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Donjons et Daemon : la prise d’Harrenhal

Donjons et Daemon : la prise d’Harrenhal

La prise de Harrenhal ? La prise d’Harrenhal ? Question sémantique que nous laisserons ici aux spécialistes des haricots et autres benjicots. Ce qui importe, c’est que la forteresse soit prise par Daemon dans l’épisode 3 de la saison 2 de House of the Dragon. Et de voir comment en vous proposant un de nos parallèles série-livre et autres intertextualités !

Le « marchepied du Conflans »

aemond regarde la carte de harrenhal

« Il est joli ce frigo, dites-donc ! » ©HBO.

Cette terminologie un peu étrange pour parler de la forteresse démesurée construite par Harren le Noir apparaît à deux reprises dans la série : dans la bouche de Daemon lors de l’épisode conclusif de la saison 1 et dans celle d’Aemond dans l’épisode d’ouverture de la saison 2. Tous deux l’évoquent devant une carte de Westeros, celle de la table peinte de Peyredragon pour le prince-consort (non cet article n’est pas partisan) et devant la carte sans-magnets-mais-ça-marche-quand-même dans la salle du Conseil restreint pour le chevaucheur de Vhagar. Ce parallèle semble lier le destin de ces deux obstinés autour d’un point unique qui n’est pourtant pas le seul enjeu territorial de la Danse des Dragons. A ce titre,  vous pouvez aller lire l’excellent article de l’ami Dudul Rivers, Dans la gueule du Gosier, qui explique bien les enjeux maritimes derrière les événements de ce début de saison.

En ce qui concerne le Conflans, son rôle crucial n’est pas une nouveauté pour qui a suivi Game of Thrones ou lu le Trône de Fer. Une bonne partie de l’action se situe à cet endroit dans la saga principale/série-mère pour plusieurs raisons : les Tully sont alliés aux Stark ; c’est le point de passage qui permet à Robb Stark de menacer Port-Réal ; il empêche les avancées vers le Nord. Etc. Ici, dans la série comme dans Feu et Sang, la mise n’est pas tout à fait la même, mais par tous les chemins on y revient.

Dans les deux versions de la Danse des Dragons, les Tully ne se sont encore déclarés pour personne et ils sont en réalités suzerains du Conflans depuis peu de temps. Ils doivent leur domination à la chute de Harren le Noir et son immense forteresse lors de la Conquête d’Aegon, qui a chassé les Fer-nés du Conflans. Leur poste de suzerains de la région, les Tully le doivent donc à un Targaryen. Il leur faut donc choisir le bon pour assurer cette récente position.

Certains de leurs vassaux ont cependant déjà pris parti, comme le montre la scène d’ouverture de l’épisode 3 entre les Bracken et les Nerbosc. Les premiers ont choisi de soutenir Aegon II quand les autres se sont ouvertement déclarés pour Rhaenyra. Bon, dans les faits, les Bracken et les Nerbosc ont tendance à se sauter à la gorge au premier prétexte, comme nous le détaillions dans ce podcast. Côté Feu et Sang, on trouve d’autres seigneurs que ceux de Corneilla pour prendre le parti de Rhaenyra, ce qui motive le déplacement de Daemon qui cherche à les rallier et surtout empêcher qu’Aegon les prenne de vitesse. Il y a donc une des Sept Couronnes à faire tomber dans le giron d’un des deux prétendants.

harrenhal conflans

Harrenhal, c’est quand même au Conflans ce que Nantes est à la Bretagne mine de rien : ce Sud dont rêvent les gens du Nord (non).

D’autant que le vieux lord Grover Tully a lui choisi son camp, celui d’Aegon II. Alité, malade et d’influence relativement faible comme suzerain, il ne représente cependant pas pour les Noirs un grand danger (après tout ce qu’un Targaryen a fait un jour, un Targaryen peut le défaire le lendemain). Cette posture permet à la maison de garder une certaine neutralité et l’héritier de Vivesaigues, ser Elmo, le futur père de Kermit et Oscar (pitié, dites à George que la prochaine fois qu’il compte faire adapter ses œuvres il s’assure de ne pas avoir calé les noms des Muppets dedans !) souhaiterait même plutôt prendre le parti de Rhaenyra. L’heure n’est toutefois pas encore venue, puisque c’est toujours Grover qui gouverne à cette époque.

Dans la série, il semble que si lord Grover ait le même parcours (alité et en passe de mourir), il ne se soit pas encore déclaré, comme le signale le dialogue entre ser Simon Fort et Daemon Targaryen. Ce dernier y précise qu’il compte trouver à Harrenhal un lieu assez grand où rassembler les bannières favorables à Rhaenyra sur le continent, notamment ceux qui ont pris parti dans le Conflans. En cela, la série ne diffère pas vraiment du livre. C’est également un endroit stratégique pour accueillir les futures armées venues du Val d’Arryn et du Nord, promises par lady Jeyne Arryn et lord Cregan Stark.

D’autant que Harrenhal, comme vous pouvez le voir sur la carte, représente une porte d’entrée pour toute armée ayant l’ambition de fondre ensuite sur les terres de la Couronne, comme pour celle qui pourrait vouloir les défendre. L’enjeu est donc de taille. L’assaut sur la forteresse… un peu moins !

Tempus fugit

Que ce soit dans la série ou dans les livres, la situation géopolitique du Conflans reste donc sensiblement la même. La différence se joue dans le timing. Dans Feu et Sang, Daemon part pour Harrenhal immédiatement après les couronnements parallèles de Rhaenyra et Aegon. En effet, cela fait partie de la même manœuvre que le blocus du Gosier. Ainsi, Port-Réal est prise en étau et les Verts se doivent de réagir en partant faire la guerre aux partisans de Rhaenyra dans les terres de la Couronne. Cela permet de nourrir une armée dans le but d’aller ravir Harrenhal à Daemon. Ce n’est donc pas une forteresse que l’on convoite des deux côtés mais un mouvement qui induit le second. La dynamique n’est donc pas la même et a pour but de justifier que Daemon parte seul vers Harrenhal. Car bien qu’il rassemble une petite armée derrière lui dans Feu et Sang, l’ombre seule de Caraxès suffit à obtenir la reddition de ser Simon Fort.

Harrenhal : la malédiction

Nous ne reviendrons pas sur le côté lugubre et spectral qui s’impose à Harrenhal du fait de son histoire. Mais nous y avions déjà consacré un podcast avant la saison 1, qui permet de reprendre par le menu les diverses tribulations qui mènent à sa réputation d’endroit maudit ainsi que toutes les influences gothiques qui ont nourri cette enclave très « fantastique » au milieu de la fantasy plus médiévale de papy George. Des fois que vous l’ayez raté, le voici à nouveau avec Eridan, Nymphadora et Crys qui explorent ses tours hantés et ses histoires de fantômes :

Le dragon rugit et les chauves sourient

Le récit de la prise de la forteresse par Daemon Targaryen est relativement bref dans Feu et Sang et il faut moins de temps pour le lire dans les livres qu’il n’en faut pour visualiser le passage. La preuve en est que cette citation a presque déjà tout dit de l’affaire :

Avec le départ de son seigneur Larys fort à Port-Réal, le château n’était défendu que par une modeste garnison. N’ayant aucun désir de subir le sort d’Harren le Noir, son gouverneur, ser Simon Fort […] s’empressa d’abattre ses bannières lorsque Caraxès se posa au sommet de la tour du Bûcher-du-Roi. En plus du château, d’un seul coup, le prince Daemon s’emparait de la fortune non négligeable de la maison Fort et d’une douzaine d’otages de valeur, parmi lesquels ser Simon et ses petits-fils.

Feu et Sang, La Mort des dragons, Fils pour fils

On note au passage que cette présence de Daemon sur le continent permet d’éviter des allers-retours dans le Gosier entre Port-Réal et Peyredragon, notamment lors de l’initiative de prendre « un fils pour un fils » mais c’est une autre histoire. Pour ce qui est de ce bref paragraphe, en nous rappelant sa fortune familiale sur laquelle s’appuie le parti d’Aegon et son statut de seigneur régnant à Harrenhal, nous voilà avec un Larys qui ressemble fort (huhu) à Littlefinger même si son patronyme évoque davantage Varys. La série a d’ailleurs pris le parti de faire de Larys un Littlefinger là où Mysaria semble tendre du côté de Varys (en témoigne sa présence à Peyredragon comme l’avait fait en son temps notre sirène préférée).

Je te donne toutes mes différences

Si le texte est relativement bref, il laisse donc des espaces béants dans lesquels glisser des ambiances et des événements. Pour aller dans la métaphore organique, Martin fournit ici un squelette auquel Ryan Condal et David Hancock (le scénariste de l’épisode) peuvent rajouter de la chair et parfois du gras, avec un dosage qui frise parfois le ridicule, il faut bien le dire.

Il y a cependant dans ces choix d’adaptation des défauts qui sont autant de chances. Pour ceux qui, comme l’auteur de cet article, ressentent de l’excitation à l’idée de décrypter toute la symbolique de la séquence, voici de quoi vous amuser lors d’un éventuel revisionnage. Nous avions eu l’occasion d’en parler un peu lors du grand débrief de l’épisode 3 avec Florian Besson et Justine Breton comme invités.

Donjons et Drogon Caraxès

Pour une fois sur ce site, le terme D&D ne renverra pas à ceux tristement surnommés Dumb et Dumber à savoir Dan Weiss et David Benioff, les showrunners de Game of Thrones, mais bien au jeu de rôle ancestral Donjons & Dragons qui fête par ailleurs ses 50 ans cette année. Florian Besson faisait remarquer lors du live à juste titre qu’au-delà de cette exploration en solitaire des différentes tours d’Harrenhal, on assistait à un procédé inversé de dungeon crawling. Ce type de jeu (depuis étendu aux jeux vidéos et jeux de cartes et de plateau) consiste à explorer un donjon en en retournant toutes les pièces pour trouver des trésors ou combattre des monstres.

caraxès à harrenhal

Comme un petit air de T-Rex de Jurrassic Park dans cette arrivée, vous ne trouvez pas ?©HBO.

La séquence s’ouvre donc avec Caraxès qui se pose en haut de la tour du Bûcher-du-Roi (comme dans le livre) et se termine à une table seigneuriale qui relève de la taverne, juste derrière une porte. Le parcours habituel et un poil cliché du rôliste qui consisterait à commencer à la porte du donjon avant de partir l’explorer et qui s’achèverait par une rencontre avec dragon s’en trouve donc retournée.

L’ombre du vampire

Gary Oldman en Vlad l'Empaleur dans le Dracula de Francis Ford Coppola.

On est pas dans la copie conforme mais ça semble tout aussi inconfortable ! © Columbia Pictures

L’histoire de la forteresse d’Harrenhal est faite de fantômes et d’histoires presque vampiriques. On pense évidemment au blason des Lothston et des Whent, futures maisons qui détiendront la place-forte, qui comportent des chauves-souris. Quand ce n’est pas Danelle Lothston elle-même qui se voit affublée d’une légende à la Elizabeth Bathory.

L’exploration du château puis plus tard la séquence du « rêve de Daemon » ressemblent d’ailleurs beaucoup à l’arrivée puis au séjour de Jonathan Harker dans le château de Dracula. L’armure de Daemon n’est pas non plus sans évoquer celle portée par Gary Oldman dans les premières scènes du film de Francis Ford Coppola (image de l’armure ci-contre). Mieux encore, un vol de chauves-souris vient perturber son exploration, et les ailes noires du dragon de son casque sont un écho plutôt amusant à la fois à des références intradiégétiques comme les maisons sus-citées, mais en citant aussi la littérature gothique, notamment de Bram Stoker.

Par ailleurs, la manière même dont Daemon est traité dans la série relève d’un certain genre de toxicité masculine qui se rapproche beaucoup de ce que peut être Dracula, notamment dans son rapport de domination vis-à-vis de la gente féminine. Son animalité s’en retrouve donc encore renforcée.

Le roi Arthur en embuscade (encore !)

Eh oui, difficile de passer à côté de cette table ronde et de ce Simon Fort tout pété qui est en train de manger du chou. Une fois de plus, on est sur un motif inversé. Le chevalier est supposé commencer sa quête en partant de la Table Ronde et non y aboutir (bien que parfois dans certains épisodes de la légende arthurienne, le dénouement s’y déroule). On pourrait voir dans la présence de cette table ronde vide un signe que la chevalerie ou du moins ses valeurs au sens arthurien du terme, ont déserté le monde créé par George R. R. Martin. Une autre lecture amusante est le fait que nous avons un roi (certes consort mais roi tout de même) qui a tous les attributs d’un Pendragon comme Arthur Pendragon (dont le nom signifie tête de dragon en gaélique) et qui s’en vient réclamer le château et sa table.

La salle du conseil de 101

En parlant de roi-consort, on peut noter que Daemon passe dans son exploration par la salle où a eu lieu le Grand Conseil de 101 qui ouvrait le premier épisode de House of the Dragon (on y avait d’ailleurs consacré un article). Daemon est confronté ici à cet espace vide, certes, mais dont les fantômes ont allumé la mèche de la guerre qui met le pays à feu et à sang. Il est également un roi-consort comme aurait pu l’être Corlys Velaryon à cette époque si Rhaenys avait été choisie, et donc la série s’amuse de ces références internes pour donner du corps à son discours et son univers.

Cette séquence de choix du roi par une assemblée, pourrait également évoquer les périodes d’incertitude quant au futur roi qui ouvrent généralement l’histoire d’Uther puis Arthur Pendragon. Le cinéma n’est pas avare en représentations de ce type de conseils dans des lieux chargés en symbolique comme Stonehenge par exemple, dans Les Chevaliers de la Table Ronde de Richard Thorpe (1953), une des références qui expliquent le Moyen âge raconté par Martin plein d’armures, de couleurs et de blasons.

Représentation du Lit Périlleux visible au musée Bernard d’Agesci.  ©Alienor.org, musées de la Communauté d’Agglomération du Niortais

 

Pour revenir à l’exploration de ce château vide, maudit, elle ressemble à ce qu’on pourrait trouver dans le Conte du Graal et Simon Fort fait ici un peu office de Roi Pêcheur. Dormir à Harrenhal semble dangereux en raison des rêves et des fantômes. De là à qualifier le lit de Daemon de « lit périlleux » comme on en trouve pour Gauvain dans Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, il n’y a qu’un pas. En effet, en s’asseyant sur le lit du Château de la Merveille, Gauvain doit affronter une pluie de flèches que déclenche un mécanisme invisible. Le lit est donc le lieu d’une épreuve initiatique.

Nous verrons bien ce que nous réserve la suite concernant cette dernière supposition autour du lit de Daemon, mais puisqu’on parle de Gauvain, Justine Breton soulignait pendant le live la présence de Gwayne Hightower dans cet épisode, incarné par le truculent Freddie Fox. Gwayne est la version ouestrienne de Gawain, le nom anglais de Gauvain. Et, hasard de la version HOTD du blason de sa maison, Gwayne y porte une armure verte. Gauvain est associé à un conte qui s’appelle Sire Gauvain et le Chevalier vert (étudié notamment par JRR Tolkien, et dont une adaptation est sortie il y a peu avec Dev Patel dans le rôle titre) et où selon les versions, Gauvain affronte ou devient ou est ce fameux Chevalier vert. Il y a donc une ironie à retrouver ce motif ici, tout comme le départ de Criston Cole avec son blanc manteau, qui demande la faveur d’Alicent, n’est pas sans évoquer la vision très préraphaélite de la légende arthurienne.

D’ailleurs, en parlant de cette histoire de Gauvain et du Chevalier vert, dans ce conte, Gauvain affronte ce qui semble être un Homme Vert. Et des hommes verts à Westeros, il paraîtrait qu’il y en a justement… sur l’Île-aux-Faces, une île couverte de barrals (quoi, on dit barraux ?) millénaires située sur l’Œildieu, le lac qui vient baigner Harrenhal de ses eaux… Et justement des histoires de rêves et de barrals il y en a dans la seconde séquence qui se déroule dans la forteresse fondue de Harren le Noir, avec en prime des histoires de sorcières, mais il est temps de conclure pour éviter de spoiler.

C’est donc là-dessus que le père Crys-tor vous laisse, après avoir tiré un peu trop sur la bobine de cette prise d’Harrenhal ou de Harrenhal (vous dites bien comme vous voulez). Une chose est sûre, que l’on aime ou non la manière dont est traitée la séquence de la prise de cette forteresse emblématique, en moins de huit minutes pour les deux séquences qu’on y trouve, Ryan Condal et David Hancock viennent remplir les creux avec un ensemble de références mystiques empruntées aux récits gothiques et fantastiques. Et quelque part, pour reprendre ce que disait Michael Dougherty à propos de son Godzilla, ramener du mystère et du divin sur les rives de l’Œildieu.

Coda : il y a un super article de Lady Lylouh sur les coulisses de la scène qui arrive, abonnez-vous aux réseaux de la Garde pour ne pas le rater !

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2 Comments

  1. Passionnante analyse, merci Crys !

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