Comme pour la saison 1, un petit point sur cette bande originale de la saison 2 qui est sortie juste après le dernier épisode. Que vaut donc la nouvelle (mais pas trop) partition de Ramin Djawadi pour cette année ? Et surtout qu’y trouve-t-on ?
Je préfère avertir ici qu’il y a du spoiler plein l’article ; donc, si vous n’avez pas vu la saison entière ou que vous êtes en cours de visionnage, vous pouvez passer votre chemin. Si vous n’avez pas peur d’affronter une nuit pleine de spoilers, soyez les bienvenus !
↑Les doigts dans le barral
Ce n’est pas le premier article que le chroniqueur que je suis consacre à la musique de Ramin Djawadi. Nous avions eu un premier article d’analyse à l’occasion de la saison 8 de GoT et une review de la BO de la saison 1 de House of the Dragon. S’ajoutent à cela plusieurs podcasts autour de la musique et du Trône de Fer que je vous liste ci-dessous. Les deux premiers, enregistrés avec nos amis d’Elbakin à l’origine du podcast Fantasy et Métal, sont consacrés d’une part aux chansons, et d’autre part au fait qu’avant la sortie de la série, c’était la musique à base de guitares saturées qui s’était emparée de l’univers de George R. R. Martin pour composer des balades et autres trucs un peu dark. On y a aussi causé du rapport de Martin aux chansons, puisqu’après tout le titre anglais du Trône de fer est bien A Song of Ice and Fire.
Le troisième épisode de ce triptyque cause de Ramin Djawadi, de son parcours bien sûr, mais aussi de comment a été composée la musique de Game of Thrones. Le tout était assorti d’une petite incise sur la musique de House of the Dragon. J’étais pour l’occasion accompagné de Marjolaine, qui vient de la Gazette du Sorcier et de Popcorn Therapy (et que vous avez pu voir dans les débriefs sur Twitch tout au long de la saison 2), mais aussi Olivier Desbrosses de Total Trax, un podcast dédié à la musique de film.
↑In media res
Alors avant de causer de l’album en lui-même, un petit retour sur ce qui a été entendu dans la saison, et en tout cas sur ce qui a pu marquer mon oreille. J’avoue avoir cédé à un petit moment de frustration pendant les premiers épisodes en entendant les génériques de fin. Pour rappel, la plupart des morceaux de Djawadi composés dans les premières saisons de GOT étaient des génériques de fin, mais ils savaient poursuivre et continuer l’ambiance de la dernière scène de l’épisode. Ici on se retrouve avec de gros emprunts à la BO de la saison 1 (genre le couronnement d’Aegon par exemple, qui fait plusieurs génériques avec le thème des Verts). Et sinon, on a plus souvent eu des choses à base de sound design que de mélodies. Pas de quoi marquer vraiment l’esprit.
Alors cette saison 2 a bien eu quelques moments de gloire musicalement tout de même. De mon côté, j’avais noté plusieurs choses qui me semblaient intéressantes : la découverte du corps du petit Jaehaerys ; le thème « yéyé » qui apparaît en conclusion de l’épisode 3 à la fin de l’entrevue entre Rhaenyra et Alicent ; le passage où Daemon quitte Peyredragon/arrive à Harrenhal ; le départ des Verts en croisade à la guerre ; la première partie de la bataille de Repos-des-Freux ; le recrutement des Semences dans les rues de Port-Réal ; la séquence « teaser montage » de la fin de l’épisode 8. Et c’est à peu près tout.
On a assisté à quelques retours venus de Game of Thrones par ailleurs, comme le thème des Stark qui ouvre la saison. J’avoue avoir eu moins d’enthousiasme en entendant les Pluies de Castamère qui accompagnent les Lannister. C’était inévitable et la mélodie est cool, mais bon, ça n’a aucun sens narratif à l’époque de la Danse.
↑Remplissage et ambiances sonores
Une fois la galette lancée (ou la playlist Spotify ci-dessous ou cette playlist YouTube enclenchée), force est de constater que la musique de cette saison 2 comporte les mêmes défauts que l’ensemble des huit épisodes. On a bien quelques mouvements marquants, mais peu de nouveauté. Et un sacré sentiment de remplissage.
La BO comporte pas moins de 31 titres et quelques pistes viennent retenir l’attention. Cependant, il faut bien avouer qu’en dehors des morceaux sus-cités, eh bien on a du mal à raccrocher les dragons. On devine bien à l’ambiance ou au titre que telle ou telle partition correspond à tel ou tel moment. A titre d’exemple, je prendrai Remembering Those Who Came Before qui certes, a su me tirer la larmichette lors des « funérailles » de Lucerys. Mais il faut bien avouer que ça aurait pu correspondre à n’importe quelle scène de Rhaenyra avec les yeux humides, et R’hllor sait s’il y en a eu cette année. J’en veux pour preuve que la piste se confond aisément avec Right to Grieve qui aborde justement le deuil de la Reine Noire.
Cela s’accentue encore plus lorsqu’on constate la présence de pas mal de trucs qui relèvent plus de l’habillage sonore que du score à proprement parler comme disent les anglais. Dans ces moments qui relèvent presque plus du sound design, on retrouve le démarrage de Strange Victory ou A Sworn Protector qui n’ont pas vraiment d’identité. Dans le mieux, il y a Sang et Fromage. Si la scène peut avoir déçu, il faut bien avouer que les 3 minutes 4 proposée par Ramin Djawadi pour accompagner les deux meurtriers dans la scène finale de l’épisode 1 sont diablement efficaces. Toutefois, entre celles-ci et Born Together qui accompagne l’infiltration préalable au duel des Cargylle, l’auditeur d’un soir aura l’impression d’être sur la même piste. Certes, cette mise en miroir des deux scènes est intéressante, mais elle rend l’exercice musical un peu vain.
Cette approche plus environnementale que mélodique n’est pas nouvelle pour le compositeur, car issue de ses années de travail sur Westworld, et on en avait eu un avant-goût lors de la saison 8 de Game of Thrones. Mais pour être tout à fait transparent, pour retrouver à quelles scènes étaient liées certaines musiques, il m’a fallu aller lire les commentaires sur Youtube (et constater le nombre d’entre eux demandant à quel moment de la saison se trouvait la série). Alors il ne faut certainement pas blâmer Ramin Djawadi pour n’avoir pas livré de musique marquante pour les différentes scènes. Peut-être juste que ces dernières n’étaient pas des plus inspirantes.
Puisqu’on parle de sound design il est intéressant de noter qu’on a dans la bande-originale de cette saison 2 des éléments assez rétro, notamment au niveau des percussions sans doute issues de synthétiseurs. En effet, les sons utilisés dans les scènes d’action de Rook’s Rest parties 1 et 2 ou encore There Will Be No Mercy ont de drôles de résonances, de celles qui rappellent le premier Pirates des Caraïbes de Klaus Badelt ou encore… The Rock de Hans Zimmer.
↑Prelude to war
Derrière ce titre emprunté à la propagande américaine de la Seconde Guerre mondiale (ou à un titre de l’excellente BO de Bear McCreary pour la saison 2 de Battlestar Galactica), puisqu’on a parlé des choses qui fâchent, allons causer de celles qui sont plus engageantes !
Car de majesté il en est tout de même question. Le moins qu’on puisse dire, c’est que si la Reine Noire de Peyredragon a plus fait la girouette et du sur place dans la saison 2, c’est elle qui est le plus représentée dans l’album avec au moins 5 titres avec le fameux « ha ha » hérité de la saison 1. Parmi ceux-ci, The Whisper Network, reprend donc le thème de Rhaenyra et correspond à la collecte des Semences. Le thème de Rhaenyra (que ce soient les « ha ha » ou le violon du Prince qui fut promis qu’on peut aussi lui attribuer car il n’apparaît jamais pour les Verts) se retrouvera d’ailleurs à la fin lors de la séquence à Harrenhal, en quasi-clôture de l’album, avec Fight for our queen.
↑Vous avez dit Dune ?
Au démarrage de l’album, plutôt que d’amener la chose de manière chronologique, Djawadi amène aussi ses nouveautés (c’est ce qu’il faisait sur GOT). Ici, nous avons le thème qui sera celui de la saison, le fameux « Yéyé » de la fin de l’épisode 3 qu’on réentendra à deux occasions : sur Rook’s Rest Part I et sur All must choose qui clôture l’album. Arrêtons-nous un instant sur ce titre particulier car il représente la principale nouveauté de la saison. Ramin Djawadi nous avait bien peu habitué à ces voix de femmes, ces solistes à la Gladiator… ou à la Dune !
Il faut rappeler ici la méthode de création propre à l’entreprise de création musicale dont fait partie Ramin Djawadi : la Remote Control Production, qui a à sa tête celui qu’on ne présente plus, Hans Zimmer. Nous l’avions détaillé dans le podcast avec Olivier Desbrosses, cette boîte de production est un espèce d’open-space où la propriété intellectuelle n’existe pas et où tous les compositeurs vont filer un coup de main à leurs collègues dans des bureaux qui ne sont pas décloisonnés mais où la porte est toujours ouverte. Le but de ce système est de produire une musique efficace, correcte et en grande quantité. Il suffit de voir les crédits de Djawadi en 2024 pour se rendre compte qu’il lui est impossible de travailler seul sur un projet : House of the Dragon est sa troisième série après Fallout (composée pour Jonathan Nolan, le showrunner de Westworld) et Le Problème à Trois Corps (pour Benioff et Weiss, les showrunners de Game of Thrones)… et nous ne sommes qu’en août ! Il faut ajouter à cela la série Pixar Win and Lose à venir plus tard en 2024. On se rend bien compte au vu du nombre d’heures de musique à composer qu’il faudra plusieurs bras. Ces mêmes bras qui œuvrent dans l’ombre de Hans Zimmer et dont Djawadi a fait partie… et fait encore partie, puisqu’il est crédité dans les suppléants ayant permis de sortir la musique de Dune.
On peut également rappeler ici que cette méthode se base également énormément sur la musique temporaire, c’est à dire le fait d’utiliser une musique préexistante au montage plutôt que de ne rien mettre et laisser le compositeur réellement « libre » de rebondir sur le rythme blanc laissé par le monteur. Si ce sujet vous intéresse, on en cause longuement dans le podcast avec Marjolaine Martin et Olivier Desbrosses.
Rien d’étonnant de ce fait à ce que le « Yéyé » fasse son apparition ici, d’autant que ce chant féminin vient s’inscrire comme un écho aux solistes hommes de pistes comme The Ghoul dans sa BO de Fallout. Je dois bien dire que pour ma part, je le considère comme une bonne surprise. Comme pour le piano lors de la saison 6 de GOT, cela permet d’enrichir la gamme de sons qui permettent de décrire l’univers de Game of Thrones en musique.
Cela reste cependant la seule réelle nouveauté avec les violons de A Son for a Son ou The Feeling of Betrayal qui marquaient la tristesse dans le camp des Verts à l’occasion de l’épisode 2 ou encore Bear the Burden Alone qui accompagne Alicent dans sa session de glamping dans le Bois du Roi. On peut aussi noter l’utilisation de ce qui semble être une vielle à roue à la manière d’Olivier Derivière pour les jeux Plague Tale sur A Matter of Honor qui consacre Criston Cole comme décapiteur patenté. Dans les trop brèves nouveautés qu’il faudrait plus imputer à l’écriture qu’à Ramin Djawadi, il y a le bref thème de The Triarchy qu’on devrait réentendre mais qui se retrouve là alors que sa présence à l’écran est assez anecdotique.
↑Étranges absences
Il y a tout de même quelques petites choses que l’on aurait aimé voir figurer sur la BO officielle, comme les Verts qui partent en guerre ou encore la musique « robbstarkisante » qui accompagne Jacaerys à la sortie des Jumeaux. On peut aussi noter que pour étrange que ce soit, la musique d’introduction du premier épisode avec le retour au Mur est aux abonnés absents (mais que lors d’une séquence à Harrenhal, dans Patience and restraint il reprend son Ghost of Harrenhal de la saison 2, sans doute pour balancer des murmures dans le vent). D’un autre côté, il est bien difficile de replacer Stolen Inheritance quelque part. Sans doute un générique un peu trop générique. Dommage !
↑En conclusion
La bande originale livrée par Ramin Djawadi est un peu à l’image de la saison 2. Elle reste relativement efficace, mais laisse un sentiment de remplissage au milieu de quelques grandes envolées. Vous ne perdrez rien à l’écouter, mais il ne vous en restera pas grand chose le lendemain en dehors du « ha ha » et du « yéyé ». C’est assez dommage quand on constate toutes les nuances que Ramin Djawadi avait pu proposer lors de la saison 1. La piste qui clôt l’album, All must choose, avec son méga-medley toutes saisons et séries confondues pourrait bien sauver l’ensemble, avec un souffle épique comme Game of Thrones en a rarement connu depuis Light of the Seven. Je conseille donc à ceux que l’ensemble ou le montage n’auraient pas convaincu de réécouter la musique seule, car elle pourrait bien leur arracher un frisson et réenclencher une hype noyée dans ces huit épisodes jusqu’en 2026… ou en 2025 si Ramin Djawadi devait aussi officier sur A Knight of the Seven Kingdom (mais nous ne le saurons probablement qu’en fin d’année).