Au lendemain de la diffusion de l’épisode 8 de House of the Dragon (lequel a très bien été chroniqué par Nymphadora juste ici), Entertainment Weekly diffusait un entretien avec la réalisatrice de la semaine, Geeta Vasant Patel. Elle est à ce jour à ce jour la seule metteuse en scène à n’intervenir que sur un épisode (mais quel épisode !). Pour rappel, l’équipe de House of the Dragon compte une autre réalisatrice, Clare Kilner, qui signe les épisodes 4, 5 et 9, mais aussi Greg Yaitanes (épisodes 2, 3, 10) et Miguel Sapochnik, un des deux showrunners de cette saison 1, chargé lui des épisodes 1, 6 et 7.
Ayant la lourde charge de succéder au conflit qui opposait les Noirs et les Verts lors de l’épisode précédent, Lamarck, la réalisatrice revient sur son épisode (avec spoilers, gare à vous !) auprès de Nick Romano (et non, ce n’est pas James Hibberd pour une fois !). Le journaliste avait eu l’occasion de se rendre sur le tournage de la série en septembre 2021 et après un petit échange sur la froide météo d’une journée à Peyredragon, voici peu ou prou ce que révèle l’échange.
↑Lumières, chutes de couronnes et temps réduits
Si Geeta V. Patel souligne l’importance de ce que représente ce tournage pour elle, elle souligne également le côté physique et fatiguant de l’expérience. Lorsque le journaliste l’interroge du coup sur son meilleur souvenir ou son moment préféré, elle révèle que c’est dans un plan tout simple où le côté technique répond à une ambition narrative, à savoir Rhaenyra qui regarde à travers la grille du carrosse lors de son arrivée à Port-Réal. En effet, l’enjeu de l’épisode pour la réalisatrice est de taille : faire en sorte que le spectateur puisse se placer tantôt dans la tête de Rhaenyra, tantôt dans celle d’Alicent. Et ce plan répond pour elle à l’émotion de la princesse lorsqu’elle revient au Donjon Rouge après plusieurs années, un lieu qu’elle a, peut-on dire, laissé derrière elle. Le jour du tournage, le temps était visiblement compté (comme toujours sur ce type de production), la lumière naturelle déclinait et le plan a donc été improvisé avec la directrice de la photographie Catherine Goldschmidt (qui a travaillé sur pas mal de séries anglaises, dont Doctor Who, ndlr). Le but était de se retrouver avec Rhaenyra et non pas seulement de la voir arriver. Une initiative payante puisqu’au final, de l’avis des deux femmes, elles n’auraient pu recréer le moment où la lumière du soleil effleure directement le visage d’Emma D’Arcy.
En parlant de temps de tournage et d’improvisation, Geeta V. Patel évoque la longue marche de Viserys vers le Trône de fer. Tout d’abord, car filmer cette marche leur a pris la journée, sans compter les heures de maquillage pour Paddy Considine qui incarne Viserys, mais aussi parce qu’elle tenait à filmer la marche en entier plutôt que de découper la séquence pour faire monter Viserys plus rapidement sur le Trône. Une initiative pour laquelle elle a du tenir tête notamment aux producteurs qui voyaient la journée se rallonger. En effet, la réalisatrice ayant un frère acteur, elle tenait particulièrement aux plans longs qui laissent de la place pour que les interprètes aillent un peu plus loin que ce qui est contenu dans le script.
Et à ce sujet, elle révèle qu’un des moments les plus intenses émotionnellement de cette marche est dû à une improvisation. « Alors que nous tournions le premier jour, la couronne est tombée de la tête de Paddy (Considine) et Matt (Smith) l’a ramassée avant de continuer. Nous n’avons pas coupé les caméras. Nous avons filmé les deux versions, l’une avec la couronne qui tombe et l’autre non. » raconte-t-elle avant d’ajouter qu’en salle de montage, ils avaient fait le choix le plus naturel. D’autant que Daemon devait donner un discours émouvant lors du dîner, discours qui a été coupé au final pour des raisons de durée de l’épisode (déjà le plus long de la saison 1 pour l’instant, ndlr). « Je suis heureuse que cet incident soit arrivé, que la couronne soit tombée car cela amorçait à mes yeux un tournant dans la trame narrative de Daemon qui avait débuté le pilote en voulant la couronne de son frère pour finir par lui remettre sur la tête en l’aidant à monter sur son trône. »
Elle ajoute également avoir changé la direction vers laquelle se dirige Viserys en cours de tournage. Le script mentionnait qu’il avait le Trône de fer en guise d’objectif mais la réalisatrice, prenant conscience qu’Emma D’Arcy se trouvait au centre de la pièce, a déporté cette attention sur Rhaenyra.
↑The King is dead, long live the queen ?
En parlant du défunt roi, elle ajoute que « la dernière scène a toujours été un test de Litmus ». Cette expression plutôt anglo-saxonne désigne un test chimique qui permet de révéler l’acidité d’un liquide mais pas son degré de pH, et, métaphoriquement, un facteur décisif pour porter une appréciation sur une personne ou une situation. On comprend mieux dès lors ce qu’elle entend quand elle raconte que chaque fois qu’elle et son équipe repensaient ou revoyaient la scène, elle se demandait : « Avons-nous ressentis ce que nous voulions ressentir ? Avons-nous ressenti la perte ? Qu’est-ce que Viserys avait raconté de toute son histoire ? Qu’il aimait sa défunte femme ? Qu’il aimait Alicent ? Et Rhaenyra ? Qu’il regrettait quelque chose ? Toutes ces épaisseurs à la personnalité de Viserys, les avons-nous mieux ou moins bien ressenties ? En ce qui me concerne, c’était le moment où je faisais à chaque fois le point avant d’aller parler avec Miguel et Ryan […] Même les acteurs essaient constamment de savoir si ce dernier moment a fonctionné. J’espère que c’est le cas, c’était en tout cas l’objectif que nous avions ».
Enfin quand on lui demande à qui s’adressent les dernières paroles de Viserys (My love/Mon amour, ndlr) entre Aemma, Alicent ou Rhaenyra, Geeta V. Patel répond que Paddy Considine lui a soufflé sa version mais qu’elle ne la révélera pas à sa place. La destinataire de la réplique reste donc pour l’heure un mystère.
↑Alicent : les amis, les amours, les emmerdes
Un autre point important pour Geeta Patel était la perception que le public pouvait avoir d’Alicent. Elle-même reconnaît qu’à la sortie de l’épisode 7, elle détestait le personnage. Et Miguel Sapochnik n’avait pas l’intention de lui donner la moindre piste au cours de sa propre réalisation sur la façon de travailler sur le personnage et sa relation à Rhaenyra. « Il fallait que leur amitié soit crédible. Il fallait prêter attention aux mots qu’elles ne se disent pas comme « Tu me manques » ou « Je me sens seule ». Trouver ces moments où cela apparaissait entre les lignes était vraiment quelque chose à laquelle nous tenions Ryan (Condal), Miguel (Sapochnik) et moi. »
Toutefois, l’amitié entre les deux reines est mise à rude épreuve au cours de l’épisode par leurs enfants. C’est d’ailleurs Geeta V. Patel qui a eu la primeur de tourner avec les nouveaux jeunes acteurs qui incarnent respectivement Aegon, Aemond, Helaena d’une part, Jacaerys, Lucerys et Joffrey d’autre part, mais aussi Baela et Rhaena. Elle raconte qu’elle ne s’est pas tant concentrée sur l’évolution des personnages mais plus sur la performance des jeunes acteurs. Elle avoue qu’Ewan Mitchell qui incarne Aemond est terrifiant et sinistre quand la caméra tourne, mais qu’en dehors, il est tout à fait charmant. Et concernant Aegon, elle ajoute qu’elle a essayé de faire ressentir sa solitude, notamment par un choix de focales (concerté avec Catherine Goldschmidt) qui l’isolaient des autres personnages. Geeta V. Patel est d’ailleurs heureuse d’avoir eu le temps de trouver cette petite astuce dans une production aussi énorme, toujours en mouvement et toujours en retard.
↑Dyana et les violences sexuelles
C’est également avec l’idée de réhumaniser Alicent qu’a été tournée la scène avec Dyana, la servante. Elle et Olivia Cooke ne se voyaient pas aborder la séquence avec une reine qui serait juste « un serpent froid et sans cœur ». C’est donc une approche plus compatissante qui a été choisie, tout en essayant d’amener un genre de quotidienneté, de montrer ce que c’était que d’être dans la peau de la reine verte le temps d’une journée (presque comme les autres).
Geeta V. Patel confirme au passage que Dyana a bien été violée, et qu’il s’agit bien de la scène évoquée par Sara Hess, scénariste des épisodes 6 et 9 et productrice déléguée, lorsqu’elle disait « Nous n’allons pas montrer toutes ces violences sexuelles envers les femmes. Nous avons une scène qui se passe hors-caméra et nous traitons plutôt la conséquence de cet incident. » La réalisatrice ajoute qu’elle a aimé explorer les nuances de gris qui vont de « Doit-on appeler la police ? » à « Ça arrive tous les jours » dans la société dépeinte à Westeros.
↑Conclusion : un travail d’équipe
Ce qui peut frapper également, et je l’avais évoqué lors des 7 raisons que nous rendaient optimistes pour House of the Dragon, c’est la place du travail en équipe qui transpire tout au long de l’interview. Geeta Patel n’a de cesse de se référer, en plus des acteurs, à sa directrice de la photographie Catherine Goldschmidt comme aux deux showrunners, Ryan Condal et Miguel Sapochnik. Concernant ces derniers, ils semblent plus être dans la concertation que dans la direction, comme pouvaient l’être Benioff et Weiss sur Game of Thrones, et ce type d’entretiens, au-delà de ce qu’il révèle de l’épisode 8, montre aussi que les mentalités du monde du cinéma et des séries sont en train d’évoluer… et ça fait plaisir !