, le commerce triangulaire). Deux personnages principaux (et un troisième un peu plus en retrait) dont les histoires ne sont pour l’instant connectées que d’assez loin. Ambitieux, pour un roman jeunesse.

Et oui, cette trilogie est clairement très ambitieuse. Je ne connaissais pas Timothée de Fombelle, donc parlons d’abord de la grosse claque, de ce qui justifie ce « c’était splendide »: le style.

C’est brillant et limpide, c’est imagé et formidablement ouvragé, c’est de la littérature jeunesse qui prend son lectorat très, très au sérieux de ce côté là (y compris côté vocabulaire, souvent très précis). Pour autant, ce n’est pas de l’esbrouffe, du style pour le style, non ; c’est une narration qui reste sur un rythme égal tout du long, mais qui nous submerge inexorablement, vague après vague, comme une marée montante. C’est d’autant plus impressionnant, pour moi, que c’est une narration au présent, avec un narrateur externe, deux choses qui depuis plusieurs années ne me convainquaient guère.

Vous pouvez feuilleter le début du livre ici, pour voir de quoi je parle.

Parlons du fond, maintenant.

Est-ce qu’Alma est un livre historique? Non, c’est un livre d’aventure en cadre historique, et aussi un livre de fantasy très light, mais il faut attendre la page 211 pour en avoir confirmation, même si on peut s’en douter un peu avant.

Le gros de l’intrigue reste historique, néanmoins. On suit donc trois personnages principaux:

Alma, jeune fille noire du peuple Oko, âgée de 13 ans. Elevée par ses parents à l’écart du monde, elle part à la recherche de son frère qui s’est enfui pour voir ce monde mystérieux que leurs parents cachent, au travers des paysages africains.

Joseph Mars, mystérieux jeune garçon blanc de presque quatorze ans, qui s’infiltre sur La Douce Amélie, un navire négrier en partance pour l’Afrique, qui est lui aussi plein de secrets.

Et, dans une moindre mesure, à la Rochelle, Amélie Bessac, la jeune fille blanche qui a donné son nom à La Douce Amélie, qui est donc la fille de l’armateur du navire, et qui se pose des tas de questions sur ce que son père et son comptable/homme de confiance bricolent, tout en essayant de décourager les avances dudit comptable.

Trois personnages, qui ont chacun leur histoire, mais qui nous permettent aussi d’avoir un point de vue sur trois scènes du commerce triangulaire – les victimes, les marins, les armateurs.

Trois personnages qui, pour le coup, sont carrément « bigger than life », peut-être un peu trop pour être crédibles d’un point de vue d’adulte, d’ailleurs: ces trois adolescents sont absolument brillants, surarmés et sur-adaptés pour non seulement survivre à leur environnement respectif, mais aussi pour le dominer. Mais ça, c’est mon point de vue d’adulte, et juger la crédibilité des héros de littérature jeunesse d’un point de vue d’adulte est toujours un jeu un peu vain. Au passage, même s’ils sont surdoués, ces persos n’en sont pas pour autant sans défauts ou sans angles morts – j’ai d’ailleurs très hâte de voir ce que va devenir Amélie Bessac, à ce niveau, la position dans laquelle son personnage est apporte dans cette histoire quelques chose de très intéressant.

Ce que je reproche aux personnages peut aussi être appliqué au scénario: si le mystère autour de la Douce Amélie marche parfaitement d’un point de vue narratif (on a envie de lire pour savoir de quoi il retourne), ça marche moins bien quand on prend du recul et qu’on s’interroge sur la crédibilité de tout cela. Mais bon, là encore, mon point de vue est celui d’un adulte, et qui plus est même entre adultes on peut facilement discuter de ce qui est crédible ou pas.

Bref: des personnages qui peuvent faire rêver les adolescents, un cadre historique très bien documenté, trois histoires en une, du suspense, des mystères en pagaille, une toute légère dose d’imaginaire qui est injectée tardivement mais qui apporte un peu de rêve à tout cela, une volonté de prendre au sérieux les lecteurs et lectrices et de leur faire ressentir la réalité de l’esclavage sans pour autant la montrer trop crûment et être dans la surenchère de violences et d’horreurs, le tout enveloppé dans un style éblouissant.

Ce tome 1 était excellent, je lirai la suite (tome 2 déjà sorti, tome 3 prévu pour 2023).