[Colloque Imaginales 2020] Le réalisme de la saga de George R.R. Martin et le rapport à JRR. Tolkien – M. Kergoat

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  • #134097
    Babar des Bois
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    Première intervention du deuxième jour du colloque « Game of Thrones » des Imaginales, dont la thématique générale était : « le réalisme historique de Game of Thrones et du Trône de Fer »

    *

     « Fantasy morghulis : l’assassinat de J.R.R. Tolkien. Du réalisme mortifère de A Song of Ice and Fire » – par Marie Kergoat

    [cette communication s’intéresse principalement aux livres]

    La fantasy n’est pas née avec Tolkien, mais l’auteur du Seigneur des anneaux apparaît comme le « parangon générique » du genre. Tolkien est un modèle, et son oeuvre est considérée comme l’œuvre fondatrice (cf. les travaux de Vincent Ferré). Tolkien en est même devenu un argument de vente. Mais peu de cycles de fantasy lui sont comparables.

    Et pourtant GRRM semble s’être bien inscrit comme étant une icône de la pop-culture avec sa saga : A Song of Ice and Fire. Celui qu’on appelle le « Tolkien américain » met en exergue sa volonté historicisante comme un trait caractéristique de sa saga. Il y a en fait un paradoxe dans cette œuvre qui met en arrière-plan la magie, qui fait pourtant partie de l’essence du genre, au profit d’un « réalisme boueux ». Le renouvellement des codes tolkienniens aurait-il emmené a une potentielle destruction de la fantasy ?

    I- Le rapport ambigu de GRRM à Tolkien : hommage, outrage et rédemption

    Tolkien est loin d’être le seul qui inspire Martin, mais l’auteur est un des seuls à qui il veut donner une réponse en écrivant ses livres. ASOIAF se construit en écho à TLOTR dans un équilibre plus ou moins instable.

    • Il y a un air de famille entre les deux œuvres : un début d’histoire se situant dans des régions septentrionales rappelant l’Europe médiévale, une terre de tradition ; la venue de personnes extérieures à ce monde ; la magie revient et est reconnue ; etc…
    • La mort de Ned, qui représente le summum l’héritage tolkiennien (le parallèle est d’autant plus notable que Sean Bean incarne à la fois Boromir et Ned Stark dans les adaptations visuelles) et qui incarne des valeurs chevaleresques, représente en somme la mise à mort de l’esprit tolkiennien et se définit comme un élément fondateur de la « poétique de la violence » qui émaille l’œuvre [NB : Yann Boudier parle de « sacrifice métalittéraire » à propos de cette mort].
    • Martin prétend corriger les erreurs des successeurs de Tolkien (ceux dont il dit qu’ils font un « Moyen Âge de Disneyland ») en proposant une vision réaliste, aux yeux de l’auteur du moins, de l’histoire. Martin s’impose lui-même comme une sorte de nouveau monarque du genre à travers la diffusion de ses propres codes qui deviennent alors presque un passage obligé.

    Dans la transition, Marie Kergoat met l’accent sur la violence dans l’œuvre de Martin : en mettant la violence au cœur de son propos, Martin propose un nouveau modèle.

    II- Fantasy delenda est

    Il y a eu un essoufflement du genre de la fantasy, alors que la recette de Tolkien ne prenait plus. Pour renouveler le genre, beaucoup se sont inscrits dans un cadre « d’obscur-réalisme ». Marie Kergoat retient trois « sous-genre » de cette fantasy obscure : la Dark fantasy (Dark Souls, La Compagnie Noire de Glen Cook), la gritty fantasy, la grimdark fantasy (Warhammer 40 000). Marie Kergoat rattache ASOIAF au dernier genre : la Grimdark fantasy. Mais elle nuance en disant que différents tons peuvent se mêler au sein de l’œuvre.

    Dans ASOIAF, l’obscur réalisme repose sur l’écho à notre passé (mais selon une version fantasmée de l’histoire liée aux lectures de Martin qui s’appuie sur des fictions historiques), mais aussi et surtout sur la mise en avant de la « vie réelle ».
    ASOIAF et la Grimdark reprennent les codes de Tolkien, mais elle semble aussi la détruire de l’intérieur. On passe de la magie empreinte d’idéalisme, à un réalisme violent qui est mis au premier plan (cf. aussi ce que dit William Blanc dans Winter is coming : une brève histoire de la fantasy : « un merveilleux gouverné par la Realpolitik »).

    III- Le ravissement d’un genre

    Le modèle mis en avant par ASOIAF devient modèle pour de nombreux auteurs. Martin devient à son tour un argument de vente, et on met son nom en avant soit en rééditant ses anciennes œuvres, soit en rapprochant des œuvres du style de Martin (noirceur du monde et &).

    Le dernier grand succès du genre n’est pas étranger à tout cela : The Witcher s’inscrit dans ce modèle générique.

    Crainte de La Longue Nuit sur le genre ? Après le succès du SdA, il y a avait eu une occultation de pas mal d’autres œuvres. La même chose se produira-t-elle avec le nouveau modèle porté par GRRM ?

    Conclusion

    Marie Kergoat fait le lien entre le réalisme boueux et notre temps cynique où le lectorat met de côté l’idéalisme. Mais en citant Martin qui évoque son admiration pour la guerre de la Comté (après la bataille de l’anneau), Marie Kergoat finit sur un retour aux sources, et qualifie Martin non de destructeur, mais bien de révélateur, en mettant en parallèle cette question de fin « douce-amère ».

    ——–

    Marie Kergoat : étudiante en Master 2 de Littérature générale et comparée et en Master 2 Aires Anglophones à l’université de Rennes II, ses mémoires (en cours) portent respectivement sur la question de la contrainte merveilleuse en fantasy contemporaine (étude comparative entre The Lord of the Rings de J.R.R. Tolkien et A Song of Ice and Fire de G.R.R. Martin), reposant sur la tension générique entre liberté magique et contraintes de cohérence ; et sur la problématique de la traduction des noms propres dans Le Trône de fer (G.R.R. Martin).

    • Ce sujet a été modifié le il y a 4 années et 6 mois par Babar des Bois.
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    #hihihi
    Co-autrice : "Les Mystères du Trône de Fer II - La clarté de l'histoire, la brume des légendes" (inspirations historiques de George R.R. Martin)
    Première Prêtresse de Saint Maekar le Grand (© Chat Noir)

    #134117
    FeyGirl
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    Essoufflement du genre de la fantasy alors que la recette de Tolkien ne prenait plus. Pour renouveler le genre, beaucoup se sont inscrits dans un cadre « d’obscur-réalisme ». M.K. retient trois « sous-genre » de cette fantasy obscure : la Dark fantasy (Dark Souls, La Compagnie Noire de Glen Cook), la gritty fantasy, la grimdark fantasy (Warhammer 40 000). M.K. rattache ASOIAF au dernier genre : la Grimdark fantasy. Mais elle nuance en disant que différents tons peuvent se mêler au sein de l’œuvre.

    Ce paragraphe m’a fait sourire, on est vraiment dans un débat de spécialiste ! Pour la plupart des gens, les œuvres citées sont de la Dark Fantasy. Moi-même, je m’intéresse beaucoup à la classification en genre – et sous-genre, mais je trouve que ces dernières années on a beaucoup découpé les cheveux en quatre pour des sagas qui sont finalement dans le même courant. Ce n’est évidemment qu’une opinion personnelle !

    ses mémoires (en cours) portent respectivement sur la question de la contrainte merveilleuse en fantasy contemporaine (étude comparative entre The Lord of the Rings de J.R.R. Tolkien et A Song of Ice and Fire de G.R.R. Martin), reposant sur la tension générique entre liberté magique et contraintes de cohérence ; et sur la problématique de la traduction des noms propres dans Le Trône de fer (G.R.R. Martin).

    Je trouve que les sujets de ses mémoires sont très intéressants.

    • Cette réponse a été modifiée le il y a 4 années et 6 mois par FeyGirl.
    #134141
    Shaoran-kun
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    la grimdark fantasy (Warhammer 40 000). M.K. rattache ASOIAF au dernier genre : la Grimdark fantasy. Mais elle nuance en disant que différents tons peuvent se mêler au sein de l’œuvre.

    Je n’étais malheureusement pas présent dans le colloque, mais c’est « Warhammer 40 000 » qui a été mis en exemple ou la Grimfantasy et non « Warhammer » (aussi appelé « Warhammer: The Old World ») ?
    Parce que 40 000, ça n’a rien de fantasy, c’est du space opéra avec des humains fascistes, des genres de techno-elfes, des Orks avec des lances-flammes, des petit gris communistes japonisants et des aliens, qui font très « Alien : Premier contact ».
    Alors oui, on a des archétypes de fantasy, on a de la magie (psyker, etc…) mais ce n’est pas le 1er exemple qui me vient en tête.

    #134564
    Absinthine
    • Éplucheur de Patates
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    De tête, la mention de Warhammer venait du fait que le terme « Grimdark » serait pour la première fois apparu pour désigner Warhammer 40 000

    #135065
    Lapin rouge
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    Il y a eu un essoufflement du genre de la fantasy, alors que la recette de Tolkien ne prenait plus. Pour renouveler le genre, beaucoup se sont inscrits dans un cadre « d’obscur-réalisme ». Marie Kergoat retient trois « sous-genre » de cette fantasy obscure : la Dark fantasy (Dark Souls, La Compagnie Noire de Glen Cook), la gritty fantasy, la grimdark fantasy (Warhammer 40 000). Marie Kergoat rattache ASOIAF au dernier genre : la Grimdark fantasy. Mais elle nuance en disant que différents tons peuvent se mêler au sein de l’œuvre.

    Ce paragraphe m’a fait sourire, on est vraiment dans un débat de spécialiste ! Pour la plupart des gens, les œuvres citées sont de la Dark Fantasy. Moi-même, je m’intéresse beaucoup à la classification en genre – et sous-genre, mais je trouve que ces dernières années on a beaucoup découpé les cheveux en quatre pour des sagas qui sont finalement dans le même courant. Ce n’est évidemment qu’une opinion personnelle !

    Ce que j’ai trouvé intéressant dans l’approche de Marie Kergoat (dans son intervention, et également lors des échanges à la fin des interventions), c’est d’abord son analyse des genres et sous-genre vus comme un nuancier (avec tout le dégradé entre deux « couleurs ») plutôt qu’une classification rigide et étanche. En outre, elle précise que, ce qui est surtout intéressant dans ces questions, c’est moins de classer telle œuvre dans tel ou tel sous-genre que d’observer comment ces classements sont construits et utilisés, à quels enjeux ils répondent, et comment ils évoluent dans le temps et dans l’espace.

    ses mémoires (en cours) portent respectivement sur la question de la contrainte merveilleuse en fantasy contemporaine (étude comparative entre The Lord of the Rings de J.R.R. Tolkien et A Song of Ice and Fire de G.R.R. Martin), reposant sur la tension générique entre liberté magique et contraintes de cohérence ; et sur la problématique de la traduction des noms propres dans Le Trône de fer (G.R.R. Martin)

    Autant le second thème m’allèche, autant le premier me fait un peu « peur ». En tant que rôliste (un peu rouillé), il ne me semble pas que la magie soit nécessairement contradictoire avec la cohérence. Certes, pour les mauvais auteurs (et les mauvais maîtres de jeu), la magie est parfois bien commode pour justifier une situation rationnellement impossible (c’est le fameux TGCM, pour « Ta gueule, c’est magique ! »). Mais la magie peut aussi constituer un système cohérent, avec ses conditions de réussite, ses contraintes, ses résultats parfois surprenants, etc. La magie n’est pas nécessairement synonyme de liberté, que ce soit diégétiquement (domaine ardu à maîtriser) comme extra-diégétiquement (pour les contraintes spécifiques qu’elle fait peser sur l’auteur). Tout le talent d’un auteur de fantasy est de créer un système de magie à la fois cohérent, intégré logiquement dans l’univers qu’il a élaboré, et qui ne nuise pas à son intrigue.

    Quoi qu’il en soit, j’aimerai lire ces mémoires, une fois qu’ils seront terminés, et si on peut y accéder.

    They can keep their heaven. When I die, I’d sooner go to Middle Earth.
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