Ethnicité, racisés et personnages de couleur dans ASOIAF

  • Ce sujet contient 5 réponses, 6 participants et a été mis à jour pour la dernière fois par Babar des Bois, le il y a 1 mois et 1 semaine.
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  • #208596
    Narscimonel
    • Éplucheur de Patates
    • Posts : 1

    Bonjour, contrairement aux apparences, je ne cherche là nulle polémique ou débat enflammé politique. Je me pose sincèrement la question de la place des personnes racisées dans l’oeuvre de Martin concernant A song of Ice and Fire. A travers tous les livres publiés, j’aimerai faire appel à votre mémoire et vos références pour faire une sorte de carte géographique du monde connu.

    Il me semble que de nombreuses opportunités de mettre en scène des personnages racisé.e.s n’ont pas été prises, certainement dû à l’époque à laquelle la saga a été écrite. Ainsi, il me semble que dans les Cités libres, les populations, quoique mixtes ethniquement/culturellement sont surtout « blanches ». En va t-il ainsi avec les Lysiens et les Tyroshis

    Les seuls « Noirs » dont je me rappelle sont originaires des îles d’Eté. J’imagine que Yi Ti est peuplée par des Asiatiques, les Dothrakis sont clairement inspirés des Mongols. Je devrais relire la saga et traquer les descriptions des personnages mais le travail est long et fastidieux. Je fais donc appel à vous, érudits, mestres, bardes et archivistes de la Garde pour me donner le plus d’indications possibles « canons » (autrement dit, non la série, mais tous les romans, interviews et encyclopédies officielles) sur la place de personnages de « couleur ».

     

    Désolé si je m’exprime mal. Encore une fois, le but de ce post n’est pas de déclencher une polémique, mais juste à visée encyclopédique et par curiosité.

    Merci !

    #208600
    Obsidienne
    • Pisteur de Géants
    • Posts : 1116

    Tu parles de deux aspects des choses .

    • le traitement des personnes racisées dans le récit
    • le lien entre le physique des personnages et leur origine géographique
      Là, je réponds : à  quoi bon se poser la première question ?
      Clairement, les caractéristiques physiques très typées sont une commodité pour signer l’appartenance à une contrée … ou à une famille : les Targaryen  le prouvent !
      P.S. n’hésite pas à aller te présenter 😉
    • Cette réponse a été modifiée le il y a 1 mois et 1 semaine par Obsidienne.
    • Cette réponse a été modifiée le il y a 1 mois et 1 semaine par Obsidienne.

    "Vé ! " (Frédéric Mistral, 1830-1914)
    " Ouinshinshoin, ouinshinshishoin " ( Donald Duck, 1934)

    #208601
    Eridan
    • Vervoyant
    • Posts : 6384

    Désolé si je m’exprime mal. Encore une fois, le but de ce post n’est pas de déclencher une polémique, mais juste à visée encyclopédique et par curiosité.

    Aucun souci, ce sont des débats et des réflexions que nous avons déjà pu aborder par le passé et qui ne devraient pas susciter de polémique. ^^

    La plupart des personnages noirs viennent effectivement des îles d’Été, où la carnation est plus foncé que sur le reste du monde connu. Parmi les personnages récurrents que nous croisons, on peut citer des prostituées port-réalaises (Alayaya et sa mère Amaya), un prince en exil (Jalabhar Xho), des marchands (Quhuru Mo, sa fille Kojja Mo, et son second Xhondo Dhoru) et un certain nombres de mercenaires ou d’esclaves. (La liste complète des personnages nommés est .) On peut aussi penser au prêtre rouge Moqorro, encore que dans son cas, il y a un doute sur ses origines : sa carnation semble plus foncée que celle des Estiviens.

    Si on sort des personnages noirs, on peut effectivement citer les Dothrakis, mais aussi les Lhazaréens qui partagent leurs caractéristiques physiques. Dans un autre registre, on a également les Ibbéniens qui présentent des caractéristiques physiques particulières.

    Ainsi, il me semble que dans les Cités libres, les populations, quoique mixtes ethniquement/culturellement sont surtout « blanches ».

    Les sociétés des cités libres ne sont absolument pas mixtes ou multiculturelles, justement. ^^ Elles sont tournées vers le commerce mais comme pour Westeros, il existe une hiérarchie sociale. L’aristocratie de ces cités descend essentiellement de l’Ancien Sang valyrien (sauf Braavos) et cultive justement ses privilèges et ses spécificités pour se différencier du reste de la population. Dans ces cités, les racisés sont donc cantonnés à des postes subalternes : combattants d’arène, rameurs, gardes-du-corps, mercenaires (généralement des esclaves). Même au sein d’un temple rouge comme à Volantis, où tous les prêtres sont censés être esclaves du temple dieu, on retrouve cette forme de racisme avec un Grand Prêtre (Benerro) qui est particulièrement blanc et valyrien. On peut aussi penser aux Qarthiens, les « Sang-de-lait » dont la noblesse cultivent la pâleur de la peau (alors qu’ils sont plus au sud que Dorne où les habitants sont globalement typés méditerranéens).  Martin reprend ici un motif typique (une idée reçue ?) sur le Moyen Âge : les nobles recherchent et préservent la blancheur de leur peau, pour se différencier des travailleurs, qui n’ont pas le choix que de s’exposer au soleil.

    A mon sens, il y a une double volonté à cette sous-représentation des personnes racisées : déjà, Martin veut un récit centré sur Westeros (ouais, il s’en est un peu éloigné avec le temps. ^^), avec des personnages qui ont évolué en vase clos au milieu des leurs pendant toute leur vie. Les Estiviens sont introduits essentiellement pour amener de l’exotisme et du folklore. Plusieurs personnages (Sansa, Vère) rencontrent des Estiviens pour la première fois de leur vie au cours de la saga. Comme toutes les autres ethnies, il court à leur sujet des idées reçues. La plupart du temps, Martin joue sur ces idées reçues concernant les ethnies ; encore que dans le cas des Estiviens, est-ce qu’il prévoit de casser les idées reçues plus tard ou est-ce que lui-même n’arrive pas à mettre ses propres conceptions de côté ? ^^ Je ne sais pas. Toujours est-il que les concernant, il tarde un peu à mon goût à défaire certains clichés qu’il a mis en place. (Notamment sur leur sexualité décomplexée.)
    L’autre « intérêt » de sous-représenter les personnes racisées, c’est de montrer qu’on est dans un univers relativement cloisonné : les ethnies ont du mal à se mélanger les unes aux autres. Il n’y a guère que chez les marins, les mercenaires et les esclaves qui mélangent les ethnies, les aristocrates sont en revanche particulièrement vigilants aux questions de généalogie et généralement suspicieux lorsqu’on leur parle de mariages inter-ethnies. (Kevan qui juge que Jeyne Ouestrelin n’a pas un lignage suffisamment « propre » pour son propre fils ; la plupart des Ouestriens qui jugent que Daenerys a épousé un sauvage barbare.) Les rares fois où les nobles se mélangent à d’autres ethnies, c’est lorsqu’ils n’ont pas le choix : après une conquête ou une guerre meurtrière.

    Là, je réponds : à quoi bon se poser la première question ?

    Parce que c’est une question essentielle de notre monde moderne et que l’auteur a manifestement conscience qu’il est important de casser certains clichés sur les représentations des minorités, puisqu’il s’y emploie dans son œuvre.

    Typiquement, sur la représentation des femmes, Martin était plutôt en avance. Sur la représentation LGBT, il était plutôt conforme à ce qui se faisait par ailleurs. Sur la représentation des minorités ethniques, il fait un travail pas dégueu justement avec les sauvageons, les Dothrakis, les Fer-nés, les Dorniens, et les Ghiscaris (présentés d’abord à travers les clichés et les idées reçues qu’on véhicule sur eux, pour au final découvrir des vérités plus nuancées ou des personnages atypiques qui les humanisent davantage). Mais pour les Estiviens, on reste surtout sur les clichés folkloriques pour le moment : les manteaux de plumes, l’amour libre … L’équipage de la Brise cannelle commence légèrement à revenir dessus fin AFFC, mais on en est clairement pas au même point que pour les autres ethnies.

    "Si l'enfer est éternel, le paradis est un leurre !"

    #208605
    Pandémie
    • Fléau des Autres
    • Posts : 2893

    Hello, pas de souci, on peut parler de tout.

    Perso, je dirais que c’est normal. Dans une société de ce type, les mouvements migratoires forcés ou volontaires sont limités par diverses contraintes, dont la distance. Des sociétés multiethniques sont possibles, mais pas sur le modèle de centres urbains modernes américains ou d’Europe de l’ouest. On trouve des personnages racisés un peu partout, notamment les marins estiviens. La famille Mo par exemple, commerce sur son navire, à Braavos et Villevieille. On trouve aussi des prostituées, Chataya et sa fille, ou un prince exilé, Jalbhar Xho à Port-Réal. On a un prêtre, Moqorro, à Volantis, et des tas de mercenaires et d’esclaves en Essos. Après, on peut regretter qu’ils n’aient pas de rôles plus proéminents mais il ne faut pas oublier que l’inclusion ne se résume pas aux afrodescendants, Martin a étalé son monde d’ouest en est et les personnages à Vaes Dothrak ou Meereen sont d’inspiration orientale (avec de gros clichés mais voilà), et qu’il y a d’autres disparités notamment sociales, avec par exemple 100% des personnages PoV hors prologues et épilogue qui sont membres de la noblesse ou du clergé.

    Parce que c’est une question essentielle de notre monde moderne et que l’auteur a manifestement conscience qu’il est important de casser certains clichés sur les représentations des minorités, puisqu’il s’y emploie dans son œuvre.

    C’est un questionnement fondamental des sociétés post coloniales et patriarcales et c’est très important den faire du genre ou de la racialisation un sujet de débat ou un sujet littéraire. Mais  c’est malheureusement utilisé parfois comme arbre qui permet de cacher la forêt d’une société avec des inégalités socio-économiques ou des tensions religieuses, avec notamment aux USA un christianisme intégriste et un racisme en progression contre les arabomusulmans ou les Chinois. The Witcher évacue par exemple la question de l’extermination et de la conversion forcée du paganisme slave et des pogroms anti juifs en mettant des afrodescendants. De même, les Velaryon dans HotD servent de caution inclusive alors que la série a évacué tout personnage d’inspiration moyen-orientale qui aurait beaucoup plus sa place dans le lore entre une Dorne mauresque (d’ailleurs dans le cast de GoT, à part Alexander Siddiq, tout le monde est d’origine latino et asiatique, personnen’est  d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient)  et un empire valyrien coincé entre est et ouest. Heureusment, Martin fait un peu plus attention à tout cela.

    • Cette réponse a été modifiée le il y a 1 mois et 1 semaine par Pandémie.
    #208607
    DNDM
    • Fléau des Autres
    • Posts : 3150

    Pour compléter l’excellent état des lieux d’Eridan, auquel je souscris en tout points:

      • Si tu n’as pas lu A world of ice and fire (appelé « Game of Thrones: les origines de la saga », en français, mais qui contrairement à ce nom marketing et discutable est censé être un livre raccord avec l’univers des livres, et pas de la série télé), c’est là-dedans que tu trouveras le plus facilement des infos géographiques / géopolitiques / sociologiques / ethniques sur le monde. Tu peux aussi tout simplement fouiller l’excellent wiki. ^^
      • Parmi les autres personnages noirs / métis que j’aime bien (ou plutôt, sur lesquels j’aimerai en savoir plus), il y a Bellegere Otherys et ses enfants et descendants, qui descendraient d’Aegon l’Indigne (et auraient donc du sang Targaryen). Ils sont à la fois liés à la famille principale du récit, et en même temps très caricaturaux car caractérisés principalement par leur couleur de peau, dès leur désignation (le fils de Bellegere s’appelle Balérion, pour le renvoyer au dragon noir historique de la famille Targaryen, Bellegere et sa descendante courtisane à Braavos sont toutes deux surnommées « Perles Noires »…), ce qui est ceci dit assez logique et raccord avec la façon dont les gens de Westeros nomment / surnomment leurs contemporains de façon générale.
      • Les Iles d’Eté (et les personnages venant des îles d’été) sont décrits par le point de vue des personnages de Westeros et restent assez caricaturaux, mais elles ont de façon générale un gros potentiel narratif caché. Comme les westerosis, on a tendance à y calquer sommairement quelques clichés, genre peuplades semi-sauvages en manteau à plumes, mais de fait c’est le meilleur peuple de marins de la saga, très inspiré du Portugal de l’époque des grands navigateurs, et ils ont également un genre de bibliothèque qui question savoir semble dans certains cas pouvoir rivaliser avec celle de la citadelle. Là encore, j’aimerai beaucoup en voir plus…
      • Ceci dit, les iles d’Eté restent un territoire peu étendu dans ce monde secondaire, et l’équivalent géographique du continent africain est Sothoryos, qui est de fait un mélange cauchemardesque d’Afrique et d’Amérique du sud sauvages, peuplé de bestioles et de maladies plus mortelles les unes que les autres (et vaguement d’hommes bringés, aussi, c’est à dire des humanoïdes à rayures, sans équivalent physique dans notre monde réel).
      • Les dorniens, avec leur apparence et leur culture méditerranéenne, peuvent aussi être qualifiés de racisés, selon comment on utilise le mot.  Surtout quand on se souvient qu’ils ont (souvent) des ancêtres Rhonyars, et que la culture Rhonyar est en partie inspirée de l’Egypte antique, avec la Rhoyne dans le rôle du Nil.
      • Tout le parcours de Daenerys, aussi, l’amène a croiser des peuplades diverses (les Ghiscaris étant évidemment la plus développée). Cet aspect du récit est aussi largement infusé d’orientalisme (et si le sujet t’intéresse, @babardesbois a pas mal de ressources là-dessus ^^).
      • De façon général, tu trouveras aussi des infos et réflexions qui peut-être peuvent t’intéresser dans les topics du genre « Inspirations historiques du trône de Fer« . L’imaginaire de GrrM est principalement construit à partir de récits historiques ou semi-historiques, souvent datés, sur la période médiévale européenne et sur les grandes civilisations antiques du bassin méditerranéen. Perso je pense que le fait que les peuples noirs soient relativement absents du Trône de Fer vient quelque part du fait que GrrM ne s’est jamais réellement intéressé à l’histoire des peuples africains ou des personnages noirs dans l’histoire antique et médiévale, et / ou au fait que les ressources à ce sujet n’étaient probablement pas foisonnantes au moment où il a construit les bases de son imaginaire, dans sa jeunesse.

    Auteur de "Les mystères du Trône de Fer", tome I, co-auteur du tome 2: https://www.lagardedenuit.com/forums/sujets/les-mysteres-du-trone-de-fer-les-mots-sont-du-vent/ & https://www.lagardedenuit.com/forums/sujets/les-mysteres-du-trone-de-fer-2/
    Présentation & autres pub(lications) : www.lagardedenuit.com/forums/sujets/presentation-dndm/

    #208634
    Babar des Bois
    • Call me Docteur
    • Posts : 4868

    Cet aspect du récit est aussi largement infusé d’orientalisme (et si le sujet t’intéresse, @babardesbois a pas mal de ressources là-dessus ^^).

    Ahah, c’est gentil de penser à moi ^^
    J’ai en effet écrit un article sur l’Orientalisme d’Essos (dans les livres), dans cet ouvrage (l’avant propos d’Anne Besson est disponible en ligne).

    De manière générale, pour l’Orient, Martin a un imaginaire qui est vraiment très infusé du XIXe siècle (lui même hérité des siècles passés) : une hypersexualisation (d’ailleurs les seules relations lesbiennes dans la saga principale ont lieu avec des femmes de l’Est), des sociétés cruelles et esclavagistes (qui s’appuie sur l’idée, historiographiquement datée maintenant, que l’occident médiéval n’avait pas d’esclavage, contrairement à l’Orient), des eunuques, un folklore à la fois fascinant et repoussant, etc. Le tout avec des nuances tout de même comme le pointe Eridan, à mesure qu’on découvre des mondes plus complexes (les nuances restent relatives ceci-dit, Essos reste très marquée par différentes formes d’orientalisme). Le tout dans un contexte où l’on suit une héroïne « occidentale » qui découvre ce monde (donc forcément, on est introduit à ce monde par l’angle de l’altérité). C’est vraiment très intéressant à étudier.

    Parce que c’est une question essentielle de notre monde moderne et que l’auteur a manifestement conscience qu’il est important de casser certains clichés sur les représentations des minorités, puisqu’il s’y emploie dans son œuvre.

    J’ajouterai aussi que les œuvres que nous lisons / regardons participent à façonner nos imaginaires, et que forcément c’est une question très contemporaine, sur laquelle il y a beaucoup de recherches et discussions (ne serait-ce qu’un exemple : https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-representation-des-noirs-dans-le-cinema-americain-et-francais-1823398)

    #hihihi
    Co-autrice : "Les Mystères du Trône de Fer II - La clarté de l'histoire, la brume des légendes" (inspirations historiques de George R.R. Martin)
    Première Prêtresse de Saint Maekar le Grand (© Chat Noir)

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