Dernier né de la série Agir et penser comme… aux éditions de l’Opportun, ce livre s’attaque au personnage de Tyrion Lannister, véritable star de la série Game of Thrones. Ilan Ferry se propose de tirer des actions du Lutin des enseignements transposables dans notre monde.
↑Un format plutôt alléchant…
N’ayant pas eu d’autres ouvrages de cette série, impossible pour moi de vous dire si le format est spécifique ou non. J’ai débuté la lecture par la table des matières. Huit chapitres, sobrement intitulés de « Saison 1 » à « Saison 8 », chacun subdivisé en sous-parties traitant en quelques pages d’un trait de la personnalité de Tyrion. Ce choix de format permet de conserver un rythme de lecture agréable, entrecoupé à chaque fois par une partie plus libre type « portrait chinois » (si Tyrion était un fruit, un animal, un lieu) ou « si Tyrion avait tweeté », ainsi que d’une journée fictive dans la tête du héros, toujours en quelques lignes rapidement avalées.
↑…masquant un contenu plutôt médiocre
↑Des analyses bien trop creuses
Les présentations étant faites, attardons-nous sur le cœur du sujet. Si le livre se veut un recueil de morales à tirer de la vie de Tyrion, force est de constater que l’analyse n’arrive jamais à atteindre un niveau acceptable. En effet, chaque sous-partie propose le même schéma ternaire – accroche, parallèle avec le héros, puis conclusion sous forme de conseil de vie – qui peut s’avérer efficace, mais présente ici de nombreux défauts.
Premièrement, le début des sous-parties repose trop fréquemment sur des clichés lassants, qu’on pourrait souvent résumer par un simple « C’était mieux avant ! ». Je ne compte plus le nombre de mentions aux « écrans », véritables menaces de notre époque, et à la décadence de nos mœurs. La partie sur le courage débute ainsi : « Le courage n’est pas donné à tout le monde : pire il vient à se raréfier. », celle sur l’empathie par « Cela peut sonner comme une évidence, mais l’empathie est une vertu qui tend à se perdre… surtout aujourd’hui ». Ni totalement faux ni entièrement vrais, ces passages sont un éloge à l’effet Barnum.
Vient ensuite le moment de lier notre monde à celui de Westeros, et force est de constater que l’auteur n’y parvient que rarement. Les exemples détaillés, appuyés par des citations ou des situations précises, peuvent se compter sur les doigts de la main. Bien trop souvent, le lecteur doit se satisfaire d’une vague mention à un trait, supposé, de la personnalité du Lutin. Ainsi, lorsqu’il s’agit de parler de sa curiosité, rien ne vient étayer cette affirmation. Il est question de « son sens de l’observation aigu », on nous affirme que « lorsque quelque chose lui résiste (…) il la scrute, l’analyse, tente de la comprendre », mais rien de plus. Les exemples sont pourtant légions : il connait l’histoire des rois Targaryen comme peu parmi les nobles, voyage au Mur pour le voir de ses yeux, s’intéresse aux cultures d’Essos etc. Plus grave encore, on sent là que Tyrion pourrait souvent être remplacé par n’importe quel héros (Harry Potter, Bilbon Saquet, Luke Skywalker, faites votre choix) sans pour autant perdre grand-chose. C’est dire à quel point l’analyse est superficielle quand il s’agit de celui qui donne pourtant son titre à cet essai.
Enfin les tentatives d’ouvertures sur notre monde, censées être l’aboutissement de la réflexion, s’enlisent dans des banalités et des affirmations creuses. Il manque une réflexion construite et qui avance au fil des pages. Chacune des sous-parties soulève des évidences sans rien nous apprendre. Tout lecteur pourra reconnaître ici ou là des éléments de son vécu mais n’en tirera rien. Les conseils dispensés sont à la fois vagues (« Soyez réaliste mais n’oubliez jamais de rêver »), évidents (« N’ayez pas peur de votre curiosité »), et rarement applicables aisément (« Apprenez à vous imposer de manière subtile »).
↑Un effet remplissage donnant une organisation chaotique
La construction de cet essai ne permet nullement le déroulement d’un exposé clair et didactique. Si le chapitrage pouvait laisser penser que l’auteur allait suivre l’évolution de Tyrion au fil des saisons, il n’en est rien. Les idées arrivent les unes à la suite des autres sans qu’aucune ligne directrice ne semble être suivie. J’en veux pour exemple certaines parties débutant par « on a déjà démontré que », ce qui, en plus d’être très présomptueux au vu du niveau de ladite démonstration, renvoie à des parties du livre bien trop en amont pour faire un quelconque lien logique facilement.
La taille limitée de chaque chapitre et sous-partie est insuffisante pour espérer pouvoir faire avancer le propos, ce qui n’empêche malheureusement pas les répétitions et fautes de style (comparaison entre « la plume » et « l’épée » redondante, mention des « répliques piquantes » de Tyrion). On finit par survoler les pages sans rien apprendre, ni même se divertir.
Enfin, les paragraphes « portrait chinois » ou « tweets » sont sans grande subtilité ni intérêt. Tout au plus quelques blagues éculées qui ne méritent pas que l’on s’y attarde davantage.
↑Des erreurs factuelles
Lister toutes les erreurs serait à la fois long et sans intérêt. Néanmoins, et parce que l’auteur explique s’être « replongé dans les écrits de G.R.R. Martin et dans la série de HBO », je pense important de revenir sur certains détails qui mettent en lumière le manque criant de recul qu’il a sur ces œuvres. Dès l’introduction, on peut lire « comme la hache sur le cou de Ned Stark » au lieu de l’épée ; plus loin, « Un Lannister paye toujours ses dettes » devient la devise de la famille, bien que la série soit claire sur le sujet dès la première saison, etc.
Mais au-delà des imprécisions factuelles, c’est surtout la psychologie des personnages qui semble mal comprise : tout au long des pages, Shae est présentée comme « la femme de [la] vie » de Tyrion ; c’est un peu facilement oublier son métier de prostituée, sa fin tragique dans le lit de Tywin, et surtout la vraie femme de Tyrion, Tysha. La vision que donne la série sur cette relation est certes plus intime que dans les livres, il est néanmoins, selon moi, difficile d’être aussi catégorique sur leurs sentiments.
Bronn de son côté est dépeint comme « loyal » malgré sa fonction de mercenaire et son retournement contre Tyrion dès que l’occasion se présente à lui.
↑Conclusion
Finalement, que retenir de ce livre ? Comme la série qui lui sert de support, il était plein de potentiel mais arrive à créer de la déception là où il n’y avait aucune attente. Reste l’impression d’un livre écrit aux forceps, lançant de grands principes avant de broder maladroitement pour atteindre le nombre de pages attendu.
En cette période de fêtes, l’éditeur a sans doute voulu surfer une nouvelle fois sur la vague Game of Thrones, espérant prendre au piège quelques retardataires en mal d’idées. Cependant, je ne peux que vous conseiller de passer votre chemin et d’aller soutenir votre libraire de quartier avec des ouvrages de meilleure qualité. Ils ne sont pas durs à trouver (et la Garde en propose une sélection tous les mois).
Agir et penser comme Tyrion Lannister, par Ilan Ferry, publié aux Éditions de l’Opportun. Nombre de pages : 224. Prix : 12,90€.
Ce livre a été transmis à la Garde de Nuit pour revue. Cette transmission n’a fait l’objet d’aucune transaction financière. L’avis publié ici est émis en toute indépendance.
Grendel
Très bonne critique, bravo. Mention spéciale à « mais arrive à créer de la déception là où il n’y avait aucune attente. »
Les éditions de l’Opportun, ça ne s’invente pas !
PierreKirool
Effectivement, critique plutôt formelle mais qui se conclu par une mauvaise note !
En vous sachant fan de GoT ou du TdF, votre entourage bien intentionné risque de le voir au détour d’un étal de librairie et vous l’offrir pour Noël, pensant vous faire plaisir, malheureusement !