Les Cités de Westeros

  • Ce sujet contient 3 réponses, 4 participants et a été mis à jour pour la dernière fois par Ser Damien Florent, le il y a 3 années et 4 mois.
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  • #157595
    Kevan
    • Patrouilleur du Dimanche
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    Ca a déjà été dit, la société médiévale de Westeros n’est pas, loin de là, une retranscription traits pour traits du moyen-âge européen. Quand il se veut « réaliste », GRRM vise surtout à présenter les conséquences logiques et implacables d’un univers de fantasy typique, et notamment la brutalité du système féodal. On a évoqué les blasons, plus imagés et moins fonctionnels que la héraldique européenne, ou le clergé, beaucoup moins présent et puissant (même avant les réformes de Jaehaerys) dans la société ouestrienne qu’il ne pouvait l’être dans notre monde. Mais une autre caractéristique est remarquable : son très faible développement urbain.

    Les Sept Couronnes ont cinq grandes cités : Port-Réal, Villevieille, Port-Lannis, et d’une envergure moindre, Goëville et Blancport.  A cela s’ajoute un grand nombre de petites villes, parmi lesquelles Pierremoûtier, Bourg-les-Vignes, Salins, Kayce, Pont-l’amer, Viergétang, Bourg-Cabanes, Sortonne, Tertre-Bourg, Sombreval, Ville-en-Pleurs ou Beaumarché, et un vaste réseau de villages et lieux-dits ruraux. Somme toute, pas grand chose pour un continent entier, surtout un où le commerce est aussi développé et où les obstacles naturels à la civilisation ne sont pas si nombreux. Pourquoi cette carence citadine, et quelle conséquence pour la société de Westeros ?

    Le développement des villes et cités semblent obéir à deux critères : les opportunités économiques offertes par le terrain, et la puissance de la maison noble autour de laquelle l’agglomération se crée. Les cinq cités sont des ports commerçants et les coeurs économiques de leurs régions respectives. Villevieille est supposée être un ancien comptoir des civilisations antiques, Port-Lannis est le débouché des richesses aurifères de l’Ouest, et les trois autres sont dans des positions idéales pour commercer avec les Cités Libres. Les villes mineures sont généralement à proximités de gués, de ponts, de mines ou de la mer. Port-Réal, Port-Lannis et Blancport sont également intimement liées à la famille aristocratique qui y règne. Blancport s’est développée à partir d’une simple forteresse grâce à la richesse méridionale investie par les Manderly, jusqu’à devenir le centre économique du Nord. Port-Lannis est passée de village côtier à riche cité en partie grâce aux branches secondaire de la famille Lannister qui s’y sont établis, garantissant de proches relations entre les suzerains de l’Ouest et les notables locaux. Port-Réal, enfin, a été entièrement bâtie par les Targaryen, et sa taille est à l’image de la démesure de ses fondateurs (sa puanteur caractéristique pourrait symboliser autre chose sur les seigneurs dragons, d’ailleurs…). De même, les sièges des Stark et des Martell sont cernés par des faubourgs, la ville d’hiver et la ville ombreuse, qui ont grandi sous la protections des maisons nobles.

    Cependant, la plupart des seigneurs de Westeros semblent se contenter d’un rapport féodal assez basique avec leurs sujets. Ils vivent dans un château isolé, et dominent des hameaux paysans répartis à travers leur fief. Le château sert de base militaire et administrative, et les communautés qui l’entourent ne semblent pas encouragées à se développer plus que cela. En fait, certaines villes, comme Sombreval, sont même sur le déclin. Bien sûr, les nombreuses guerres, sans pitié pour le petit peuple et temporairement piquetées de dragons, n’encouragent pas vraiment la croissance. Elles ont notamment réduit les prospères villes de Chutebourg, Port-d’Epices et Pont-l’Amer en cendres, et il est impossible de dire si des bourgades détruites par le récent conflit, comme Salins, se remettront jamais. Mais il est vrai que la situation semble largement convenir aux nobles. Les cités, si elles sont sources de richesses, peuvent également être un ferment de révolte, comme on l’a vu durant les émeutes du Berger ou de la faim à Port-Real, ou la mort de Quenton Hightower après le fléau de printemps. Elles soumettent la classe aristocratique aux changement sociétaux indépendants de leur pouvoir direct, et créent une élite concurrente à travers la bourgeoisie marchande et artisane. Une description récurrente des villes de moindre envergure note d’ailleurs la petite taille de leur château, comme si certaines cités se développaient là où le pouvoir des nobles est faible.

    Goëville en est un exemple intéressant. La situation de la cité dans le système vassalique ouestrien est assez floue. La plus grande agglomération du Val et l’une des plus importante du royaume, elle est gouvernée par une famille de nobles particulièrement amicaux avec Littlefinger, les Grafton… avec leur rivaux ancestraux, les Shett, résidents toujours en ville, et une branche de la maison Arryn, rendue tellement riche par leurs mariages roturiers qu’elle a pu revendiquer la dominance du Val tout entier pendant le règne d’Aegon III (sans succès cependant). On le voit, la suprématie nobiliaire n’y est déjà plus très ferme, et ce n’est pas un hasard si Petyr Baelish y a commencé son ascension, officiant comme responsables des douanes du port et rapportant des fortunes à Jon Arryn, qui va, raisonnablement mais en rétrospective assez naïvement, le ramener à Port-Réal. De là, fait Grand Argentier, il va en profiter pour tisser une toile de relation à travers des postes honorifiques et largement ignorés par la noblesse, lui permettant de se faire des alliés auprès des bourgeois port-réalais, qui contrôlent bientôt un grand nombre de fonctions hautes et basses, prestigieuses ou importantes. Par négligence, l’appareil financier est en train de passer des maisons nobles à l’élite bourgeoise citadine.

    Les cités de Westeros ne sont pas indépendantes. Le mot « charte » n’apparait qu’une seule fois dans les livres, et c’est pour évoquer le défi de Sombreval. Même là, Denys Sombreval a peut être été influence par son épouse lysienne. Les guildes d’artisans, orfèvres, tisserands ou cuisiniers n’en sont qu’à leurs balbutiements, les septuaires et matristères n’ont aucun poids temporel, les guets civils sont entièrement soumis au seigneur local, et le pouvoir est toujours dans les seules mains des aristocrates et de leurs plus ou moins vieilles familles. Ce focus sur le fief héréditaire est plus important, parce que plus simple, que ce que le monde réel a pu voir, et explique sans doute en partie ce faible développement urbain. Mais la séparation stricte entre les classes a laissé la caste guerrière noble aveugle à des questions et des évolutions qui vont de pair avec un royaume au réseau routier bien ordonné, une ouverture sur le monde toujours croissante et une capitale qui ne cesse de s’agrandir. Il n’est pas sûr que l’ordre des mestres soient suffisant pour pallier aux lacunes financières et administratives des chevaliers face aux revendications populaires causées par le chaos actuel et la lente ascension sociale des marchands et autres habitants de quelques cités de Westeros.

    Méfie toi de l'homme d'un seul livre. A tous les coups, c'est un taré qui a appris par coeur les personnages quaternaires.

    #157608
    Ser Aemon Belaerys
    • Exterminateur de Sauvageons
    • Posts : 896

    Très intéressant comme analyse.

    Du coup si je comprends bien, on peut s’attendre à ce que la bourgeoise commerçante intervienne directement ou indirectement dans le jeu des trônes dans TWOW ?

    -"Comment veux-tu mourir, Tyrion, fils de Tywin ?"
    - "Dans mon lit, à l’âge de 80 ans, le ventre plein de vin et ma queue dans la bouche d’une pute. "

    #157668
    Pandémie
    • Fléau des Autres
    • Posts : 2883

    Il n’y a justement pas vraiment de bourgeoisie. La bourgeoisie avait des droits et devoirs spécifiques qui la distinguait des gens de la campagne dont bon nombre, en matière d’impôt et de corvée, les mettaient en opposition avec la noblesse. Il existe même en allemand un dicton Stadluft macht frei (sic), l’air de la ville rend libre, dont l’origine vient du fait qu’un homme avait droit de cité s’il résidait en ville un an et un jour (et s’acquittait de quelques trucs). Il n’y a pas cela dans le TdF, ou très peu, et c’est tué dans l’œuf. Les interactions entre marchands, artisans et noblesse semblent rester sur le plan financier, pas juridique. Les premiers prêtent de l’argent en échange de faveurs ou de mariages avec les seconds ou se mêlent de politique quand leurs intérêts sont menacés (comme les Epois). Le commerce semble également bien plus sous contrôle, par exemple les stocks de céréales et leur vente (donc l’offre) sont contrôlés par les seigneurs en vue de l’hiver (en tout cas dans certaines régions). Cela freine évidemment le développement urbain.

    L’autre souci vient du fait que le monde de Westeros est étiré et esquissé. Tout comme pour la religion par exemple, il a mis en place une ossature logique mais sans développer, s’intéressant avant tout à la noblesse.  Ensuite. GRRM a pris l’ile de Grande-Bretagne, l’a retournée puis l’a étirée 4 à 5 fois plus grande, puis a casé des villes de taille plausible à des endroits stratégiques logiques. Bref, c’est comme si avec les ingrédients et la pâte à pizza pour une personne, il l’avait étalée pour en faire une familiale. Heureusement, il n’a pas commis l’hérésie de mettre de l’ananas pour boucher les trous, mais il y a quand même trop de vide, notamment un manque de bourgades moyennes et importantes, tout simplement parce qu’il faut, pour qu’une économie citadine puisse vivre, qu’il y ait un réseau de bourgs, villages et hameaux.  C’est par exemple flagrant dans le Conflans, avec une ville de Salins beaucoup trop petite pour dire qu’elle est le débouché d’un commerce fluvial et maritime, avec une surréaliste Verfurque intraversable entre les Rubis et les Jumeaux. Et les villes de Martin manquent aussi souvent de tavernes et d’auberges, on en comptait 500 officiellement à Paris en 1300 et d’autres villes limitaient leur nombre et les habitants buvaient genre 200 litres de vinasse par an. Sans doute pour éviter le cliché fantasy de l’aventure qui démarre à l’auberge (à part celle du Carrefour).

    L’autre explication, c’est aussi un continent moins densément peuplé que l’Europe médiévale. Mais même, toujours pour des motifs économiques et pratiques, les humains ont tendance à se concentrer dans la sphère d’influence des villes et de laisser des zones « sauvages », pas à s’étaler au milieu de nulle part.

    Bref, les villes et leur fonctionnent existent de manière cohérente malgré quelques détails, mais sont quelques peu laissées en plan sur d’autres points, faute de temps et de place, comme pour la religion des Sept par exemple.

    • Cette réponse a été modifiée le il y a 3 années et 4 mois par FeyGirl.
    #157703
    Ser Damien Florent
    • Pas Trouillard
    • Posts : 550

    C’est très intéressant.

    Il est vrai que GRRM ne décrit pas trop les arrières pays. C’est la même chose en Essos, hormis les cités états et la Mer Dothrak qu’on imagine comme une steppe d’Asie centrale, on ne sait pas grand chose. pourtant il faut bien les nourrir ces citadins et ces nomades, ils doit bien y  avoir des villages agricoles et des petites villes pour les marchés et les échanges.

    You're gonna carry that weight

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