Précédemment, on vous parlait de la passion cachée de Loras Tyrell et Renly Baratheon et des désirs déçus d’Alyn Chantecoq pour Daemon le Jeune. Au passage, on avait évoqué nombre d’autres relations homosexuelles, plus ou moins explicites, plus ou moins avérées dans l’univers du Trône de Fer. Il y en a encore d’autres, mais la plus développée, c’est bel et bien l’amour tragique de Jon Connington pour Rhaegar Targaryen, un amour si fort qu’il perdure près de vingt ans après la mort de Rhaegar.
Une fois de plus, l’homosexualité de Jon Connington n’est jamais parfaitement explicitée, il faut la deviner. Certains indices sont subtils, d’autres plus évidents… Ce qui change par rapport à tous les autres cas de figure précédemment cités, c’est que Jon Connington est un personnage PoV : nous avons quelques chapitres dans la saga qui nous donnent son point de vue, qui nous révèlent ses pensées. Pour les autres personnages, George R.R. Martin nous donnait systématiquement des indices vu par le prisme (parfois déformant) de gens extérieurs aux sentiments ou à la relation en question. Pour Jon Connington en revanche, comme nous avons accès à l’intimité de ses sentiments, l’écriture de ces indices est forcément différente.
↑Jon qui ?
Tout d’abord, un très rapide rappel : si vous n’avez vu que la série, le nom de Jon Connington ne vous dira malheureusement rien. Il fait partie des personnages et des trames que les showrunners n’ont pas adaptés. Durant le règne d’Aerys II, Jon Connington est le jeune seigneur de la Griffonnière, dans les terres de l’Orage. Proche ami du prince Rhaegar, il reste fidèle au roi Aerys lorsqu’éclate la rébellion de Robert Baratheon. Le roi fait de lui sa Main pour réprimer la rébellion, mais lord Jon échoue à capturer ou tuer Robert lors de la bataille des Cloches ; les rebelles parviennent à se regrouper, les troupes royales sont défaites. Lord Jon est condamné par Aerys II à l’exil. Il part en Essos, où il devient mercenaire et meurt (soi-disant). Dans l’intégrale 5 de la saga, on découvre que lord Jon est toujours vivant et sous une fausse identité, il prépare Griff le Jeune à revendiquer l’héritage de ses ancêtres (Bon… comme vous le savez, il y a des doutes sur l’identité de Griff le Jeune, mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui).
La seule partie de sa trame narrative qui a été adaptée dans la série, c’est la contamination à une forme de lèpre appelée la grisécaille. Dans la série, Jorah Mormont l’attrape en saison 5 (et il en est miraculeusement soigné par Samwell en saison 7). Dans les livres, Jon Connington se retrouve lui aussi contaminé par ce mal incurable. Pas de remède miracle pour lui pour le moment. La maladie va placer une épée de Damoclès au dessus de sa tête : son temps est désormais compté, il va devoir précipiter des plans qui couvent depuis plusieurs années…
↑Des motivations
Jon Connington n’est pas un exilé ordinaire. Il ne cherche pas simplement à se venger et à récupérer ce qui lui a été ôté, sans quoi il ne servirait pas les Targaryen. Il a un motif plus profond, et avant même qu’il ne commence à l’évoquer, Tyrion lui-même semble l’avoir percé à jour :
Non, je ne peux pas prétendre que je connaissais le prince Rhaegar. Pas comme votre faux père l’a connu. Lord Connington était l’ami le plus cher du prince, non ? […] Un véritable ami, notre lord Connington. Il doit l’être, pour rester si farouchement loyal au petit-fils du roi qui l’a privé de ses terres et de ses titres pour l’envoyer en exil.
On se souviendra que rendre compte de « grandes amitiés » est un indice fréquent utilisé par Martin pour évoquer des relations homosexuelles.
Par la suite, Jon Connington confirme qu’il agit bien en souvenir de Rhaegar.
J’ai encore du temps. Assez de temps pour traverser la mer, revoir la Griffonnière. Pour exterminer une fois pour toutes la lignée de l’Usurpateur et placer le fils de Rhaegar sur le Trône de Fer.
Alors, lord Jon Connington pourrait mourir heureux.
Ainsi Robert m’a-t-il échappé, pour tuer Rhaegar au Trident. « J’ai failli le père, se jura-t-il, mais je ne faillirai pas le fils. »
Mais Jon Connington n’est pas seulement loyal à Rhaegar. Lui, qui est d’ordinaire si froid et cassant dans ses paroles, se révèle soudain tendre dans sa manière d’évoquer Rhaegar :
Les cloches ont sonné notre glas à tous, en ce jour. Celui d’Aerys et de sa reine, d’Elia de Dorne et de sa petite fille, de chaque homme loyal et femme honnête des Sept Couronnes. Et de mon prince d’argent.
« Mon prince d’argent » … C’est bien doux et poétique ! Parle-t-on ainsi d’un simple ami ? Ce n’est pas la seule fois où Jon se laisse aller au lyrisme, d’ailleurs. Juste après voir repensé aux années qu’il vient de passer en exil, il lui vient cette réflexion :
Je me suis élevé trop haut, j’ai aimé trop fort, j’ai osé trop loin. J’ai voulu saisir une étoile, j’ai surestimé mes capacités, et je suis tombé.
Qui donc a-t-il aimé ? Quelle étoile a-t-il voulu saisir ? Pas une femme, de toute évidence.
↑Le rapport aux femmes
Si les mots de Jon Connington pour Rhaegar débordent de tendresse, ceux pour parler de l’épouse de son prince sont beaucoup plus durs :
Jon Connington ne se souvenait que trop bien des noces du prince Rhaegar. Elia n’avait jamais été digne de lui. Dès le début, elle avait été frêle et souffreteuse, et l’enfantement l’avait encore affaiblie.
Jon Connington serait-il jaloux de celle qui a épousé Rhaegar ?
Avec septa Lemore, la seule femme de son groupe, il se montre moins dur, mais toujours aussi froid et distant :
Il s’était attaché à Lemore, mais cela ne signifiait pas qu’il avait besoin de son approbation. Elle avait eu pour tâche d’enseigner au prince les doctrines de la Foi, et elle l’avait accomplie.
Jon Connington ne s’est jamais marié… Et lorsqu’Haldon le Demi-Mestre le lui suggère, afin de nouer une alliance politique pour servir leur cause, il est irrité :
Jon Connington lui répondit par un long regard glacé. Par moments, le demi-mestre l’agaçait presque autant que le nain l’avait fait. « Je ne crois pas, non. » La mort me remonte à travers le bras. Aucun homme ne doit jamais le savoir, aucune épouse non plus.
Jon Connington veut tenir sa léprose secrète, ce qu’une épouse finirait forcément par savoir… mais cette léprose est récente. N’y-a-t-il pas aussi une volonté de ne pas trahir son amour pour Rhaegar en épousant une femme ? Or même en dehors du mariage, Jon Connington n’a visiblement aucun attrait pour les femmes.
Un indice apparaît dans un chapitre prépublié de TWOW :
Un autre indice nous est fourni lors d’un échange anodin entre Tyrion, Haldon Demi-Mestre et Rolly Canardière :
« Dites-moi, où vont les putes ?
— Ai-je l’air d’un homme qui fréquente les putains ? »
Canard eut un rire de dérision. « Il n’oserait pas. Lemore le contraindrait à prier pour recevoir pardon, le petit voudrait le suivre et Griff pourrait bien lui couper la queue pour la lui faire manger.
Bien sûr, « Griff » (aka Jon Connington) tient à la discrétion du groupe, il ne veut pas qu’on fréquente les prostituées… Mais sa réaction supposée tranche tout de même beaucoup, notamment avec celle d’Aegon, qui suivrait volontiers le mouvement. Un autre échange s’avère beaucoup plus explicite : les mots prononcés par le mercenaire Franklyn Flowers pour le saluer, et saluer ensuite Haldon :
« It’s worse than that, you bugger […] And Haldon, you icy cunt, good to see you too. »
« Pire encore que ça, ’spèce de bougre, […] Et Haldon, ’spèce de con frigide, c’est bon d’ te revoir, aussi. »
Haldon nous avait bien dit qu’il ne fréquentait pas les prostituées, d’où l’interpellation de Franklyn Flowers à son égard, « ’spèce de con frigide ». Mais pour saluer Jon Connington, Flowers ne parle pas de frigidité, il le traite de « bougre ». Bugger en vo. Un terme vieilli, qui peut se traduire par « sodomite » ou « enculé ». Difficile de faire plus clair ! Et même si on peut toujours se dire que Flowers est un rustre, il y a peu de chance qu’il choisisse ses mots au hasard.
↑Le rapport aux hommes
Le rapport de Jon Connington aux femmes est toujours froid et distant. C’est aussi un trait de sa personnalité d’être méfiant, orgueilleux, cassant. Il n’est pas vraiment meilleur avec les hommes : il est dur avec Tyrion, dont il n’apprécie ni la rouerie, ni l’impertinence. Il s’impatiente contre Haldon, voue une profonde rancœur à Varys, et se montre assez méprisant avec les hommes de la Compagnie Dorée :
Quels qu’aient pu être leurs pères ou leurs grands-pères à Westeros avant leur exil, les hommes de la Compagnie Dorée étaient désormais des mercenaires, et l’on ne pouvait pas se fier à un routier. […] Des fantômes et des menteurs, estima Griff en parcourant des yeux leurs visages. Les revenants de guerres oubliées, de causes perdues, de rébellions matées, une confrérie de perdants et de déchus, de disgraciés et de déshérités. Voilà mon armée. Voilà notre meilleur espoir.
Rhaegar mis à part, il n’y a qu’un seul autre personnage pour qui Jon Connington a une pensée tendre, et évidemment, c’est un homme. Myles Tignac, l’ancien capitaine-général de la Compagnie Dorée :
Douze ans ont passé depuis que vous avez chevauché avec la Compagnie Dorée et votre vieil ami est mort. »
Cœurnoir. Myles Tignac débordait tellement de vie la dernière fois que Griff l’avait quitté, que celui-ci avait des difficultés à admettre qu’il n’était plus.
[…]
La tente du capitaine général était en drap d’or, entourée par un cercle de piques surmontées de crânes dorés. […] « Lequel est Myles ? se surprit à demander Griff.
— Là. Celui du bout. » Flowers tendit le doigt. « Attends. Je t’annonce. » Il se glissa à l’intérieur de la tente, laissant Griff contempler le crâne doré de son vieil ami. Vivant, ser Myles Tignac avait été laid comme le péché. […] Myles, lui, avait été doté d’oreilles décollées, d’une mâchoire en galoche et du plus gros nez qu’ait jamais vu Jon Connington. Mais quand il vous souriait, plus rien de cela ne comptait. Cœurnoir, l’avaient surnommé ses hommes, à cause de l’emblème sur son bouclier. Myles avait adoré le nom et tout ce qu’il laissait entendre. « Un capitaine général se doit d’être craint, par ses amis et ses ennemis également, avait-il un jour avoué. Si les hommes me croient cruel, tant mieux. » La vérité était autre. Soldat jusqu’à la moelle, Toyne [sic] avait été farouche mais toujours juste, un père pour ses hommes et toujours généreux envers lord Jon Connington, l’exilé.
Encore une histoire « d’amitié » … Et des mots tendres dans une tête d’ordinaire si froide. Certains fans y voient le signe que Jon Connington aurait pu avoir une relation avec Myles Tignac, être son amant pendant les quelques années où il a fait partie de la Compagnie Dorée. Ce n’est pas impossible, mais ça reste une simple hypothèse, sans grande incidence : si Jon garde une certaine affection pour Myles dans ses pensées, c’est bien vers Rhaegar que ses souvenirs le portent inlassablement.
Une fois revenu à Westeros après douze ans d’exil, Jon Connington retrouve la demeure de ses ancêtres, La Griffonière. Il prétend alors vouloir se recueillir sur la tombe de son père, mais ce n’est qu’un prétexte :
Pourtant, quand ils se séparèrent, Jon Connington ne se dirigea pas vers le septuaire. En réalité, ses pas le menèrent jusqu’au toit de la tour de l’est, la plus haute de la Griffonnière. En grimpant, il se remémorait de précédentes ascensions – cent fois avec le seigneur son père […] et une (une seule !) avec Rhaegar Targaryen. Le prince Rhaegar et son escorte, au retour de Dorne, s’étaient attardés ici une quinzaine de jours. Il était si jeune, alors, et je l’étais davantage. Des jouvenceaux, tous les deux. Au banquet de bienvenue, le prince avait pris sa harpe aux cordes d’argent et joué pour eux. Une ballade d’amour et de destin funeste, se souvenait Jon Connington, et toutes les femmes dans la salle pleuraient quand il a reposé sa harpe. Pas les hommes, bien entendu. Et surtout pas son père, dont la terre était le seul amour.
Il est étrange ici de relever que Jon Connington ne parle pas de sa propre réaction à la ballade … Lui-même n’appartient pas vraiment aux groupes qu’il cite : il n’est pas une femme et n’était pas encore tout à fait un homme, comme il le disait juste avant, « un jouvenceau ». L’absence de réaction de son père semble toutefois sujet de sarcasme, de reproche plus que d’admiration… Était-il lui-même en train de pleurer ?
Une fois arrivé au sommet de la tour, ce n’est pas le souvenir de son père que Jon Connington invoque… C’est une fois de plus celui de Rhaegar :
« Votre père a de magnifiques terres », avait déclaré le prince Rhaegar, debout à l’endroit exact où se tenait Jon en cet instant. Et le jouvenceau qu’il était avait répondu : « Un jour, elles m’appartiendront toutes. » Comme si cela pouvait impressionner un prince qui devait hériter du royaume entier, de La Treille jusqu’au Mur.
Le jeune homme qu’était Jon Connington a tenté d’impressionner Rhaegar Targaryen. Sans doute était-il déjà tombé sous son charme à ce moment-là.
↑Conclusion
Lors d’une séance de questions-réponses en 2011, Martin a confirmé qu’un des personnages point-de-vue d’ADWD (intégrale 5) était gay (source en anglais : ici et là), sans préciser lequel … mais l’écriture cohérente du personnage de Jon Connington laisse peu de place au doute. Par la construction cohérente de ses personnages ou par des indices extérieurs, Martin parvient à nous transmettre des informations. Pour peu que le lecteur fasse l’effort de relever les indices et de recouper les informations, il parviendra à comprendre son intention.
Dans une des deux sources que nous mentionnons dans le paragraphe précédent, Martin explique la raison pour laquelle il a voulu avoir des personnages gays dans son œuvre :
I think it’s important to represent the full rainbow of humanity, whether it’s male or female, gay or straight, characters of color, et cetera. And with those characters who are part of those [marginalized] groups, I always try to have different types of people within those categories — some nice, some mean, some good, some bad — because at the end of the day I believe what we all are, fundamentally, is human.
***
Proposition de traduction :
Je crois que c’est important de représenter tout l’arc-en-ciel de l’humanité, que ce soit les hommes ou les femmes, les gays ou les hétéros, les gens de couleur, etc. Et avec ces personnages, qui appartiennent à des groupes [marginalisés], j’essaie toujours d’avoir différents types de gens dans ces catégories – des gentils, des méchants, des bons, des mauvais – parce qu’à la fin, je crois que nous sommes tous, fondamentalement, humains.
Oiseleur
Ah Jon Connington, le pigeon parfait pour Illyrio et Varys.
Freuxpensant
Un griffon au ramage de pigeon, engrisaillé de surcroit !
Va pas faire long feu, celui-là… 🙂