Année 211 après la Conquête. Les Sept Couronnes sont en proie aux troubles. Épidémie, canicule, rébellion … les tensions s’exacerbent alors que le nouveau roi, Aerys premier du nom, est faible, impopulaire et isolé. Quinze ans après la première rébellion Feunoyr, une nouvelle occasion semble se présenter de renverser la dynastie Targaryen.
Ce qui suit spoile la nouvelle L’Œuf de Dragon ; allez la lire si ce n’est pas déjà fait. ^^
Après avoir fait un rêve prophétique lui révélant l’éclosion d’un œuf de dragon dans un château blanc, Daemon le Jeune, aîné des fils survivants du premier Daemon Feunoyr, traverse le détroit pour lancer la deuxième rébellion Feunoyr lors d’un tournoi. Sa tentative nous est racontée en détail dans la troisième nouvelle des aventures de Dunk et l’Œuf, appelée en version originale The Mystery Knight (= le chevalier mystère). Ce titre renvoie tout autant au protagoniste, Dunk, qui se présente sous le sobriquet de Chevalier au Gibet, qu’à Daemon qui concourt au tournoi sous le pseudonyme de Jehan le Ménétrier … Ou qu’à d’autres personnages, comme on l’évoquait dans la théorie « De l’identité de Maynard Prünh ».
Quoi qu’il en soit, Daemon Feunoyr deuxième du nom échoue lamentablement, sa rébellion est littéralement tuée dans l’œuf. Entre les lignes de ce fiasco politique, George R.R. Martin profite de cette nouvelle pour raconter plusieurs autres histoires, plus intimes, notamment l’attirance de Daemon le Jeune pour les hommes. Toute la nouvelle est parcourue d’allusions plus ou moins subtiles, d’indices qu’il faut mettre en relation. C’est au lecteur de percer le secret de Daemon le Jeune, tout comme pour la relation Renly-Loras, où rien n’était dit trop explicitement. Toutefois, si Daemon est construit sur le même archétype que Renly, on verra que son histoire est un peu différente.
↑Caractérisation et stéréotype
Daemon le Jeune n’apparaît pas seulement dans la troisième nouvelle de Dunk et l’Œuf. Il est aussi mentionné dans l’encyclopédie Game of Thrones – Le Trône de Fer, les origines de la saga (TWOIAF) où il est très rapidement caractérisé au détour d’une explication sur l’échec de sa rébellion :
On sait que Daemon le Jeune avait rêvé de devenir roi, et qu’Aigracier ne le soutint pas dans sa tentative pour revendiquer le trône. Mais la raison pour laquelle, après avoir soutenu le père, Aigracier n’en fit pas autant pour le fils reste une interrogation dont on débat parfois dans les salles de la Citadelle. […] Mais d’autres suggèrent qu’Aigracier était un homme dur qui ne s’intéressait guère qu’à la guerre, et se méfiait des rêves de Daemon, de son amour de la musique et des belles choses. D’autres encore, étonnés de la proximité entre Daemon et le jeune lord Chantecoq, disent qu’elle aurait assez inquiété [Aigracier] pour qu’il refusât son aide au jeune homme.
Les origines de la saga – Aerys Ier.
On retrouve des caractéristiques proches de celles de Renly. Tout comme lui, Daemon prétend au Trône. Tout comme lui, il est jeune et fat, rêveur et sot, jovial et généreux, frivole et charmeur … On retrouve ici un stéréotype assez classique attaché à l’homosexualité masculine, l’amour des choses belles et délicates. L’autre point commun entre Daemon et Renly, c’est évidemment cette « proximité » avec un autre nobliau (Loras pour Renly, Alyn Chantecoq pour Daemon), qui « inquiète » Aigracier … une manière de nous rappeler que la société des Sept Couronnes n’est pas au summum de la tolérance. Martin utilise fréquemment ce genre d’indice : rendre compte d’une « grande amitié » , d’une proximité ou d’une intimité entre deux personnages dans une chronique historique est un moyen qu’il utilise très fréquemment pour suggérer les attirances homosexuelles de ses personnages. Il fait de même avec la première Rhaena Targaryen et ses dames de compagnie, avec Laenor Velaryon et ses amants, avec Jeyne Arryn et Jessamyn Rougefort, avec Daeron Targaryen et Jeremy Norridge, avec Loren Greyjoy et Desmond Mallister. Dans certains cas, on peut se contenter de n’y voir qu’une profonde amitié… Mais c’est bien souvent le signe de relations plus profondes, plus passionnées.
Un autre point rapproche Daemon le Jeune de Renly : ils ont trouvé la même parade pour placer leurs amants à leurs côtés, sans trop éveiller les soupçons. Les chevaliers de la Garde Royale (ou de la Garde Arc-en-ciel concernant Renly) servent à vie aux côtés du roi, partageant son intimité et gardant ses secrets, sans jamais prendre d’épouse. Loras est donc devenu commandant de la Garde Arc-en-ciel de Renly, et Alyn Chantecoq s’attend à devenir lord Commandant de la Garde Royale de Daemon. Or, si la relation de Loras et Renly s’achève à une époque où les deux semblent encore très épris l’un de l’autre, la relation de Daemon et Alyn Chantecoq est sur le déclin, comme on le découvre dans la nouvelle L’Œuf de Dragon (TMK).
↑L’amour contrarié d’Alyn Chantecoq
Alyn Chantecoq est un nobliau, encore jeune, qui a passé une partie de son enfance avec Daemon le Jeune. Il en a toujours été plus ou moins amoureux, comme il le raconte lui-même :
Aegon et Aemon. De misérables brutes sans cervelle, tout comme vous. Quand nous étions petits, ils prenaient plaisir à nous tourmenter, Daemon et moi. J’ai pleuré lorsque Aigracier l’a entraîné en exil, et pleuré encore quand lord Peake m’a annoncé qu’il revenait chez lui.
Alyn Chantecoq participe évidemment à la deuxième rébellion Feunoyr. Toujours très épris de Daemon qu’il n’a plus vu depuis pratiquement quinze ans, il convoite la place de lord Commandant de sa Garde Royale. Pourtant, très vite, on s’aperçoit que ses sentiments sont loin d’être réciproques, Jehan le Ménétrier ne lui rendant pas son affection :
Parmi eux, Dunk aperçut Jehan le Ménétrier et Alyn Chantecoq. Lord Alyn semblait pris de boisson, bien que le banquet n’eût pas encore véritablement commencé.
[…]
– M’sire ? Pourquoi êtes-vous monté ici ?
– Alyn était à ma recherche, et je ne tenais pas à ce qu’on me trouve. Il devient ennuyeux quand il boit, Alyn.[…]
Le Ménétrier rit. « Ne faites pas attention à Alyn. Le bâtard de Boulenfeu l’a jeté à bas de son cheval sur son petit fessier dodu, et il a décidé à présent qu’il haïssait tous les chevaliers errants.
– Cette lamentable créature boutonneuse n’est pas fils de Quentyn Boule, insista Alyn Chantecoq. Jamais on n’aurait dû l’autoriser à concourir. S’il s’agissait de mes noces, je l’aurais fait fouetter pour son impudence.
– Quelle fille t’épouserait ? lui demanda ser Jehan. Et l’outrecuidance de Boule est considérablement moins irritante que tes bouderies. […] Retirons-nous sous mon pavillon. » Le Ménétrier retint le rabat pour [Dunk]. « Pas toi, Alyn. Un peu moins d’olives ne te fera pas de mal, à franchement parler. »
Les retrouvailles ne se sont pas passées comme Alyn l’espérait … Et non seulement Daemon le Jeune se détourne de lui, mais, en plus, il s’avère qu’il a manifestement trouvé un nouveau favori : le héros de l’aventure, Dunk. Après avoir tenté de le faire assassiner par un autre chevalier dans les lices, Alyn va tenter de pousser Dunk dans un puits. C’est à ce moment qu’il livre sa confession complète, et où on comprend qu’il est amoureux de Daemon :
C’est à propos du Dragon. Vous imaginiez-vous que j’allais rester sans rien faire et vous laisser le voler ? […] Daemon est à moi. Je commanderai sa Garde Royale. Vous n’êtes pas digne d’un manteau blanc. […] Mais là, il vous a vu, vous, sur la route, et il a oublié que j’existais.
Finalement, c’est Alyn Chantecoq qui tombe et meurt dans le puits. Alors que Dunk s’en inquiète, Maynard Prünh confirme que cela ne peinera guère Daemon :
« Lord Alyn. Il va se noyer.
– Il ne manquera à personne. Au Ménétrier moins qu’à quiconque.
↑Le rêve illusoire de Daemon
Daemon s’est donc détourné d’Alyn en même temps qu’il s’entichait de Dunk, comme il le lui révèle lorsqu’ils sont sur le toit.
« J’ai rêvé de vous, ser Duncan. Avant même que de vous rencontrer. Quand je vous ai vu sur la route, j’ai tout de suite reconnu votre visage. On aurait dit que nous étions amis de longue date. »
Bien qu’il soit attiré par le grand chevalier errant, Daemon doit être prudent : Dunk ne connaît pas encore sa véritable identité, ni ses intentions. Daemon va donc user d’allusion, de sous-entendus pour approcher Dunk. Il l’incite non seulement à rejoindre la rébellion, mais aussi à se joindre à lui. De son côté, Dunk est un balourd, lourd comme un rempart. Il ne comprend pas qu’il se fait draguer.
– Le château. Toutes ces pierres blanches au clair de lune. Êtes-vous jamais allé au nord du Neck, ser Duncan ? On me dit que, là-bas, il neige même en été. Avez-vous jamais vu le Mur ?
– Non, m’sire. » Qu’est-ce qu’il me raconte, avec son Mur ? « C’est là que nous allons, l’Œuf et moi. Vers le nord, à Winterfell.
– Que ne puis-je me joindre à vous. Vous pourriez me montrer le chemin.
– Le chemin ? » Dunk fronça les sourcils. « C’est tout au bout de la route Royale. Si vous restez sur la route et que vous continuez vers le nord sans vous arrêter, vous ne pouvez pas le manquer. »
Le Ménétrier rit. « Non, sans doute pas… Quoique… Vous seriez surpris de ce que certains hommes peuvent manquer. »
Daemon se raille-t-il parce que la plupart des gens se laissent abuser par son déguisement de chevalier errant, son identité de Jehan le Ménétrier ? Ou se moque-t-il parce que Dunk est en train de manquer une opportunité de s’élever, de devenir le favori du futur roi des Sept Couronnes ? Daemon ne prévoit plus de décerner le manteau blanc à Alyn Chantecoq, c’est désormais à Dunk qu’il le propose… non sans tenter un rapprochement au passage.
« J’ai rêvé que vous étiez tout de blanc vêtu, de pied en cap, avec un long manteau blanc qui flottait sur ces larges épaules. Que vous étiez Blanche Épée, messer, frère juré de la Garde Royale, le plus grand chevalier de toutes les Sept Couronnes, et que vous ne viviez que pour garder, servir et satisfaire votre roi. » Il posa une main sur l’épaule de Dunk. « Vous avez fait le même rêve, je le sais. »
Il l’avait fait, c’était la vérité. La première fois que l’Ancien m’a laissé tenir son épée. « Tous les gamins rêvent de servir dans la Garde Royale.
– Seuls sept d’entre eux en grandissant portent le manteau blanc, cependant. Vous plairait-il d’être l’un d’eux ?
– Moi ? » Dunk délogea d’un haussement d’épaule la main du nobliau, qui avait commencé à la lui pétrir.
Mais Daemon ne renonce pas aussi facilement, et la conversation se poursuit avec de nouvelles allusions (« Je préférerais vous apprendre la vielle » ; « Je suis merveilleusement ivre, et le vin rend toute chose possible » ; « vous étiez beau comme un dieu dans votre armure blanche »). Dans son ivresse, il est persuadé d’être dans sa chambre à coucher (encore un signe ?). Et alors que Dunk tente de s’esquiver, Daemon tente de le retenir avec des mots particulièrement choisis :
– Mais où allez-vous, messer ?
– Dans mon lit, pour dormir. Je suis ivre comme un chien.
– Soyez mon chien, messer. La nuit regorge de promesses. Nous pourrons hurler de concert et réveiller même les dieux !
– Mais que voulez-vous de moi ?
– Votre épée. Je voudrais vous avoir à moi, et vous donner un rang élevé.
Ici, la traduction fait disparaître certaines subtilités des sous-entendus de Daemon. En anglais, il dit : « Your sword. I would make you mine own man, and raise you high ». Soit, « votre épée. Je veux faire de vous mon homme et vous élever haut ». Littéralement, on peut effectivement comprendre que Daemon aimerait que Dunk se joigne à sa conspiration, qu’il devienne son épée-lige et qu’il lui promet en récompense une place prestigieuse … Mais en anglais, le sous-entendu est clair : si on admet que l’épée est une métaphore pour désigner le pénis de Dunk, Daemon est simplement en train de lui demander de devenir son homme et de lui promettre une nuit de plaisir … On comprend mieux ainsi pourquoi leurs hurlements auraient réveillé les dieux.
On se souviendra que Martin utilise fréquemment le mot « sword » / « épée » pour désigner la virilité. On trouvait cette métaphore dès l’intégrale 2 (ACOK) dans le discours de Cersei :
Les pleurs ne sont pas la seule arme de la femme. Tu en as une autre entre les jambes, et tu ferais mieux d’apprendre à l’utiliser. Tu t’apercevras que les hommes usent assez libéralement de leurs épées. Leurs deux sortes d’épées.
Compris dans ce sens, les discours de Daemon prend un tout autre sens :
I would love to cross swords with you, ser. I’ve tried men of many lands and races, but never one your size.
Je serais ravi de croiser le fer avec vous, messer. Je me suis mesuré à des hommes de bien des pays et des races, mais jamais à aucun de votre taille.
Young swords are worth more than old names, I’ve oft heard it said.
Jeune épée vaut mieux que nom ancien, ai-je souvent entendu dire.
«I had hoped to joust with good Ser Duncan here.»
– J’avais espéré jouter avec le brave ser Duncan, ici présent. »
Malheureusement pour Daemon, Dunk n’a pas les mêmes ambitions … et surtout pas les mêmes gouts :
Une fois que je l’aurai désarçonné, j’exigerai le retour de vos armes et de votre armure. De votre destrier également, bien que vous méritiez meilleure monture. En accepteriez-vous une en cadeau ?
– Je… Non… je ne pourrais pas. » L’idée mettait Dunk mal à l’aise. « Je ne veux pas passer pour un ingrat, mais…
– Si c’est la question de la dette qui vous tracasse, chassez cette idée de votre esprit. Je n’ai nul besoin de votre argent, messer. Simplement de votre amitié.
« Malheureux en amour, heureux au jeu » dit-on ? Daemon Feunoyr sera finalement malheureux en amour, comme au jeu des trônes.