Marianne Chaillan est une figure aujourd’hui bien connue des amateurs de pop-culture et plus particulièrement de ceux qui ont suivi Game of Thrones. Invitée pour causer philosophie et série (ou Disney ou Harry Potter) dans divers médias (Quotidien, France Culture, le Point Pop), c’est surtout pour son ouvrage Game of Thrones : une métaphysique du meurtre et sa présence à la conférence « Philosophie, Droit et Histoire dans l’univers de Game of Thrones » qu’elle s’est invitée dans notre petite communauté.
La voilà donc de retour en novembre 2019 avec l’ouvrage Game of Thrones : une fin sombre et pleine de terreur, qui nous a valu de sa part deux interventions, l’une sur France Inter (où vous apprendrez surtout à la connaître) et la seconde chez Betaseries pour l’émission EntourageS de Kévin Elarbi (lequel nous avait invités autour de Making of Thrones pendant la diffusion de la saison 8) où elle développe davantage les idées de ce nouvel essai.
Conçu comme une catharsis pour oublier la purge de la saison 8 et se réconcilier avec la série, l’essai de Marianne Chaillan semble chercher un sens à sa déception. Ce dernier sentiment n’est pas inconnu des fans de la série lorsque l’on voit les réactions qu’ont déclenchées les 6 derniers épisodes. Mais alors, pari réussi ? Oui et non, mais bien sûr, c’est un peu plus compliqué que cela.
↑Trouver une logique dans la débâcle : un postulat bancal
Essayer de mettre du sens dans le fiasco scénaristique de la saison 8, voilà une tâche qui était ambitieuse. Marianne Chaillan ne se débrouille pas trop mal sur ce plan-là : elle arrive à décortiquer les éléments clefs des derniers épisodes afin les mettre en lumière pour un public qui, tout à sa rage, les aura peut-être manqués. S’ils peuvent sembler évidents pour des fans des romans habitués aux thématiques martiniennes, certains trouveront derrière l’analyse philosophique plus « froide » des événements les points forts des idées notamment développées dans le dernier épisode. C’est donc l’ouvrage idéal si votre cousin vous a bassiné à Noël en vous disant que « Bran sur le trône, c’est une fin encore pire que la prestation de George Clooney dans Batman et Robin ». Cependant, affirmer que Bran monte sur le trône car aucun humain n’est capable de prétendre à l’exercice du pouvoir sans être corrompu, et que seul le « surhomme » est en mesure de « briser la roue » peut également ressembler à une évidence. Surtout quand on amène Tolkien comme référence parallèle et qu’on connaît l’amour de Martin pour le professeur anglais. Si vous êtes de ceux-ci, le livre ne s’adresse probablement pas à vous, car la plupart des concepts qui y sont décortiqués vous amèneront plus souvent (comme dans mon cas) à vous dire « Oui, bon d’accord, j’avais saisi en fait… ».
Toutefois la procédure, rigoureusement appliquée au départ, botte en touche lorsqu’il s’agit d’expliquer le retournement de Daenerys. A cela, l’autrice n’a aucune réponse et se contente d’évoquer son impuissance à trouver du sens : « le massacre de Port-Réal […] est incompréhensible et le dernier épisode ne nous en donne pas les clefs ». De fait, à partir de cet instant, la démarche de Chaillan peut sembler absurde : chercher du sens dans un scénario dont on reconnaît d’emblée les trop grandes faiblesses d’écriture semble difficile à concevoir.
D’autant que le lecteur de la saga littéraire aura du mal à adhérer à la théorie de Chaillan selon laquelle tout homme est décevant, donc la fin ne peut être que décevante, de toute façon la mort est une déception pour les vivants. Tout simplement parce qu’il n’a pas le droit de croire que Martin, en passant 10 ans entre chaque livre, puisse se permettre que ses lecteurs trouvent la fin « décevante ». Le postulat d’analyse est donc bancal, mais ça n’est pas le seul défaut de l’ouvrage.
↑Un livre doublon
Le livre est composé de deux parties : une première réflexion plus globale sur les fils narratifs, suivie d’une série de portraits, rédigée à l’origine pour le site Kombini, avant la diffusion des ultimes épisodes et complétée ensuite, qui s’intéresse au parcours des personnages au cours des 8 saisons. Disons-le clairement, si la première partie est plutôt sympathique en dépit de sa thèse un peu boiteuse, elle ne vous occupera qu’une heure et demie et est plutôt rythmée. La seconde était clairement inutile et fait un peu remplissage (tout comme les 18 illustrations en noir et blanc qui sont placées de manière bizarre en début de chapitre). En revenant personnage par personnage sur la série, Chaillan fait dans la redite de sa première partie, puisque malheureusement les trames narratives et ceux qui les vivent sont indissociables. Si l’on sent davantage son amour de la série que sa déception dans ce second temps, il faut tout de même avouer que cela lasse un peu le lecteur. Seul le dernier point sur le Roi de la Nuit a retenu mon attention. Toutefois, ayant assez peu d’estime pour ce personnage-fonction qui ne sert à mon sens qu’à démêler des intrigues dont Benioff et Weiss semblaient s’être totalement désintéressés, je n’étais pas non-plus des plus enthousiastes.
↑Et la philo, alors ?
Que ceux qui avaient aimé ses liens entre philosophes et personnages/événements de Game of Thrones se rassurent, ils sont bel et bien convoqués, même s’ils souffrent du défaut de la redite. C’est peut-être dans ce jeu de cache-cache avec Kant ou Aristote que Chaillan révèle réellement ce dont elle est capable, et je dois avouer que c’est la partie de son travail que j’ai trouvée la plus agréable, car, il faut bien l’avouer, pour trouver la philosophie dans cette histoire, mieux vaut attendre que Martin en donne lui-même les clefs.
Quant à la philosophie propre dans la série, il semble là que Marianne Chaillan échoue. En affirmant que la thèse qui sous-tend toute la saga est que « tout est décevant », on entend davantage la fan qui a été déçue au point de penser que cette déception était une volonté réfléchie des créateurs. En effet, je ne crois pas qu’un auteur se sente transcendé par un fan qui viendrait lui dire « Vous m’avez déçu ». Peut-être certains artistes affirmeraient que c’est le but recherché, mais ce n’est évidemment pas la ligne de défense choisie par Benioff et Weiss, donc non, ça ne tient pas. Que les espoirs ne soient pas tous réalisés est une chose, la déception totale (elle parle d’un dernier épisode qui l’a « achevée » en interview) en est une autre.
En conclusion, l’ouvrage n’arrive pas vraiment à toucher son but. Peut-être Marianne Chaillan s’est-elle réconciliée avec la série, mais ce ne sera pas le cas de tous les lecteurs, d’autant que relire point par point les absurdités de la saison fera lever les yeux au ciel (« Ah oui, c’est vrai, ça c’était bien nul ! »). Sa difficulté à trouver un sens à la saison 8 relève presque de l’échec, mais qu’elle se rassure, ce n’est pas de son fait, mais bien de celui des scénaristes qui ont jeté le bébé avec l’eau du bain. Se retrouver à évoquer la fin « douce amère » du modèle Tolkien pour le comparer à une fin « sombre et pleine de terreur » donne le ton de l’échec. Finalement, la parution d’un tel ouvrage et sa résonance auprès du public reste le témoin le plus terrible du rendez-vous manqué de la saison 8 avec ses fans. Restent quelques réflexions théoriques qui pourront toucher certaines personnes (mais une fois encore, l’ouvrage, dont on sent l’écriture comme un besoin, une urgence, se pare de quelques approximations ou oublis malvenus).
Quant à nous, à l’image d’Arya dont elle évoque le parcours comme étant le seul vraiment cohérent, peut-être est-il temps de laisser derrière nous cette version de Westeros massacrée pour suivre les traces d’Alys Montcouchant sous la plume de Martin, qui elle, ne nous a jamais déçue jusqu’ici.
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« Game of Thrones : une fin sombre et pleine de terreur », de Marianne Chaillan. Éditions des Équateurs.
240 pages, 18€
(*) Le livre a été transmis à la Garde de Nuit pour revue. Cette transmission n’a fait l’objet d’aucune transaction financière. L’avis publié ici est émis en toute indépendance.