Le haut lieu de la vie de débauche de Port-Réal est sans aucun doute « Chez Chataya ». Cet établissement luxueux, hors de portée de la plupart des bourses, propose les plus belles filles de la capitale dans un cadre somptueux. Mais entre ses murs se déroulent également de nombreuses intrigues et ses alcôves attirent des personnages qui a priori n’ont pas de motif de s’y trouver. La présente théorie, qui est plus proche de l’hypothèse amusante que des faits clairement prouvés, va se pencher sur un de ces petits mystères.
« Un bordel, dit Bronn. Qu’allez-vous foutre là-dedans ?
– Que fout-on d’habitude dans un bordel ? »
Image d’en-tête : Kimberley Pope
↑Un beau bordel
« Chez Chataya » est le plus bel établissement du genre de la capitale. Ce bâtiment a son entrée indiquée, comme toutes les maisons de plaisir, par une lanterne teintée en rouge. Mais le métal y est ici doré, le rez-de-chaussée construit en pierre et l’étage en bois décoré d’une tourelle dans un angle. Donc n’entre pas qui veut, il faut de l’or, du pouvoir. À l’intérieur, il se distingue des autres par son faste et son coût. Les filles et la décoration y sont magnifiques, exotiques, luxueuses et ruineuses. De nombreux personnages, comme Bronn ou Anguy l’Archer, vont y dépenser des sommes indécentes pour profiter des talents des prostituées les plus expertes.
Cependant, on découvre le lieu pour la première fois dans un chapitre d’un personnage qu’on ne peut guère suspecter d’être un client assidu, Eddard Stark. Si Ned s’y rend, c’est guidé par Littlefinger et remontant les pistes laissées par Jon Arryn et Stannis Baratheon, afin de rencontrer une jeune prostituée rouquine et sa fille aux cheveux noirs, Barra, fille bâtarde du roi Robert. Avec les conséquences que l’on sait. Eddard échoue à protéger le rejeton de son ami car Cersei, pour garder le secret de la bâtardise de ses enfants, les fait disparaître. Tyrion s’attire l’amitié de la maîtresse des lieux, la belle Estivienne Chataya, en châtiant les responsables.
Ce même Tyrion, avec l’aide de Varys, de Chataya et de sa fille Alayaya, utilise ensuite l’établissement comme couverture pour rencontrer en secret Shae, cachée dans une maison de la ville loin des manigances de Cersei et surtout de la colère de son père Tywin, qui lui a formellement interdit d’amener la prostituée à la capitale. Un passage secret mène de la chambre de la tourelle à une étable située plus loin, ce qui permet de faire croire que le Lutin est occupé au bordel alors qu’il est avec celle qu’il aime. Mais la guerre pousse Tyrion à cacher Shae en sécurité au Donjon Rouge comme suivante de Lollys Castelfoyer. Cersei capture Alayaya, croyant que celle-ci est la putain de Tyrion, et Tywin la punit publiquement avant de la relâcher. Cette intrigue prend fin avec la mort ou la fuite des protagonistes, et on n’en entend plus guère parler.
Mais une petite information, en apparence anodine, est lâchée par Varys :
– Comment se fait-il qu’un bordel dispose d’une entrée secrète ?
– Le tunnel fut creusé pour une Main du roi à qui son honneur interdisait de pénétrer ouvertement dans une telle maison. Chataya n’en a jamais trahi l’existence.
– Et cependant, vous êtes au courant.
↑Un p’tit coup de Main?
Varys lâche donc que le tunnel aurait été construit par une Main du roi. L’eunuque peut évidemment mentir, comme souvent, par exemple pour tenter de perturber Tyrion. Mais les meilleurs mensonges sont souvent émaillés de vérité, et l’idée est crédible. Une Main du roi est sans doute un des seuls personnages capables de faire construire en toute discrétion et à grands frais un tunnel sous les rues de la capitale. Des Mains, il y en a eu passablement en 300 ans. Mais « Chez Chataya » n’est pas présenté comme un établissement transmis d’un propriétaire à l’autre depuis fort longtemps, comme pourrait l’être l’Auberge du carrefour par exemple. Et il ne semble pas très ancien : Chataya déclare l’avoir amené à être ce qu’il est elle-même par son long labeur. Et c’est elle qui est la gardienne du passage secret, un tunnel en terre tout simple qui mène à une étable, un type de bâtiment en bois qui en principe ne reste pas debout des décennies dans une cité. Bref, le passage n’a pas l’air d’avoir été fait pour durer. Une Main qui aurait financé l’Estivienne serait une bonne explication pour le développement de son commerce de luxe.
Donc, si l’on part du principe que la Main en question est récente, cela ne laisse que deux candidats crédibles. En effet, durant les quarante dernières années, seuls deux Mains ont véritablement eu le temps et les moyens de se lancer dans un tel projet, Jon Arryn et Tywin Lannister. Owen Merryweather, Jon Connington, Qarlton Chelsted et Rossart n’ont pas tenu bien longtemps avant de se faire éjecter par le roi fou Aerys II.
Jon Arryn pourrait être cette Main. « Aussi haut qu’honneur » est la devise de sa maison, il est uni par un mariage politique avec une Lysa Tully pour qui il n’a jamais eu d’affection particulière. S’il est avec son épouse aimable et galant, au lit, nous dit-elle, il accomplit ses devoirs pour assurer sa descendance, et se montre froid. Est-ce vraiment l’attitude d’un homme savourant les plaisir de la chair ? (On peut aussi imaginer que Lysa n’inspire pas grand chose à Jon Arryn.)
Et surtout, Jon Arryn s’est bel et bien rendu dans l’établissement en compagnie de Stannis Baratheon, voir la petite Barra. Sauf que justement, à cette occasion, Jon Arryn se montre très peu discret :
— Le garçon dit qu’ils se rendaient dans un bordel.
— Un bordel ? s’étrangla Ned. Le seigneur des Eyrié, Main du Roi, se rendait dans un bordel en compagnie de Stannis Baratheon ?» […]
« Le garçon maintient que c’est la vérité. Il précise même que la Main se faisait escorter de trois de ses propres gardes, lesquels en faisaient assez de gorges chaudes pour sa gouverne quand ils lui ramenaient les bêtes, après coup.
Pourquoi se montrer si peu discret ? Si vraiment Jon Arryn avait ses entrées dans ce bordel, pourquoi attirer l’attention inutilement, en multipliant les témoins (bavards, qui plus est) au lieu de procéder discrètement comme la situation l’exigerait ?
Jon Arryn peut donc sembler hors de cause… Étrangement, il y a plus d’éléments pour nous aiguiller vers quelqu’un qu’a priori on ne soupçonnerait pas de fréquenter les prostituées, Tywin Lannister.
↑Où vont les prudes ?
On peut se demander d’où vient l’idée d’impliquer Tywin dans une histoire le liant à des prostituées. Les passages sont nombreux où il fustige Tyrion sur ses mauvaises habitudes.
– Si tu te figures que tes putains aient envie de toi dans leur lit, tu es encore plus toqué que je ne soupçonnais, dit lord Tywin. Tu me déçois, Tyrion. J’avais espéré que ce mariage te ferait plaisir.
ASOS, Tyrion III
Il interdit formellement à son fils d’emmener Shae à la cour.
« Un dernier détail. » Il se tenait déjà sur le seuil. « Tu n’emmènes pas ta pute à la Cour. »
Le lecteur, tout comme Tyrion, tombe donc un peu des nues quand il trouve Shae dans le lit de Tywin. Ce n’est pas son genre ! Et pourtant, une analyse plus fine montre que Tywin n’est pas contre la prostitution par principe, contrairement à un Baelor ou un Stannis qui la font interdire. On ne va pas entrer ici dans les détails de la psychologie du personnage, ni dans les relations si particulières de la famille Lannister. Tout l’or de Castral Roc ne suffirait pas à payer l’armée de psys nécessaire à démêler leurs dysfonctionnements. Mais rappelons que Tywin a été profondément marqué par les errements de son père Tytos qui humilia sa maison par son comportement indécent, qu’il a toujours cherché à réaliser de grandes choses pour elle et ses descendants. Pour autant, Tywin est conscient que les hommes ont des besoins à satisfaire et que les prostituées ont leur utilité :
« Ton goût des putains est une faiblesse intrinsèque, lui assena lord Tywin tout à trac, mais peut-être y ai-je ma part de reproche. À te voir pas plus haut qu’un gosse, j’ai eu un peu trop tendance à omettre que tu es un homme fait, soit sujet aux besoins les plus bas d’un homme. Il est plus que temps de te marier. »
Tywin serait donc davantage outré par le fait que Tyrion s’amourache de prostituées et le fasse publiquement. Lui, en tout cas, est capable de satisfaire ses besoins avec Shae. Dès lors, s’il l’a fait une fois, il possible qu’il l’ait également fait par le passé. Tyrion, par la suite, finira aussi par se dire qu’il connaissait mal son père :
« J’ai également tué Shae, confessa-t-il à Varys.
— Vous saviez ce qu’elle était.
— Oui. Mais pas ce qu’il était, lui. »
Varys gloussa. « Et maintenant, vous savez. »
On remarque également que le texte lie Tywin Lannister à « Chez Chataya » par des petits éléments dont George R.R. Martin aime truffer ses livres. L’entrée est ornée d’une lanterne rouge et or et la chambre privée est décorée de carreaux de mêmes couleurs. Des teintes qui ne détonnent pas dans un tel établissement, mais qui sont comme par hasard celles de la maison Lannister, faisant de la tourelle une sorte de Tour de la Main miniature. Une private joke entre la tenancière et son patron ? Tywin fait punir Alayaya en la fouettant et en la jetant nue dans les rues de la ville pour avoir partagé le lit de Tyrion. Certains y voient un argument contre le fait que Chataya et lui ait pu avoir un secret commun. Mais si on prend en compte le fait que Tywin est prêt à exécuter une putain amenée à Port-Réal, et sur une échelle allant de 1 à Tysha, qui s’était faite violer par toute la garnison, la sanction est en fait assez clémente. Alayaya est fouettée avec retenue puisque, à part quelques cicatrices sur le dos, elle peut rapidement reprendre son travail et partager la couche d’Oberyn Martell. Une menace et un message cruel dans la droite ligne de ce que pourrait faire Tywin pour rappeler à Chataya qu’ils avaient un accord sur l’image de respectabilité de la maison Lannister.
Dernier petit détail, une anecdote est fournie sur l’âge de l’une des pensionnaires les plus convoitées, la belle Marei, une prostituée aux yeux verts qui font le charme des descendants de Lann le Futé. Cette dernière est à peine plus âgée que Shae, née vers 280-281. Or, Tywin est Main du Roi à cette période et a laissé sa femme loin de la capitale, sans doute pour la protéger des avances d’Aerys.
Certes, tout cela n’est que pure spéculation. Mais il serait tout de même assez amusant que Tyrion, dont on dit qu’il tient le plus de Tywin, partage également avec lui ce besoin de fréquenter les prostituées, et qu’en sus de ne point chier de l’or, le sire de Castral Roc ne soit pas non plus de marbre face à une fille de joie.
Pour écouter le format audio :
Dudul Rivers
Excellent ! ça confirme pas mal de doutes. je trouve cela, personnellement, fort probable. Tywin n’en demeure pas moins un homme avec ses besoins. En effet, s’il l’a fait avec Shae une fois, pourquoi pas d’autres fois filles…
Bel article, une fois de plus. 🙂
BriceLaMalice
La fiabilité annoncée de 3 sur 5 ne m’empêchera pas d’adhérer à cette théorie plutôt cocasse. Ce serait ironique et comique que Tywin ait déployé tant de moyens pour s’assurer la présence d’un établissement de plaisirs à portée de main, alors qu’en parallèle il fustige Tyrion pour ce même goût affiché bien trop publiquement et grossièrement. Comme dit dans l’article, il n’est pas Stannis qui semble dépourvu des besoins d’un homme normal ainsi que de l’attrait pour le sexe opposé, ce serait d’autant plus logique que cette hypothèse soit vraie à la lumière de ce qu’on apprend du personnage par la découverte que fait Tyrion dans le lit de son père.