C’est devenu une tradition désormais, le mois d’octobre est l’occasion pour les frères et sœurs de la Garde de Nuit de partager avec vous une recommandation en rapport avec le Mois de l’Imaginaire. Nous nous limiterons ici aux auteurs francophones, histoire de les mettre en lumière, dans des publications récentes (moins de cinq ans). De quoi, on l’espère, vous donner envie de vous jeter sur un bon bouquin !
↑Sirem et l’oiseau maudit, de Yasmine Djebel
Si tu poursuis ta quête, par trois fois, tu retrouveras ce que tu as perdu.
Une flamme brûlera pour toi dans un écrin de cuivre.
Un esprit brillant et une lame oubliée empêcheront tes fantômes de crier victoire.
Ainsi l’éclat d’une reine renaîtra grâce au nom d’une étoile.
Mais méfie-toi des combats de fumée.
Autrement, seule la mort triomphera à lumière de l’Astre trahi.
Suivez-moi, pour un récit inspiré de contes et légendes du Maghreb avec une pointe de Miyazaki, où l’on rencontre la jeune Sirem. Pour sauver son père adoptif, la jeune fille entreprend un long voyage et devra libérer une femme d’une étrange malédiction qui l’a transformée en oiseau.
Avec ce livre, nous plongeons dans une atmosphère de magie et de déserts, de cités fantastiques et d’énigmes, qui m’a beaucoup plu. Que ce soit l’intrigue, les personnages ou le ton, tout a très bien marché sur moi. L’histoire est plutôt young-adult, mais du bon young-adult, qui saura charmer les adultes sans leur faire lever les yeux au plafond : l’héroïne est intelligente (c’est relativement rare que j’apprécie autant une héroïne dans ce genre d’histoires), les problématiques qui la motivent sont touchantes, l’univers très chouette.
Il y a un petit côté quêtes de jeu vidéo à résoudre qui peut parfois sembler artificiel, et certains passages sont un poil rapides et faciles, mais dans l’ensemble c’est une lecture qui vous fera voyager, et devrait vous enchanter.
Nymphadora
↑Les Temps ultramodernes, de Laurent Genefort
Dans un Paris des années 1920 uchronique, la cavorite, métal antigravitationnel, permet l’utilisation d’engins volants dans les airs de la capitale, au-dessus de l’Atlantique ou vers Mars ! Car la planète rouge est le fruit de la colonisation de quelques puissances, dont la France.
Mais voilà : non seulement les mines de cavorite s’épuisent, mais en plus Pierre et Marie Curie ont découvert que le rayonnement de la cavorite, annulant la gravitation, est beaucoup plus court que ce qu’on pensait et est limité à quelques années. S’en est suivie une grave crise, puisque toute la civilisation moderne tournait autour de ce métal.
Dans ce contexte, nous suivons à Paris Renée, institutrice à la recherche d’un emploi et qui va recueillir un erloor (un Martien) blessé ; Georges, artiste sans le sou qui se mêle aux anarchistes ; Marthe, journaliste scientifique passionnée par la science mais dotée d’un mari peu encourageant ; Maurice, commissaire de police proche de la retraite et adepte des vieilles méthodes ; ou encore Marcel, médecin déchu car il stérilisait des femmes pauvres dans une perspective d’eugénisme.
Les différents arcs narratifs, qui se croiseront parfois, vont dessiner un mystère autour de la cavorite et des habitants de Mars, les erloors, espèce intelligente mais considérée par beaucoup comme des animaux puisqu’ils n’ont pas développé une civilisation technologique.
L’un des gros points forts de ce roman est la plume, fluide et agréable. Les chapitres relativement courts, passant d’un narrateur à un autre, sont très entraînants. L’univers a beau être uchronique, on s’y croit et les scènes sont très vivantes, rappelant le Paris des années 1920 qu’on connaît, mêlé à une touche de science-fiction grâce aux appareils volants — voire aux vaisseaux spatiaux assurant la liaison vers Mars — et à une Histoire modifiée. On est dans une ambiance steampunk transposée au début du XXe siècle très réussie.
La quête des personnages est l’élan du récit ; au-delà de l’intrigue générale qui expose un trafic de cavorite, le lecteur suit les péripéties qui vont bouleverser leur vie. Car le récit ne manque pas d’actions, certaines rappelant les vieux films, tandis que d’autres lorgnent du côté de la science-fiction old school (les Martiens !) mais dépoussiérée avec des thématiques modernes. La plus marquante concerne les droits des « colonisés », auxquels on peut ajouter la place des femmes dans la société, le cynisme des gouvernements ou encore la dépendance d’une civilisation à une source d’énergie non renouvelable. Même si la conclusion n’offre pas de grande surprise (les révélations arrivent au fur et à mesure), on est séduit par l’univers convaincant et le rythme entraînant du roman.
Une lecture captivante.
FeyGirl
↑Alfie, de Christopher Bouix
Vous aimez l’anticipation ? Le thriller ? L’humour ? Alors cette lecture est faite pour vous.
« Alfie » c’est le nom d’une intelligence artificielle, un robot domestique qui doit faciliter la vie de la famille qui l’utilise. Dans ce roman, c’est la famille Blanchot qui va faire l’acquisition d’Alfie. C’est à travers le point de vue d’Alfie que l’on va suivre les aventures de cette IA plongée dans une famille qu’elle va essayer de comprendre. Et cela ne va pas être facile, entre des parents qui ont bien l’air de cacher des secrets, une adolescente en manque d’amour qui aurait bien besoin d’un coach, et une fillette qui va rapidement voir en Alfie son nouveau meilleur ami.
J’ai adoré ce roman qui mélange les genres, avec évidemment une grande part d’anticipation qui m’a beaucoup intéressé, mais également tout un côté thriller / intrigue policière qui m’a tenu en haleine jusqu’à la fin. Le tout avec beaucoup d’humour, notamment grâce aux réflexions d’Alfie qui est bien en peine lorsqu’il s’agit de comprendre les humains, leurs comportements et leurs étranges coutumes.
Noël : Fête cérémonielle consistant à disposer des objets de mauvais goût un peu partout, à prendre du poids, puis à s’en plaindre.
Rituel humain incompréhensible.
Schrö-dinger
↑La séquence Aardtman, de Saul Pandelakis
Dès février, je savais déjà que j’avais trouvé ma meilleure lecture de l’année.
La séquence Aardtman, c’est un roman de science-fiction dans lequel on suit Roz, développeur en mission d’exploration spatiale, en aller simple avec quinze autres personnes, responsable de l’IA du vaisseau ; et Asha, bot de quatrième génération, chercheuse en physicalité bot et militante à ses heures perdues, sur une Terre de plus en plus inhabitable – surtout pour les humains.
C’est un entrelacs de réflexion sur des thèmes variés, au premier rang desquels se trouve l’alterité, le rapport aux autres et au vivant ; mais aussi le capitalisme, le logement, le travail, les systèmes de notation, la gouvernance, les médias… C’est dense, mais c’est extrêmement bien traité et c’est passionnant !
C’est également un style magnifique, poétique et imagé, qui retransmet parfaitement au lectorat les sensations des protagonistes, et dont j’aurais pu lire encore des pages et des pages !
Et quand le fond et la forme se tirent à se point mutuellement vers le haut, cela donne une lecture qu’on ne peut que recommander autour de soi 🙂
Jon
↑Du roi je serai l’assassin, de Jean-Laurent Del Socorro
Les recommandations de la Garde de Nuit seraient-elles complètes sans un petit ouvrage de Jean-Laurent Del Socorro ? La preuve que non, encore une fois. J’avais déjà parlé en bien de Royaume de vents et de colère en 2018. Aussi je ne pouvais que me précipiter vers cette suite ! On y retrouve le personnage à l’incroyable bagout qu’est Silas et si je m’attendais plutôt à une suite (oui je lis jamais les 4èmes de couverture pour éviter de me spoiler…), en réalité, ce roman nous raconte comment il est devenu ce personnage charismatique du premier roman. On suit sa transformation progressive depuis Grenade en Espagne où il a grandi en tant que Maure de confession musulmane dans une ville où les catholiques font la loi depuis la Reconquista. Et la situation ne s’améliore pas quand il arrive à Montpellier. Car si les conflits engendrés par les différences de confession servaient de cadre aux différents acteurs de Royaume de vents et de colère, ils ont ici une place plus importante, plus oppressante à mesure que l’étau se resserre sur les personnages et leur quotidien. Quotidien que Jean-Laurent Del Socorro est toujours aussi habile à décrire. Nos héros ne font jamais ici de grandes actions épiques à chaque chapitre, mais la restitution vivante de l’époque dans laquelle ils s’inscrivent suffit à vous emporter. Et lorsque le drame frappe, il n’en est que plus touchant encore. A ce titre, la révélation autour du nom du personnage est, je dois bien l’avouer, un véritable crève-cœur.
Sur le plan fantasy, c’est toujours aussi discret (et ça me va bien). Il est quand même question de henné aux vertus enchantées, d’Arbon et de pouvoirs, mais sans jamais venir parasiter le récit historique. La thématique religieuse de son côté fait écho aux débats nauséabonds qui animent la politique actuelle (et c’est rien de le dire à l’heure où paraît cet article) et l’épilogue résonne de cruelle façon avec les événements survenus en Israël et Palestine ces derniers jours. Pour autant, ils s’insèrent naturellement dans l’œuvre sans jamais sembler insérés aux forceps. Jean-Laurent Del Socorro possède ce talent de parler de nos préoccupations à travers l’Histoire sans jamais donner l’impression de la dénaturer. Une autre des grandes qualités de ce roman (qu’on retrouve aussi dans les autres).
Ce livre s’adresse donc aussi bien à ceux qui ont lu Royaumes de vents et de colère qu’à ceux qui découvrent cet univers car l’histoire, bien que suivant un des personnages du précédent livre, est indépendante (et un peu liée, mais vous ne raterez rien). Elle offre d’ailleurs un goût doux amer aux souvenirs de lectures des chapitres de Silas dans celui-ci et le personnage gagne encore en épaisseur. Un beau tour de force, donc, car il n’est jamais simple de réussir un préquel.
NB : et précipitez-vous pour vous le procurer car hélas, avec la fermeture des éditions ActuSF, il y a fort à parier que le texte disparaisse des rayons.
Crys
↑Conclusion
Voilà donc un joli palmarès pour ce Mois de l’imaginaire. Nous mettons régulièrement en lumière les auteurs francophones des littératures de l’imaginaire, donc si à vos yeux il en manque, n’hésitez pas à consulter l’annuaire de toutes les recommandations publiées sur le blog de la Garde de Nuit et la liste des livres dont on a parlé lors dans nos lives twitch « les Manuscrits de Mestre Aemon » (notre bookclub mensuel).