Comme vous le savez désormais, George R. R. Martin n’a pas écrit uniquement ASoIaF (le titre original du Trône de Fer) dans l’univers de Westeros, il existe d’autres nouvelles ou textes (je vous renvoie au besoin, à cet article de Nymphadora, qui explicite tout cela).
Aujourd’hui, je vous propose de revenir sur l’un des héros de ces nouvelles : Duncan le Grand, plus communément appelé Dunk, le « chevalier » errant. Les guillemets ne sont pas là pour faire joli, car la question du jour, est la suivante : Dunk a-t-il été réellement chevalierisé adoubé par ser Arlan de L’Arbre-sous ou non ?
Petite note avant de débuter : la théorie évoquant des événements tirés des nouvelles, des spoils (de la première nouvelle, Le Chevalier Errant) ont pu se glisser entre les lignes.
Veuillez noter que les arguments avancés proviennent entre autres de la super vidéo de notre frère Werther.
Image de couverture : Johann Blais, montage par Nymphadora
↑Qui est Dunk?
On sait peu de choses sur Dunk. C’est un orphelin, qui a vécu une grande partie de sa vie à Culpucier, un des quartiers pauvres de Port-Réal. Il a été récupéré par ser Arlan de L’Arbre-sous qui en a fait son écuyer (du fait de la mort de son précédent écuyer, son neveu Roger de L’Arbre-sous). Dunk et lui passent plusieurs années sur les routes au service de différents seigneurs, jusqu’à la mort de ser Arlan (qui est le point de départ de la nouvelle Le chevalier errant).
Par la suite, Dunk deviendra célèbre sous le nom de ser Duncan le Grand. Il entrera dans la Garde Royale, dont il deviendra le lord Commandant sous le règne d’Aegon V Targaryen. Ser Duncan reste dans les mémoires comme l’un des parangons de la chevalerie. Pourtant…
↑L’adoubement de Dunk
Une grande partie de la première nouvelle est centrée sur le statut de chevalier de Dunk, car celui-ci semble douteux. Son adoubement s’est déroulé dans des circonstances étranges, ainsi qu’il le raconte à un régisseur de lord Cendregué :
« — [ser Arlan] a toujours dit qu’il comptait sur moi pour prendre sa suite. Au moment de mourir, il a tiré son épée et m’a demandé de m’agenouiller. Il m’a touché une fois l’épaule droite, une fois la gauche. Il a prononcé quelques mots et, quand je me suis relevé, j’étais chevalier. »
Le régisseur se frotta le nez.
« Hum… tout chevalier peut en faire un autre, c’est vrai, même si la coutume exige une veille et que le candidat soit oint par le septon avant de prononcer ses vœux. Il y a eu un témoin à ton adoubement ?
— Rien qu’un rouge-gorge dans un buisson. Je l’ai entendu gazouiller tandis que le vieil homme prononçait la formule. Il m’a enjoint d’être loyal, d’obéir aux sept dieux, de défendre le faible et l’innocent, de servir mon lord avec fidélité et de défendre le royaume de toutes mes forces et j’ai juré que je le ferais ».(Le chevalier errant)
Dunk connaît la base du serment des chevaliers, mais tout le rituel qui y est associé a, semble-t-il, été oublié. La précipitation, sans doute ? Ser Arlan aurait senti sa dernière heure arriver et il se serait montré prévoyant envers son protégé… Pourtant, cette version semble ne pas coller avec ce qu’on sait d’Arlan de L’Arbre-sous et de sa mort.
« Eh bien, l’un de ces lendemains avait apporté des pluies qui les avaient trempés jusqu’aux os, puis le suivant des rafales de vent humides et le surlendemain un coup de froid.
Le quatrième jour, le vieil homme était trop faible pour monter à cheval. Et à présent il était parti.
[…]
— Il se rendait au tournoi quand un coup de froid l’a emporté. »(Le chevalier errant)
La mort de ser Arlan a été très rapide. Elle lui a laissé peu de temps et peu de forces pour adouber Dunk. On peut dès lors se demander si cet adoubement a bien eu lieu, d’autant qu’au début de la nouvelle, Dunk s’interroge sur son avenir :
« Dunk passa en revue les possibilités qui s’offraient à lui. Je pourrais trouver un autre chevalier errant ayant besoin d’un écuyer pour s’occuper de ses bêtes et de ses armes. À moins que j’aille dans une grande ville, à Port-Lannis ou alors à Port-Réal, m’enrôler dans le corps des gardes. Ou… »
(Le chevalier errant)
Étonnamment, les premières idées qui lui viennent en tête ne sont pas de devenir chevalier errant, mais écuyer ou soldat dans la milice urbaine d’une ville importante… Des destins bien en dessous de celui auquel un chevalier adoubé peut prétendre. On remarquera d’ailleurs que dans la nouvelle suivante (l’Épée-lige), l’évocation de son adoubement le met particulièrement mal à l’aise.
« Un chevalier errant nommé ser Arlan de L’Arbre-sous m’a pris à son service pour lui tenir lieu d’écuyer quand j’étais encore tout mioche. C’est lui qui m’a enseigné la chevalerie et les arts de la guerre.
— Et c’est ce même ser Arlan qui vous a fait chevalier ? »
Dunk agita les pieds avec embarras. L’une de ses bottes était à demi délacée, vit-il. « Il n’y avait personne de mieux placé que lui pour le faire.
— Où se trouve actuellement ser Arlan ?
— Il est mort. » Il releva les yeux. Sa botte, il pourrait toujours la relacer plus tard. « Je l’ai enterré au flanc d’une colline.
— Est-il tombé en preux au cours d’un combat ?
— Il y avait des pluies. Il a pris froid.
— Les vieillards sont fragiles, je sais cela. »(l’Épée-lige)
La honte de Dunk s’explique facilement : il ment sur son adoubement. Il n’a pas été vraiment adoubé et n’est donc pas chevalier. Grâce à cette explication, on comprend mieux pourquoi il hésite à adouber le jeune Raymun Fossovoie, alors qu’il a désespérément besoin d’un chevalier pour combattre à ses côtés.
« Faites-moi chevalier. »
Le saisissant par l’épaule, Raymun força Dunk à se retourner.
« Je prendrai la place de mon cousin. Messer Duncan, faites-moi chevalier. »
Il posa un genou en terre.
Complètement perdu, Dunk saisit la garde de son épée puis hésita.
« Raymun, je… je ne devrais pas.
— Il le faut. Sans moi, vous n’êtes que cinq.
— Ce garçon n’a pas tort, dit Lyonel Baratheon. Faites-le, messer Duncan. Tout chevalier peut armer un autre chevalier.
— Doutez-vous de mon courage ? demanda Raymun.
— Non, fit Dunk. Ce n’est pas cela mais… » Il hésitait encore.
Une fanfare de trompettes déchira la quiétude matinale. L’Œuf revint vers eux en courant. « Messer, lord Cendregué vous appelle. » Orage Moqueur fit un geste impatient de la tête. « Allez-y, messer Duncan. Je vais faire prononcer ses vœux à Raymun. »
[Lyonel Baratheon adoube Raymun Fossovoie]
Dunk les quitta là, en proie à un sentiment partagé où le soulagement le disputait à la culpabilité. »(Le chevalier errant)
Ce sentiment mêlé de culpabilité et de soulagement peut être expliqué de plusieurs manières différentes : il est à la fois rassuré et inquiet d’impliquer quelqu’un d’aussi jeune que Raymun Fossovoie dans ses problèmes… à moins qu’il ne soit rassuré de ne pas avoir été obligé de faire de Raymun un faux chevalier, autant qu’il se sent coupable pour son mensonge.
Dunk finit par se l’avouer plus ou moins explicitement, notamment lors de son combat contre Aerion :
[Quand il est démonté par Aerion :]
« Dunk le crétin, qui s’imaginait pouvoir devenir chevalier… »[Quand il aperçoit ceux qui se battent pour lui :]
« Je les ai trahis. Je ne suis pas un champion. Je ne suis même pas un chevalier errant. Je ne suis rien. »[Quand il décide de battre son adversaire avec des techniques de lutte, plutôt que des techniques d’escrime :]
« Il aurait pu vaincre messer Duncan le Grand mais il ne pouvait rien contre Dunk des Bas-Fonds. »[Quand il l’emporte :]
« Je suis vraiment chevalier, à présent ? Je suis vraiment un champion ? »(Le chevalier errant)
Dunk n’est manifestement pas chevalier, contrairement à ce qu’il fait croire. Il est un menteur, tout comme son écuyer, l’Œuf. Il est d’ailleurs amusant de noter qu’ils se mentent tout d’eux sur leur identité à leur première rencontre :
« — Comment vous appelez-vous ?
— Dunk. »
Le satané bâtard rugit de rire, comme s’il n’avait jamais rien entendu d’aussi drôle.
« Dunk ? Ser Dunk ? C’est pas un nom de chevalier. Ça vient de Duncan ? »
Bonne question. Dunk n’en savait rien. L’Ancien l’avait toujours appelé Dunk et il ne
possédait guère de souvenirs de sa vie précédente.
« Duncan, oui, dit-il. Ser Duncan de… »
Dunk ne possédait ni nom, ni maison, Ser Arlan l’avait trouvé vivant seul, comme un sauvage, dans les bas-fonds de Port-Réal. Il n’avait jamais connu son père ni sa mère. Que pouvait-il dire ? Ser Duncan des Bas-Fonds ? […] Le front plissé, il réfléchit quelques secondes avant de s’exclamer : « Ser Duncan le Grand ! »
Il était grand, cela personne ne pouvait le nier. Ce nom avait fière allure.
[…]
— Et toi, as-tu un nom, canaille ? »
Le garçon hésita.
« L’Œuf, marmonna-t-il. »(Le chevalier errant)
Dunk invente son nom de chevalier au moment où l’Œuf l’interroge… et encore, c’est l’Œuf lui-même qui l’aide en partie en lui suggérant que Dunk vient peut-être de Duncan. Plus tard, alors que la véritable identité de l’Œuf a été dévoilée, Dunk se fait cette nouvelle remarque significative :
« Dunk considéra pensivement [l’Œuf]. Il savait ce que c’était de désirer quelque chose au point de raconter le pire des mensonges, ne serait-ce que pour s’en approcher.
« Je croyais que tu étais comme moi, dit-il. Peut-être l’es-tu, après tout. Mais pas de la façon que j’imaginais. »(Le chevalier errant)
Dunk admet ici avoir menti pour se rapprocher de son idéal : la vie de chevalier errant, la seule qu’il a jamais connu de son propre aveu.
↑Pourquoi Dunk est-il devenu ser Duncan le Grand ?
Lorsqu’il passe en revue les possibilités après la mort de ser Arlan, Dunk admet n’avoir rien connu d’autre, rien espéré d’autre.
« Si je vends Tonnerre et Noisette, les selles et les brides, j’aurais assez d’argent pour… Il grimaça. La seule vie qu’il connaissait était celle de chevalier errant, voyageant de château en château, s’enrôlant au service des seigneurs en guerre, ne demeurant sous leur toit que le temps des hostilités avant de repartir sur les routes. »
(Le chevalier errant)
Dunk a toujours rêvé d’être chevalier, comme le montre :
« Voilà ce que c’est d’être chevalier, se disait-il en léchant la dernière miette de viande sur l’os. Bien manger, bien boire si l’envie me prend et personne pour me flanquer une taloche.
[…]
Pas question qu’il établisse son campement en si illustre compagnie. Un chevalier errant devait savoir rester à sa place.
Un jour, je serai l’un des leurs, se promit-il. »(Le chevalier errant)
Par la suite, les circonstances l’obligent à continuer de mentir. Il ne peut participer au tournoi que s’il est chevalier, et il doit d’abord le prouver au régisseur de lord Cendregué. N’y parvenant pas, il ne doit qu’à l’intervention du prince Baelor Targaryen d’être admis à concourir, ce qui l’officialise comme chevalier.
Plus tard, alors qu’il s’est attiré les foudres de Maekar Targaryen, c’est uniquement parce qu’il est chevalier qu’il peut réclamer un duel judiciaire.
« tout chevalier accusé d’un crime a le droit d’exiger le jugement des dieux. »
(Baelor Targaryen, dans Le chevalier errant)
Ce statut est donc très important pour Dunk, car il lui permet de survivre, alors même qu’il aurait du mourir. Par la suite, il préfère continuer à mentir.
↑Conclusion
Cette explication est bien plus qu’une théorie, puisqu’elle a été officiellement confirmée par George R. R. Martin. Dunk n’est donc pas officiellement chevalier dans les nouvelles que l’on connaît (peut-être s’est-il rattrapé plus tard, mais ça semble peu probable).
Mais est-ce gênant ? Il est reconnu comme un parangon de la chevalerie, et ce dès la première nouvelle : sur une impulsion, il a sauvé une fille du commun en blessant un prince du sang. Lorsqu’il réclame un duel judiciaire plutôt que de se soumettre au jugement de la famille du prince, il est surpris de découvrir que le peuple est de son côté :
« Ils sont avec moi.
« Pourquoi ? demanda-t-il à l’armurier. Que suis-je pour eux ?
— Un chevalier qui s’est souvenu de ses vœux. »(Le chevalier errant)
On peut même se dire que, pour une fois, le clin d’œil de Martin concernant la descendance de Duncan le Grand est assez « gros ». Car qui d’autre que Brienne, elle-aussi chevalier (non adoubée) parmi les chevaliers, peut être son héritière (tant spirituel que biologique) ? Peut-être Sandor Clegane, qui, outre sa taille immense, partagerait avec son aïeul la particularité d’avoir été intégré à la Garde Royale, alors qu’il n’est pas chevalier…
↑Bonus « Crackpot théorie » : la ligne d’adoubement défectueuse ?
Selon la version longue du chapitre des « Terres de l’Ouest » de l’encyclopédie Les origines de la saga (une source semi-canon, car jamais publiée dans un ouvrage achevé) : en 233, l’Œuf participe à la prise de Stellepique, au cours de laquelle il adoube Tywald Lannister… cet événement suppose qu’il aurait été lui-même chevalier, car il n’a pas d’autre titre connu à cette époque… La question se pose alors de savoir comment il est devenu chevalier, et la réponse la plus évidente serait qu’en tant qu’écuyer de Dunk, il a été adoubé par celui-ci (c’est traditionnellement le chevalier qui adoube son écuyer).
Or Dunk n’étant pas chevalier, l’Œuf ne l’est techniquement pas non plus, et dès lors, les chevaliers qu’Aegon a adoubé lui-même ne le sont -théoriquement- pas. Pour Tywald Lannister, ce n’est pas très important : Tywald meurt au cours de la bataille de Stellepique, la même journée. Mais cela aurait pu être plus embêtant pour un autre personnage : d’après le livre blanc de la Garde Royale, ser Barristan Selmy a été adoubé à l’âge de 16 ans par Aegon V Targaryen (ASOS, Jaime VIII).
George Martin a cependant précisé lors d’une prise de parole, que dans son univers, n’importe quel roi pouvait armer un homme chevalier :
« To settle an old debate on EZBoard, any king can make a knight but any lord cannot. That lord must be a knight as well. So Baelor I could make knights but Eddard could not. George said the more important thing for kings is making lords. The problem is giving lands. »
(So Spake Martin, 23 juillet 2006)
Légalement donc, Barristan est bien chevalier, étant donné qu’Aegon était roi lorsqu’il l’a adoubé. Cependant, nous avons une lignée de chevaliers, dont deux sont considérés comme des parangons de la chevalerie et sont devenus des lord Commandant de la Garde Royale, qui, symboliquement, n’est pas « réelle ». La thématique des personnages aux vertus chevaleresques, mais qui ne sont pas réellement chevaliers est par ailleurs récurente chez GRRM.