Depuis qu’elle a été citée dans la série, la Compagnie Dorée est l’objet des interrogations des spectateurs : qui est-elle ? D’où vient-elle ? Peut-elle faire basculer le destin du Trône de Fer ? Cette compagnie de mercenaires est une des rares nouveautés qui font leur apparition dans cette huitième et dernière saison de Game of Thrones, alors que tous les autres enjeux et arcs narratifs arrivent à leur fin.
C’est pour nous l’occasion de revenir sur cette compagnie de mercenaires telle qu’elle est présentée dans les livres et dans la série.
Cet article est le premier volet d’un diptyque consacré à la Compagnie Dorée, le deuxième se focalisera sur les exemples historiques qui ont pu inspirer George R.R. Martin.
Illustration de couverture : Aigracier et la Compagnie Dorée, par Marc Simonetti (TWOIAF) ; montage par Thistle et Babar des bois.
↑Dans la série : à la rescousse de Cersei ?
La toute première fois que nous entendons parler de la Compagnie Dorée dans la série, c’est dans la saison 4. Davos pousse alors Stannis Baratheon à l’engager pour l’aider dans la conquête du Trône de Fer, mais Stannis refuse, mettant en avant la mauvaise réputation des compagnies de mercenaires et leur statut indigne d’après lui : louer son épée pour de l’argent, plutôt que de se mettre au service d’une cause par loyauté, cela ne rentre pas dans ses valeurs (on notera l’ironie mordante, ou la folie du personnage qui finira par sacrifier sa propre fille dans sa course au trône).
Il faut ensuite attendre la saison 7 pour en entendre à nouveau parler. La Compagnie Dorée devient alors un enjeu militaire pour Cersei qui, si elle siège sur le Trône de Fer, commence à manquer d’hommes, ce qui ne s’arrangera pas après la bataille de l’épisode 3. Sa légitimité reste fragile, elle a besoin de troupes fraîches pour maintenir son pouvoir face au Bief et à Dorne qui viennent de s’allier avec la reine Daenerys Targaryen. Mais pour cela, il lui faut de l’argent, et la Couronne est fortement endettée envers la Banque de Fer de Braavos. La prise de Hautjardin permet à Cersei de mettre la main sur la fortune des Tyrell, d’éponger ses dettes et de contracter de nouveaux emprunts pour engager la Compagnie Dorée. Nous en savons alors un peu plus sur cette troupe : forte de 20 000 hommes et disposant d’éléphants, elle a la réputation d’être la meilleure compagnie d’Essos. Euron Greyjoy, allié de Cersei, part avec sa flotte en Essos pour la ramener.
Le premier épisode de la saison 8 nous montre enfin cette glorieuse compagnie, menée par un jeune et fringuant Harry Paisselande dans son armure dorée. Elle arrive bien à Port-Réal. Mais sans éléphant. Le budget est déjà passé dans les batailles et les dragons. Je compatis à la douleur de Cersei.
Le choix de reprendre le nom de « Compagnie Dorée » pour désigner cette armée tient à plusieurs éléments. Elle a d’une part déjà été introduite, bien qu’allusivement, dans la série. De plus, les showrunners jouent sur le fait qu’elle existe pour les lecteurs depuis des années, et que son histoire s’est diffusée sur la toile, même auprès des spectateurs n’ayant jamais lu les livres. Ils en font ainsi une troupe d’élite dans la série, dont l’équipement fait écho à celui des Spartiates Immaculés, et dont les costumes reprennent un mélange d’antiquité et d’orientalisme (les armures de bronze, rehaussées de couleurs d’or, le pantalon bouffant, le casque qui ressemble un peu à un mélange de casques assyriens et spartiates).
↑Et dans les livres alors ?
C’est dans le quatrième tome, A Feast for Crows, que le lecteur entend parler de la Compagnie Dorée pour la première fois. Elle nous est alors d’emblée présentée comme particulière au sein des autres compagnies de mercenaires d’Essos :
« Je le croirais volontiers de n’importe laquelle des autres compagnies libres, ça oui. La plupart d’entre elles changeraient de bord pour un demi-liard. La Compagnie Dorée, c’est une autre affaire. Une fratrie d’exilés et de fils d’exilés qu’unit le rêve d’Aigracier. C’est à leur patrie qu’ils aspirent, tout autant qu’à palper de l’or. »
(AFFC, le chevalier souillé)
L’histoire de la Compagnie Dorée est intrinsèquement liée à celles des rébellions Feunoyr, des guerres menées par une branche bâtarde de la maison Targaryen (les Feunoyr) contre la branche principale, entre 196 et 260 apr.-C. (encore une histoire de légitimité au Trône de Fer, tiens donc).
À l’origine de cette histoire, il y avait Aegon IV Targaryen, un roi particulièrement charmant (non) qui, sur son lit de mort en 184 apr.-C., décida de légitimer tous les bâtards qu’il avait eus au cours de sa vie. Un bon paquet, parmi lesquels Daemon Feunoyr, Aegor Rivers, ou encore Brynden Rivers (la corneille à trois yeux des livres), retenez ces noms. Daemon était l’aîné des Grands Bâtards (les bâtards issus de mères nobles). Né Daemon Waters, il avait pris le nom de « Feunoyr » en référence à l’épée en acier valyrien que lui avait remise son père quelque temps auparavant. Épée ancestrale des Targaryen, elle avait été portée par l’ensemble des rois de la dynastie Targaryen depuis Aegon le Conquérant.
Passons rapidement sur les douze années qui suivirent la mort du roi Aegon IV et sur le début du règne de son fils légitime Daeron II, ainsi que sur les raisons des tensions qui émergèrent entre Feunoyr et Targaryen (à lire dans cet article de l’encyclopédie), pour arriver directement à la première rébellion Feunoyr en 196 apr.-C., qui culmina avec la bataille du Champ d’Herberouge. Là, les troupes des Targaryen menées par les princes Baelor et Maekar Targaryen défirent les troupes Feunoyr, tuèrent Daemon Feunoyr et ses fils aînés, et mirent en fuite les survivants. Ces rescapés, sous la conduite d’Aegor Rivers, regagnèrent Essos et leur exil.
Après une 2ème tentative, les partisans Feunoyr (dont beaucoup étaient des guerriers), exilés depuis longtemps en Essos, se dispersèrent de plus en plus et perdirent en influence. C’est alors qu’Aegor Rivers, un des partisans originels de la première rébellion, décida de les rassembler en fondant sa propre compagnie de mercenaires en 212 apr.-C. : la Compagnie Dorée. Elle servit de point d’appui stratégique pour les rébellions à venir, réunissant les exilés, ainsi que de force militaire essentielle pour lancer les tentatives d’invasion des Sept Couronnes. L’objectif d’Aegor, surnommé « Aigracier », était clair : prendre le Trône de Fer, renverser les Targaryen, et placer un prétendant Feunoyr à la tête des Sept Couronnes.
« Sous l’or l’aigre acier » est une des devises de la Compagnie. Elle fait clairement référence à son fondateur Aegor Rivers / Aigracier, qui, à sa mort, demanda à ce que son crâne soit conservé et recouvert d’or (la tradition perdure depuis pour tous les capitaines généraux de la Compagnie, d’où les crânes que l’on voit un peu partout sur les illustrations et sur les visuels de la série). La devise peut également souligner cette volonté de prendre par les armes le Trône de Fer. Leurs prétentions furent pourtant définitivement brisées en 260 apr. C., lors de la guerre des Rois à Neuf-Sous, ultime rébellion Feunoyr, au cours de laquelle Barristan Selmy tua Maelys Feunoyr, dernier descendant mâle de la lignée… La Compagnie Dorée perdit alors son objectif initial, mais elle survécut à la disparition des Feunoyr, et intégra définitivement le paysage d’Essos, passant des contrats avec les cités libres et servant dans leurs guerres. Au début de la saga, elle représente une importante force militaire, composée de 10 000 hommes, dont 500 chevaliers et 1000 archers, et de deux douzaines d’éléphants.
« Notre parole est d’or » est leur autre devise. Elle symbolise ce qui fait leur réputation dans la saga : la Compagnie Dorée ne brise jamais un contrat, une pratique qui est pourtant courante chez les autres compagnies libres, qui changent d’allégeance quand ils sentent tourner le vent en leur défaveur. Paradoxalement, c’est pourtant en ayant brisé le contrat qu’elle avait passé avec la cité libre de Myr qu’elle apparaît pour la première fois dans la saga : Martin aime jouer sur ces contradictions pour attirer l’œil du lecteur. Les personnages de la saga se demandent qui a bien pu accomplir cet exploit, et chacun imagine que son ennemi en est à l’origine : Cersei évoque Stannis, Arianne Martell est persuadée qu’il s’agit de son frère Quentyn, Daenerys qui est assiégée à Meereen parle des Volantains … La réponse nous est apportée dans le tome 5, A Dance with Dragons.
↑Pour aller plus loin
La suite parle des événements qui se passent dans le tome 5 de la saga.
« Certains contrats sont écrits à l’encre, et d’autres avec du sang. Je n’en dirai pas plus. »
(Illyrio Mopatis à Tyrion ; ADWD, Tyrion II)
La Compagnie Dorée a été engagée par Illyrio Mopatis, pour appuyer la cause de Griff le Jeune, qui serait en réalité le prince Aegon Targaryen, fils de Rhaegar Targaryen et d’Elia Martell. Considéré par tous comme mort lors du sac de Port-Réal alors qu’il n’était qu’un nourrisson, il aurait été échangé avec un autre nourrisson peu avant l’attaque du Donjon Rouge, et envoyé en Essos. Certains croient à cette histoire, d’autres, comme Tyrion, émettent un doute. Mais la Compagnie Dorée accepte le contrat, et soutient le débarquement du jeune homme à Westeros, en vue de conquérir le Trône de Fer. Une partie de ses forces s’est cependant pour le moment égarée dans les tempêtes et les Degrés de Pierre lors de la traversée de Volantis aux terres de l’Orage.
Dans ce jeu de fausses identités et de contrats brisés (qui font d’ailleurs écho aux deux devises de la Compagnie : « Sous l’or, l’aigre acier » et « Notre parole vaut de l’or »), les fans se sont longuement interrogés sur ce jeune Aegon et sur le sens de la phrase énigmatique que lance Illyrio à Tyrion. Ils ont alors commencé à scruter le texte de George R.R. Martin. Il en est ressorti une théorie solidement construite : cet Aegon serait un faux. Mieux encore (ou pire encore, c’est selon votre camp), il se pourrait qu’il soit un Feunoyr, descendant de Daemon par une branche féminine.
Si cette théorie se révèle être vraie, elle serait surtout importante pour le lecteur, et sur le plan symbolique uniquement : hormis Illyrio et son comparse Varys, et probablement Myles Tignac, le capitaine général qui signa ce « contrat de sang », et qui est mort peu avant le début de la saga, personne ne semble au courant de cette identité masquée. Contrairement aux lecteurs, les personnages de la saga n’ont eux pas autant d’indices à leur disposition.
S’il peut paraître étonnant, pour le lecteur, que la Compagnie Dorée soutienne la cause d’un prétendu prince Targaryen, alors qu’ils ont dans leur histoire cherché à les renverser, il faut se replacer dans le contexte de la saga. La Compagnie Dorée a été fondée 80 ans plus tôt : les premiers membres, les partisans des Feunoyr, sont morts. Des personnes totalement étrangères à cette lutte pour le Trône ont été intégrées dans les rangs de la Compagnie (Estiviens, Volantains, etc…). Enfin, depuis 260 apr.-C., leur cause initiale est enterrée avec la mort de Maelys Feunoyr. Quarante ans plus tard, au moment où se passe la saga, la grande majorité des soldats de la Compagnie, y compris les officiers, n’ont jamais connu de Feunoyr.
Aussi, lorsqu’on leur promet des richesses, des titres et surtout un retour sur la terre de leurs ancêtres, peu hésitent (la promesse du retour à Westeros est pour le coup très fortement ancrée parmi les officiers, en particulier). La Compagnie Dorée se détourne du plan initial d’Illyrio et Varys, qui était d’aller rejoindre Daenerys dans la baie des Serfs, pour se rendre directement à Westeros, et prendre le trône au nom d’Aegon VI Targaryen.
Pour finir, il pourrait être intéressant de se pencher sur les plans de Varys et Illyrio, et sur leurs objectifs (le forum explore de nombreuses pistes). A la manière de joueurs d’échecs, ils placent leurs pions sur l’échiquier des Sept Couronnes. George R.R. Martin a été un grand joueur d’échec, et il a même introduit un jeu qui y ressemble furieusement : le cyvosse. Comparer les plans de nos deux comparses à une partie de cyvosse est d’autant plus séduisant, que le jeu possède un pion éléphants (la Compagnie Dorée), un pion dragon (Daenerys qu’ils tentent de rattacher à leur cause), un pion cavalerie (les Dothrakis qu’ils ont tenté de manipuler). Mais on se rend compte assez rapidement que ces pions ne sont pas aussi dociles que ce qu’ils avaient pu espérer.
↑Conclusion
Voici donc un aperçu de la Compagnie Dorée et des manières dont elle est dépeinte entre la série télévisée et la saga littéraire. Il est très peu probable que dans la série, la Compagnie Dorée soit davantage qu’une compagnie de mercenaires d’élite. Les Feunoyr n’y ont jamais été introduits. Mais, on pourra tout de même s’interroger sur son rôle auprès de Cersei, et se demander si cette compagnie engagée avec de l’or uniquement lui restera fidèle, notamment face à un dragon …
Une question similaire de loyauté pourra se poser dans les livres, mais en des termes probablement différents. Une partie des membres de la Compagnie Dorée de la saga littéraire ont un attachement ancestral et personnel aux terres de Westeros : le contrat est signé davantage avec le sang qu’avec l’or.
Rendez-vous très prochainement pour parler des parallèles historiques entre cette compagnie et notre monde ;).