Nous vous parlions en mai dernier de la grève des scénaristes hollywoodiens. Représentés par le syndicat Writers Guild of America (WGA), des milliers de scénaristes de télévision et de cinéma américains ont posé leurs stylos depuis plus de deux mois du fait de l’échec de négociations avec les principaux studios et plateformes au sujet notamment d’une hausse de leur rémunération.
C’est depuis le jeudi 13 juillet au tour des acteurs et actrices de se mettre en grève. Les négociations entre le syndicat « Screen Actors Guild – American Federation of Television and Radio Artists » (SAG-AFTRA, le syndicat qui représente les acteurs et actrices hollywoodiens) et l’alliance des producteurs de cinéma et de télévision (AMPTP) ont échoué, conduisant à un appel à la grève d’une durée indéterminée pour l’ensemble des membres du syndicat, soit 160 000 comédiens et autres professionnels du petit et du grand écran. Une décision historique, puisque la dernière fois que les acteurs et les scénaristes d’Hollywood se sont mis en grève en même temps date de 1960 !
Les négociations portent, comme dans le cas de la grève des scénaristes, sur la question d’une hausse de la rémunération des acteurs et actrices, notamment dans le cadre des mises en ligne d’œuvres sur les plateformes de streaming. « Les réponses de l’AMPTP aux propositions les plus importantes du syndicat ont été insultantes et ne respectent pas notre contribution capitale à cette industrie. Les employeurs ont refusé de s’impliquer de manière significative sur certains sujets et, sur d’autres, nous ont complètement ignorés », a écrit dans un communiqué publié jeudi ce syndicat.
George R.R. Martin s’est exprimé sur son blog sur le sujet. Profitons en pour faire le point.
↑C’est quoi cette grève exactement ?
↑Une redistribution plus juste des revenus encaissés par les plateformes de streaming
La première revendication des acteurs et actrices, tout comme celle des scénaristes, concerne la rémunération de leur travail. Ils demandent une réévaluation des salaires correspondant à l’inflation, et réclament une meilleure rémunération dans le cadre de la diffusion en streaming.
En effet, hier, une part des revenus des artistes découlait de chaque rediffusion d’un film ou d’une série (la précédente grève des scénaristes portait justement en partie sur cette notion de « syndication« , c’est à dire le montant des revenus touchés lorsque la série ou le film a un tel succès qu’il est multi-rediffusé à la télé, ce montant étant calculé en fonction du tarif des publicités et de l’audience de manière très transparente). Avec l’avènement du streaming, ces revenus ont dégringolé.
L’enjeu est de trouver un mode de rémunération qui correspond aux nouvelles façons de diffuser les films et les séries, accessibles sur les plateformes en permanence. Aujourd’hui, les plateformes de streaming appliquent une politique de rémunération forfaitaire à la commande des œuvres mais privent les artistes de revenu secondaire. Elles ne communiquent pas leurs audiences exactes (on vous en parlait lorsque l’on évoquait la difficulté de trouver des chiffres d’audience fiables concernant House of the Dragon), il est impossible de négocier des droits de diffusion supplémentaires en cas de gros succès – et des considérations de diffusion à l’international viennent encore complexifier la question : les plateformes sont présentes partout, et sont soumises au droit local (typiquement en France, la chronologie des médias fait jaser), devraient être soumises à l’imposition locale, et le partage du gâteau pourrait être différent suivant les déclinaisons du droit local.
Pour avoir un ordre d’idées : Eric Edelstein, un acteur qui a joué un petit rôle dans Jurassic World, a récemment illustré cette érosion auprès du Los Angeles Times. Les revenus tirés de la rediffusion du film sur les chaînes câblées lui ont rapporté 1 400 dollars (1 250 euros) sur un trimestre. Pour la même période, le comédien a touché 40 dollars (35 euros) au titre des rediffusions en streaming.
Les acteurs et actrices demandent donc une redistribution plus juste des revenus sur les plateformes de streaming, ainsi que des meilleures conditions associées à ce revenu (notamment une couverture santé plus accessible).
↑Un cadre juridique clair autour de l’utilisation de l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle s’invite également dans le débat.
ChatGPT et ses équivalents arrivent peu à peu sur nos petits et grands écrans. Par exemple, pour la nouvelle série Marvel Secret Invasion, le générique a été intégralement réalisé à l’aide de l’IA Midjourney. Ou encore, dans le dernier volet des aventures d’Indiana Jones sorti en juin, on peut voir une séquence qui met en scène une version rajeunie de Harrison Ford totalement faite grâce à des outils d’IA. Hier, l’acteur aurait tourné les scènes puis aurait été rajeuni artificiellement par ordinateur. Mais pour ce film, tout a été effectué avec une IA : l’équipe du film a récupéré d’anciens rushs de Harrison Ford et les a modélisés à partir d’une intelligence artificielle.
Les acteurs et actrices, de ce fait, réclament des garanties contre le clonage de leur voix (pensez notamment à tous ces comédiens de doublage qui pourraient voir leur métier disparaître) et de leur image dans des films et séries sans leur consentement. Les scénaristes, eux, réclament un cadre transparent concernant les droits d’auteurs qu’ils pourraient toucher : quels droits d’auteur pour un scénario généré par une IA entraînée sur leurs textes ? Quels droits d’auteur pour les auteurs qui retoucheraient un scénario pré-écrit par une IA ?… c’est à toutes ces questions qu’il s’agit de répondre.
↑Des négociations au point mort pour un conflit qui risque de durer
George R.R Martin le dit dans son article : le conflit n’est pas en bonne voie de résolution.
« Un producteur anonyme, cité la semaine dernière, disait que la stratégie de l’AMPTP (l’alliance des producteurs de cinéma et de télévision) est de tenir ferme jusqu’à ce que les auteurs commencent à perdre leurs maisons et appartements, ce qui vous donne un indice de ce que l’on affronte ».
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An unnamed producer was quoted last week saying the AMPTP strategy was to stand fast until the writers started losing their homes and apartments, which gives you a hint of what we’re facing.
George R.R. Martin, Not a blog, 22 juillet 2023
Les alliances de producteurs campent sur leurs positions. Le conflit pourrait s’éterniser, vu les crispations majeures entre acteurs et studios. De quoi accélérer, ironiquement, la migration du grand public vers les plateformes de streaming, qui proposent dans leurs catalogues quantité de productions internationales qui ne seront pas touchées par la grève, pendant que les productions d’Hollywood prennent du retard et que la sortie des futurs blockbusters risque d’en pâtir.
↑Et House of the Dragon dans tout ça ?
Si la grève des scénaristes n’avait pas eu d’impact sur le tournage de la saison 2 de House of the Dragon (les scripts ayant été bouclés il y a des mois), la grève des acteurs et actrices ne devrait pas en avoir non plus. La législation britannique, très restrictive en la matière, empêche les acteurs syndiqués d’appeler à une grève de solidarité sur le sol britannique. En conséquence, les productions tournées sur le sol britannique, comme House of the Dragon, ne pourront s’interrompre : les acteurs et actrices grévistes s’exposeraient à de fortes répercussions sur le plan professionnel.
(Un point qui a d’ailleurs beaucoup choqué Martin sur son blog, qui s’étonne que le parti de gauche au Royaume-Uni, le Labour, ait laissé passer de telles lois antigrève dans un pays à forte tradition syndicale.)
Le syndicat des acteurs britanniques Equity (fort de 47.000 membres, le plus gros syndicat d’acteurs au Royaume-Uni) a toutefois annoncé récemment deux manifestations de soutien aux Américains. L’appel du syndicat évoque la similarité des difficultés auxquelles sont confrontés les comédiens de part et d’autre de l’Atlantique. « Notre syndicat frère est en grève aux États-Unis, il se bat pour un contrat équitable et est confronté aux mêmes problèmes que nous au Royaume-Uni. »
↑Emmy Awards
Signalons au passage qu’ont été publiées les nominations aux prestigieux Emmy Awards. House of the Dragon remporte 8 nominations, dont 7 dans des catégories techniques et une nomination parmi les catégories majeures, en l’occurrence celle de la « Meilleure série dramatique » ! Elle fait face aux séries Andor, Better Call Saul, The Crown, The Last of Us, Succession et The White Lotus (et ne nous voilons pas la face, elle a peu de chances de l’emporter, notamment face à Succession). En revanche aucune nomination pour les acteurs de la série, et notamment pour Paddy Considine, au grand désarroi de Martin. Une récolte somme toute assez décevante. Espérons qu’elle se rattrapera en saison 2… le jour où la saison 2 sortira, aucune date n’ayant été annoncée pour le moment !
↑Et les autres projets de Martin ?
Au delà de House of the Dragon, Martin nous informe que, concernant la seconde saison de Dark Winds (thriller policier dont il est producteur exécutif), la grève n’aura pas de répercussion, au delà de la promotion de la série qui se fera donc sans avant-première en présence d’acteurs et autres évènements de promo.
Sur le front des séries en développement avec HBO (dont en premier lieu la série consacrée aux aventures de Dunk et l’Œuf), tout est au point mort, aucun travail scénaristique ne se fera tant que la grève ne sera pas terminée.
Mais, le monde du théâtre n’étant pas affecté par la grève, on apprend au passage que la pièce de théâtre consacrée au tournoi d’Harrenhal qui est en développement depuis quelques années a désormais un titre : The Iron Throne (le Trône de fer), et qu’elle devrait peut-être voir le jour sur le West End un de ces jours. Une bonne nouvelle pour les Européens : le West End, c’est moins loin que Broadway !
Enfin, Martin termine son intervention en nous parlant du tant attendu Winds of Winter. Il nous dit qu’il y travaille presque tous les jours.
« Et, oui, oui, bien sur, j’ai travaillé sur Winds of Winter. Presque tous les jours. J’écris, je réécris, j’édite et j’écris un peu plus. Je progresse régulièrement. Pas aussi vite que je ne le voudrais… certainement pas aussi vite que VOUS ne le voudriez… mais il y a des progrès quand même. »
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And, yes, yes, of course, I’ve been working on WINDS OF WINTER. Almost every day. Writing, rewriting, editing, writing some more. Making steady progress. Not as fast as I would like.. .certainly not as fast as YOU would like… but progress nonetheless.
George R.R. Martin, Not a blog, 22 juillet 2023