Cersei – La symbolique de la tour de la Main

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  • #166099
    Eridan
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    Je suis en train de rédiger la page tour de la Main en ce moment sur le wiki, et une réflexion m’est venue : Martin se sert comme souvent de cette tour de plusieurs manières dans son récit. Comme un lieu important dans l’histoire, certes, mais je pense qu’il s’amuse aussi à y associer une certaine symbolique. Je ne reviens pas sur la « malédiction » qui n’est pas si développée que ça dans le livre. Pour moi, le plus intéressant, c’est le lien entre la tour et la masculinité. Ça me paraît d’autant plus évident dans la trame de Cersei, où la tour devient un symbole de la domination masculine vis-à-vis d’elle.

    Je n’ai pas trouvé grand chose dans AGOT et ASOS pour le moment. Toutefois, dès ACOK, Shae fait un jeu de mot sur « la tour de la Main » en l’associant à l’érection de Tyrion :

    « Pourras jamais te reposer…, prévint-elle, campée toute nue, rose, adorable, la main sur la hanche, devant lui. Tu penseras si fort à moi, chaque fois que tu te coucheras, que tu te mettras à bander, et tu n’auras personne pour te secourir, et il te sera impossible de t’endormir, à moins que tu… » Elle eut le damné sourire qu’il aimait tant. « C’est pour ça qu’on l’appelle la tour de la Main, m’sire ?

    ACOK, Tyrion I.

    Mais comme je le disais, c’est surtout dans les chapitres de Cersei que la tour prend une dimension symbolique : dans son troisième chapitre d’AFFC, Cersei la fait bruler … au motif de détruire le lieu où Tywin est mort et (éventuellement) d’enfumer / bruler Tyrion, Varys ou Rugen. Un geste vain, d’après Jaime.

    « C’est dans cette tour-là que notre seigneur père a été assassiné. Je n’en puis pas supporter la vue. Si les dieux daignent se montrer bienveillants, le feu se chargera peut-être de nous enfumer tel ou tel rat tapi dans les décombres. »
    Jaime roula les yeux. « Tu veux dire Tyrion ?
    – Lui-même, et lord Varys, et ce damné geôlier.
    – Si aucun d’entre eux persistait à se planquer dans la tour, nous lui aurions fatalement mis la main au collet. Je l’ai fait sonder pendant près d’une lune par un véritable régiment muni de masses et de pics. Nous avons arraché dallages et planchers, nous avons battu, rebattu les murailles et mis au jour une cinquantaine de passages secrets.
    – Ce qui implique d’autant mieux qu’il risque d’en exister une cinquantaine d’autres. » […] « Petit et malin comme il est, le Lutin peut très bien se tenir encore là-dedans. Qu’il s’y cache, et le feu l’enfumera ou le forcera à se débusquer.
    – En admettant même que Tyrion se terre encore dans l’enceinte du Donjon Rouge, il ne saurait le faire à la tour de la Main. Nous l’avons réduite à une coquille vide.

    AFFC, Cersei III.

    Sauf qu’au cours de la crémation, les pensées de la régente dérivent sur les Mains, ce qu’elles sont, ce qu’elles ont représenté pour elle :

    La pensée de Cersei dériva vers les diverses Mains qu’elle avait connues au fil des années : Owen Merryweather, Jon Connington, Qarlton Chelsted, Jon Arryn, Eddard Stark, son Tyrion de frère… Et son seigneur père, lord Tywin Lannister, oui, son père, entre tous et par-dessus tout. Les voici en train de brûler, du premier au dernier, se dit-elle, avant d’en savourer l’idée. Ils sont morts et ils brûlent, chacun d’entre eux, avec tous leurs complots, tous leurs stratagèmes et toutes leurs trahisons. Mon jour est venu, maintenant. A moi ce château, à moi ce royaume.

    AFFC, Cersei III.

    Il ne s’agit plus seulement de détruire un bâtiment. Cersei associe directement la destruction de la tour à son émancipation des hommes, au fait qu’elle devient maitresse de son destin et va enfin pouvoir régner par elle-même. En se débarrassant de la tour, elle envoie aussi un signal : la Main du Roi ne supplantera plus la régente (comme Tywin l’avait supplanté dans ASOS). La destruction de la tour l’amène d’ailleurs à des sentiments (apparemment de jouissance) qu’on constate dans deux chapitres. Il est toutefois possible sur ce point que ce soit plus les flammes que la destruction de la tour elle-même qui provoque cette réaction :

    C’est beau, songea Cersei, aussi beau que Joffrey lorsqu’on me le mit dans les bras. Aucun homme ne lui avait jamais procuré de jouissance comparable à celle qu’elle avait éprouvée lorsque les lèvres de son fils s’étaient pour la première fois emparées de son mamelon pour se mettre à téter.
    […]
    Elle se sentait beaucoup trop alerte pour dormir. Le feu grégeois était en train de la décrasser, il réduisait en cendres et ses terreurs et ses furies, il l’emplissait de détermination. « Les flammes sont si ravissantes. J’ai envie de les regarder encore un petit bout de temps. »

    AFFC, Cersei III.

     * * * *

    L’expression qu’il lisait dans les yeux de sa sœur, Jaime la connaissait. Il avait déjà eu par le passé maintes occasions de la remarquer, la plus récente datant du soir même des noces de Tommen, tandis qu’elle faisait incendier la tour de la Main. Si le flamboiement vert du feu grégeois qui se reflétait alors sur leurs figures donnait un air de quelque chose à tous les assistants, c’était à s’y méprendre l’air de cadavres en putréfaction, l’air jubilant d’une meute macabre de goules, mais il y avait au sein de ce charnier des charognes plus appétissantes que d’autres. De quelque manière lugubre qu’en fût illuminée sa beauté, Cersei resplendissait comme jamais peut-être. Elle se tenait là, debout, une main plaquée sur son sein, les lèvres entrebâillées, ses prunelles vertes brillant d’un éclat inouï. Mais elle est en train de pleurer ! s’était brusquement avisé Jaime, quitte à se trouver fort en peine de dire en l’occurrence s’il s’agissait là de larmes de deuil ou de jouissance.

    AFFC, Jaime II.

    Seulement … Il n’est pas si facile de se débarrasser de la domination masculine. Déjà dans le chapitre de Cersei juste avant l’incendie, on constatait que même abimée, réduite à l’état de « coquille vide » , l’ombre de la tour de la Main était toujours présente et dominait toujours une partie du château :

    Noir et désolé, tel était l’aspect de la tour de la Main depuis que des trous béants s’y étaient substitués aux portes de chêne et aux fenêtres garnies de volets qu’elle comportait naguère. Mais même en ruine et humiliée, sa silhouette dominait toujours de manière imposante le poste extérieur. Au fur et à mesure que les invités de la noce sortaient à la queue-leu-leu de la Petite Galerie, son ombre les engloutissait au passage. En relevant les yeux pour contempler les créneaux de son chemin de ronde qui égratignaient une pleine lune d’automne, Cersei se demanda pendant un moment combien de Mains de combien de rois avaient établi là leur résidence au cours des trois siècles passés.

    AFFC, Cersei III.

    Et surtout … même quand on se croit débarrassé de la domination masculine, elle revient. Cersei a cru s’affranchir des hommes dans AFFC, devenir maitresse de son destin en brulant une tour, en prenant des Mains dociles et en éloignant Jaime et Kevan, mais elle a échoué : les hommes sont revenus au pouvoir, et la nouvelle Main du Roi dans ADWD compte manifestement bien rétablir la domination masculine en même temps que la tour de la Main :

    « Tommen me disait que lord Tyrell a l’intention de rebâtir la tour de la Main », fit remarquer Cersei.
    Ser Kevan opina. « La nouvelle tour sera deux fois plus haute que celle que vous avez incendiée », dit-il.
    Cersei partit d’un rire de gorge. « De longues piques, de hautes tours… lord Tyrell essaierait-il de suggérer quelque chose ? »
    La réflexion le fit sourire.

    ADWD, Épilogue.

    Pour moi, il y a ici un sous-entendu double : déjà, Mace Tyrell veut prouver la puissance et l’opulence de sa maison, comme toujours, à travers des constructions tape-à-l’œil et des démonstrations militaires … mais dans le propos de Cersei, il y a surtout un sous-entendu de virilité (longues piques, hautes tours).

    Bref les hommes sont de retour, avec toute leur subtilité et leurs symboles phalliques … il va à nouveau falloir lutter pour s’en affranchir.

    "Si l'enfer est éternel, le paradis est un leurre !"

    #166181
    Kevan
    • Patrouilleur du Dimanche
    • Posts : 182

    En effet, bien vu, la Tour de la Main a une similitude remarquée avec un bon gros phallus à travers la saga.

    Après, la relation de Cersei vis-a-vis du Patriarcat est elle-même complexe. Bon nombre d’analyses ont soulevé qu’elle est de bien des manières une femme misogyne. Ca ne m’étonnerait pas que si son règne avait duré, elle aurait forcé la garde royale à adopter de longues lances de cérémonies.

    Méfie toi de l'homme d'un seul livre. A tous les coups, c'est un taré qui a appris par coeur les personnages quaternaires.

    #166182
    Pandémie
    • Fléau des Autres
    • Posts : 2883

    Perso j’avais un peu la même idée de lances pour Cersei. Ou plutôt l’idée d’une tour de la Reine.

    #166190
    Freuxpensant
    • Patrouilleur Expérimenté
    • Posts : 372

    Comment plier en deux coups de cuillère à pot un sujet en l’introduisant avec un compte rendu exhaustif et analytique du matériel présent dans le texte…. 😉

    Je trouve que Martin a été assez direct dans sa façon de décrire le rapport de Cersei envers le patriarcat. En fait, il allie allusion subtile et image forte pour décrire la sensation d’oppression et le désir d’émancipation qui en découle.

    Curieux de savoir si la prochaine tour de la Main aura le temps de s’ériger…

    "Qui, du ver qui ronge ou du fruit qui pourrit est le plus dangereux ?"
    "Celui qui a faim ne se soucie guère du fruit, du ver et de leur digestion..."
    Fol de Dol (Serge Letendre)
    "Les cor-beaux aiment à voir couler le sang à la cu-rée d'un cerf" (contrepet "trônedeferresque" bien gratiné)

    #166675
    Tybalt Ouestrelin
    • Pas Trouillard
    • Posts : 622

    C’est vrai que là, même sans faire le psychanalyste à deux francs, on retrouve l’idée du phallus, avec la castration associée. Mais finalement ça manque toujours, jamais complètement réussie (ça revient dès qu’on a le dos tourné, via Mace Tyrell ici) et surtout laissant un goût d’incomplet, il manque quelque chose. Tout ceci évidemment dans une société patriarcale (comme la nôtre et celle du trône de fer).

    Et puis bon, une tour hein. C’est déjà phallique en soi. Ajoutons que c’est un lieu de pouvoir qui se montre (re-phallique donc).

    Plus je lis et plus je trouve que Martin a quand même réussi à créer une œuvre dense mais avec une certaine cohérence interne, c’est quand même fort.

    DOH 8&10 : Tybalt Ouestrelin, acolyte loyaliste devenu Mestre ; Or, Argent et Bronze.
    DOH 9 : Lazzara zo Ghazîn, Grâce Bleue devenue Sénéchale. Miraculée devenue Conseillère. Pas Miraculée deux fois.

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