Lors des Imaginales 2019, la Garde de Nuit a eu la chance de rencontrer des auteurs et autrices qui font l’actualité de la fantasy en France. Nous avons ainsi pu leur poser quelques questions concernant leur perception de l’oeuvre de George R.R. Martin et son impact sur le monde de l’écriture fantasy. Dans les semaines qui viennent, nous vous proposerons donc une retranscription de leurs propos passionnants et leurs perspectives uniques sur les écrits du Trône de Fer et sur la série qui en est dérivée.
Aujourd’hui, c’est Jean-Laurent Del Socorro qui passe à la question. Auteur de fantasy historique, son premier roman, Royaume de vent et de colères, se situe à Marseille au temps des guerres de Religion. Il fit forte impression et reçut le prix Elbakin.net 2015 du meilleur roman de fantasy français. Crys vous en avait d’ailleurs dit le plus grand bien dans le cadre de nos recommandations mensuelles. En 2017, Jean-Laurent Del Socorro change d’époque et publie Boudicca, autre roman de fantasy historique consacré cette fois à la reine Boadicée et à sa résistance à la conquête romaine au Ier siècle. Là aussi, le succès est au rendez-vous, puisque le roman reçoit le prix Imaginales des bibliothécaires 2018. Son troisième roman, Je suis fille de rage, devrait sortir à la fin de l’année 2019.
↑Garde de Nuit : Avez-vous lu les livres de George R.R. Martin ?
Jean-Laurent Del Socorro : Oui, j’ai lu tous les livres et j’ai vu la série. J’ai les deux chronologies : l’officielle et l’officielle « plus ».
↑GdN : Et du coup, quel est votre avis sur la fin de la série ?
JLDS : J’ai trouvé la fin sans surprise. Les scénaristes se sont pris à leur propre jeu de terminer la saga. Il y a des choix à faire qui a priori ne plaisent pas aux fans hardcore mais c’est un peu inévitable quand on arrive à une telle échéance. Je pense qu’ils étaient coincés par leur propre mécanique. Mais il reste quelques beaux visuels, sur certains épisodes.
↑GdN : Pensez-vous que l’œuvre de George R. R. Martin a eu une influence sur le monde de la fantasy et si oui, comment la qualifieriez-vous ?
JLDS : C’est assez curieux car en effet, je pense qu’il a eu une influence : des gens ont, volontairement ou non, copié ou réutilisé son récit.
Cela dit, je ne pense pas qu’il ait inventé quelque chose, mais plutôt qu’il a remis au goût du jour l’intrigue politique au centre du récit. Lui-même cite comme références Les Rois Maudits de Maurice Druon ou les guerres anglaises. Je pense que c’est une boucle qui se termine. Le format de récit historique ou de fantasy qui se base sur les intrigues de personnages, de politique ou de cour est devenu épique durant la période couvrant la fin des années 1980 jusqu’au début des années 1990. Et là, tout d’un coup, on fait marche arrière et George R.R. Martin, très intéressé par l’histoire, remet en avant ce qui est la realist fantasy en minimisant au début du récit la partie consacrée à la magie, mais en plaçant au centre l’histoire inspirée ou modifiée. Je crois que c’est grâce à son succès que l’on voit ré-émerger ce genre de récit, notamment dans le monde anglo-saxon.
↑GdN : Vous qui écrivez de la fiction historique avec un tout petit peu de magie, que pensez-vous des différentes inspirations de George R.R. Martin ?
JLDS : C’est assez impressionnant car, comme je le dis souvent, personnellement, je triche. À savoir que si je choisis l’historique, c’est justement pour ne pas avoir à inventer un univers. Tandis que George R.R. Martin arrive à écrire de la realist fantasy en s’inspirant de faits historiques. Ce qui est très fort (même si, quand on le sait, on voit les inspirations) car on a vraiment l’impression qu’il a créé un monde à part entière, crédible et réaliste, aussi riche politiquement que le nôtre, mais sans être le nôtre. Pour moi, c’est un tour de force qui explique que peu de gens tentent de faire pareil aujourd’hui. Je pense que ce qui a dû plaire à des fans de Tolkien notamment, c’est la création et la crédibilité de l’univers qui, par sa mythologie, sa naissance, sa crédibilité sociale et ethnique, rend le récit crédible et porte le récit au delà de l’aventure en elle-même. À mon avis, c’est ce qui fait la force de Martin, dans une moindre mesure. La racine qu’est l’inspiration historique, qu’il déforme, crée un univers qui est un personnage à part entière.
↑GdN : Pensez-vous que la série télévisée a une influence propre sur le public amateur de fantasy ? Ou serait-ce lié à l’histoire narrée par George R.R. Martin ? Ou un peu des deux ?
JLDS : Je pense que cela reste un arbre qui cache la forêt. On l’a vu avec le phénomène Harry Potter il y a quelques années : il y a eu une génération Harry Potter, mais il n’y a pas eu d’émergence en Europe au delà de ce récit. Je pense que c’est pareil pour la série inspirée par George R.R. Martin : c’est une série fantasy à succès que plein de personnes vont tenter d’imiter. Mais malheureusement, plein de gens qui en sont fans vont dire « Ah mais moi, je ne lis pas de la fantasy » bien qu’ils aient lu ou vu Le Trône de Fer. Cela dit, c’est le deuxième coup de boutoir après Le Seigneur des Anneaux. Pour le grand public, on amène un visuel qui n’est pas cheap et qui a des moyens pour illustrer de la fantasy. Comme on l’a vu sur les films, il y a eu des suites, mais pas vraiment de succès commerciaux dans la fantasy au delà du Seigneur des Anneaux. Je pense que pour le Trône de Fer, il y aura le même problème. Il y aura une série référence liée au Trône de Fer mais je ne suis pas sûr que cela fasse émerger pour le grand public une appétence très forte pour la fantasy.
↑GdN : Vous qui écrivez de la fantasy un peu historique, vous pensez que le public peut se dire « J’ai aimé Martin, je peux maintenant lire du Del Socorro » ?
JLDS : C’est une bonne question mais c’est plutôt au public qu’il faut la poser. Je pense à l’inverse qu’il y a des lecteurs « historiques » qui lisent du Martin. De la même façon, je pense que j’attire des lecteurs « historiques » à la fantasy. L’entrée très forte de l’historique permet en effet d’attirer des gens qui ne viennent pas traditionnellement sur ce type de littérature. Martin a cette force là, il a cassé les genres, un peu comme Damasio sur La Horde du contrevent. En termes techniques, on dit souvent qu’il y a un plafond de verre de six à dix mille ventes en France. Au delà, ce n’est plus le lectorat « historique », c’est le grand public. Damasio et Martin ont réussi à attirer des gens qui se sont dit « OK, c’est de l’imaginaire mais il y a quelque chose de proche du récit historique qui est là pour nous ».
Propos recueillis par Babar des Bois et Nymphadora.
Retrouvez la plume de Jean-Laurent Del Socorro avec notamment Royaume de vent et de colères :