[DOH8] Tour 1 – Justice : Étage des Mestres

C’était en fin de matinée, alors que Quentyn était plongé dans ses livres et parchemins, qu’on était venu frapper à sa porte. Le sergent d’armes qui l’avait arrêté s’était montré hostile, mais pas brutal, et il s’était laissé emmené en cellule sans force ni violence. À son passage, solidement escorté et avec aux poignets des menottes qu’il n’avait pu éviter, les regards de ses confrères se partageaient entre surprise, incompréhension et hostilité. Ces gens avec qui il avait travaillé depuis tant d’années le regardaient désormais comme un ennemi. Sans doute certains étaient-ils déjà convaincus de la culpabilité de l’archimestre, tandis que d’autres ne savaient pas quoi penser. Peut-être même quelques-uns ne doutaient-ils pas de son innocence, mais cela était improbable en ces temps de méfiance généralisée.

La guerre, la menace approchante des Fer-nés… toute la Citadelle était déjà sur les dents. Avec cette série de meurtres, il fallait bien trouver un coupable. Et un Tully en faisait probablement un tout désigné. Sans doute oubliait-on que la truite était un poisson d’eau douce, qui goûtait peu le sel par lequel juraient les Fer-nés.

Depuis cette arrestation, il était au secret dans une cellule. Nul n’avait droit de venir le voir, ce qui avait au moins le mérite de cacher que personne ne viendrait… car qui voudrait se compromettre ainsi aux yeux de la Citadelle comme de la Couronne ? Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus de famille.

On lui avait à peine communiqué le motif de son arrestation. « Meurtre », lui avait-on dit. Mais de qui ? Il ne pouvait être accusé de tous : cela faisait beaucoup pour un seul homme en une seule nuit. Quentyn s’amusa lui-même, en se trouvant particulièrement bien reposé pour quelqu’un ayant commis sept assassinats. A ses questions, on lui avait répondu que le Conseil déciderait de son avenir, et que cela devrait le satisfaire. Le Conseil… il se trouvait une fois de plus en bute avec lui. Il se murmurait dans la Citadelle que s’il s’était conformé au Code, il serait lui-même au Conseil. Mais trop souvent il l’avait défié : on le qualifiait même parfois de « mestre gris ». Un récent affrontement, à propos de l’intégration et de la formation d’un acolyte que le Conseil avait jugé trop âgé, avait fait grand bruit au sein de l’Ordre.

Seul dans les ténèbres, il avait entendu des allers-retours après son propre enfermement. Deux autres prisonniers, apparemment… mais qui ? Étaient-ils accusés des mêmes crimes ? Étaient-ils coupables ou innocents ?

Cette cellule était bien désagréable, mais ce séjour serait bref, même si déjà la notion du temps se perdait. « Justice spéciale » : la procédure s’annonçait rapide. Sans doute n’aurait-il même pas de procès pour pouvoir se défendre. Tout dépendait du bon vouloir du Conseil et de ses confrères. Et Quentyn n’avait jamais été du genre optimiste.