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Paroles de Bariol, le bouffon royal

Paroles de Bariol, le bouffon royal

Présages, présages partout. Trop nombreux pour qu’on les récuse. Il avait envie de hurler : que signifie tout cela ?

(Mestre Cressen – Prélude, ACOK)

Dans l’entourage de Stannis Bratheon, on découvre Bariol, soit Patchface ou Patches en version originale, un personnage très secondaire, venant de nulle part, qui pourtant intrigue très rapidement par ses multiples interventions en apparence décousues. Le bouffon, compagnon de la petite Shôren Baratheon, n’a rien de drôle : destin tragique, apparence grotesque, propos lugubres… Le malaise est palpable dès son apparition dans le prélude d’ACOK (intégrale 2). Sans compter qu’au-delà de ce que les personnages ressentent en le côtoyant, le lecteur attentif finit par deviner… que le fou n’est pas incohérent, mais qu’il a des visions.

Sur la plage abandonné…

On en sait peu sur les origines de Bariol, si ce n’est que Steffon Baratheon, père de Robert, Stannis et Renly, le trouva lors d’une mission à Volantis :

« Nous venons de trouver le plus fabuleux des fous, mandait-il à Cressen quinze jours avant de rentrer bredouille de sa mission. L’agilité d’un singe, tout jeune qu’il est, et plus d’esprit qu’une douzaine de courtisans. Il jongle, trousse la charade, sait des tours de magie, chante en quatre langues d’une jolie voix. Nous l’avons affranchi et comptons bien le ramener. Il fera les délices de Robert et saura peut-être même, à la longue, inculquer le rire à Stannis. »

(Prélude, ACOK)

C’était donc un garçon, tatoué de carreaux rouges et verts à la mode des esclaves volantains. Brillant intellectuellement, polyglotte et drôle, mais aussi doué physiquement, il était en plus capable de magie. Certes, cela peut paraitre étrange qu’un bouffon ait un tel talent, mais il vient d’Essos et on se souviendra qu’à Qarth, on croise un magicien saltimbanque qui distrait les foules en invoquant une échelle de flammes pendant que ses complices coupent les cordons des bourses des badauds. Donc partons du principe qu’il avait peut-être quelques pouvoirs, ou du moins connaissait des tours-de passe-passe, et qu’il devait faire la joie et la fierté de la maison Baratheon.
Mais voilà, le sort en décida autrement pour Steffon, sa femme, Bariol et tout l’équipage de la Fière-à-vent, le navire familial. Alors que celui-ci s’approchait d’Accalmie, que Robert et Stannis regardaient leurs parents revenir chez eux, une soudaine tempête dont la baie des Naufrageurs a le secret se leva et coula le vaisseau. Les secours ne trouvaient aucun survivant, la mer charriait des cadavres, quand finalement :

C’est le troisième jour, alors que le mestre aidait les gens à identifier les cadavres, que le fou refit surface, nu, blanc, tout fripé, tout saupoudré de sable humide. « Un mort de plus », pensa Cressen. Mais lorsque Jommy le saisit aux chevilles pour le traîner vers le tombereau, le gamin revomit de l’eau et se jucha sur son séant. « Foutrement glacé qu’il était pourtant, j’vous dis ! » jura Jommy jusqu’à son dernier souffle. »

Prélude, ACOK

Arlequin

Personnage d’Arlequin par Paul Cézanne, 1888. National Gallery of Art.

Mais ce ne fut pas pourtant une issue miraculeuse pour le garçon, dont le corps aussi bien que l’esprit étaient brisés et la mémoire effacée. De vif et agile, il devint gras et pataud, et ne s’exprima plus qu’énigmatiquement, ne proférant que des semblants de vers sinistres formés presque uniquement de mots issus du champ lexical de la mer et de ses créatures… Avec sa tenue et son chapeau orné d’andouillers, il finit par ressembler à une parodie de la déliquescence du roi Robert et ses chansons monocordes et glauques n’auront jamais fait rire Stannis. Certains membres de la maisonnée ne veulent pas avoir affaire à lui. Harbert, l’ancien gouverneur, demanda à Cressen de l’euthanasier avec du lait de pavot, et Mestre Pylos lui interdit d’accompagner Shôren. Littlefinger suggère d’en faire l’amant adultérin de Selyse et père de Shôren pour contrer la lettre dévoilant l’inceste des jumeaux Lannister. Mélisandre, elle, s’inquiète de ce qu’elle voit de lui dans ses visions et le prend pour une engeance du démon.
Mais Cressen a pitié de lui, il devient un compagnon de jeu de la petite Shôren et même d’Edric Storm, avec qui il joue à monstre-et-fillettes (et c’est Edric qui fait le monstre, pas le fou). Davos Mervault a de la patience et de la pitié envers lui. Il provoque l’hilarité du géant Wun Wun par son apparence et son manque d’aisance dans la neige.

Le lecteur hésite sans doute un peu entre les deux points de vue. Il semble impossible de ne pas avoir un peu de compassion pour cet être brisé, en apparence simple et innocent, seul compagnon d’une fillette solitaire, évoquant vaguement la figure d’Hodor auprès de Bran. Bariol fait immédiatement songer au personnage d’Arlequin, serviteur à l’emblématique costume fait de carreaux bigarrés principalement rouges et verts de tissu rapiécé (pour rappel, son surnom en anglais est Patchface ou Patches, littéralement Face de pièces ou Pièces, soit une référence un peu plus directe au costume). Mais Arlequin n’est pas un clown très sympathique, surtout aux origines du personnage. D’ailleurs, même si c’est sujet à controverse, l’étymologie la plus courante de son nom fait de lui un serviteur du démon, le guide de la Chasse sauvage, la mesnée Hellequin, terme venant des langues nordiques et signifiant roi des elfes, ou roi des enfers (hell ou elf king en anglais ou Hölle-Erlkönig en allemand). Et cet aspect inquiétant est indéniable chez Bariol. Les personnages sont dérangés par ses côtés malsains, et le lecteur sans doute aussi. Mais celui-ci devine qu’il est davantage que juste un peu creepy. Ses métaphores marines ressemblent un peu trop à des visions de dragons qui s’éveillent, à des Autres ou sortilèges d’ombres qui s’activent, voire à des évènements très précis comme les Noces pourpres (voir l’annexe ci-dessous pour le détail de ces prophéties).
Mais si Bariol n’est pas une simple coquille vide, au nom de qui s’exprime-t-il, ou par qui est-il habité ?

Ce n’est pas l’homme qui prend la mer, mais la mer qui prend l’homme…

Accalmie par Ted Nasmith pour Game of Thrones: Les origines de la saga

La réponse la plus évidente, étant donné que Bariol est devenu ce qu’il est dans un naufrage, est bien sûr le dieu Noyé. C’est la théorie en vigueur chez les plupart des fans. Le fou revient parmi les vivants totalement intact, si ce n’est froid et pâle et crachant de l’eau. Mais son corps a été préservé de la putréfaction et des vagues le projetant contre le fond ou les rochers. Contrairement aux autres victimes : chaque marée déposa sur la grève, au bas du château, sa cargaison fraîche de corps ballonnés (cf. Prélude ACOK). Même si le garçon ne raconta jamais ce qu’il avait vécu, les petites gens de Peyredragon ne tardèrent pas à raconter qu’une sirène l’avait recueilli et lui avait appris à respirer sous l’eau. Ce qui ressemble tout de même étonnamment aux croyances des Fer-nés sur les demeures liquides du dieu Noyé et ses servantes les sirènes, et à leur rite d’immersion simulant une noyade.

On peut difficilement rattacher cette résurrection aux autres actes similaires vus dans la saga. Il n’y a pas de prêtre de R’hllor ou de maegi à proximité pour effectuer un rituel comme pour Béric Dondarrion ou pour Khal Drogo, il n’y a pas non plus le moindre rapprochement à faire avec les morts qui se lèvent au nord du Mur. Il n’y a aucun signe visible de zombification, de chair putride ou d’yeux bleus, et d’ailleurs, le garçon continue sa croissance comme tout être humain en vie. On pourrait éventuellement associer cela aux Profonds, ces êtres lovecraftiens issus de la mer, mais on est plus dans l’hommage anecdotique qu’autre chose, difficile de croire qu’ils vont jouer un rôle dans la saga. Non, le dieu Noyé semble être la seule piste logique.
Mais si on en vient à se demander ce que cette divinité vient faire dans cette galère, on seiche (jeu de mot en vogue chez les Greyjoy depuis -5000 avant la Conquête). Le dieu des Fer-nés et ses adeptes sont totalement incapables de la moindre manifestation magique, à moins de croire à leur rituel de noyade qui ressemble plus à une technique de réanimation qu’autre chose. Le seul qui montre un certain talent, c’est l’impie Euron Greyjoy, l’Œil-de-Choucas, qu’on ne peut relier au dieu de ses ancêtres, mais plutôt à la Corneille et aux Anciens dieux ou à la magie d’Essos. Et son frère s’acoquine avec Moqorro, un prêtre de R’hllor qui sauve son bras. Triste bilan pour Aeron Tif-trempes, le loser de la famille et prophète en cavale. Et si on se penche sur les mythes de cette religion, soit le Roi Gris à la couronne de bois flotté taillant le premier snekkar (ou boutre) dans l’arbre-démon Ygg, on en arrive assez vite à la conclusion qu’il s’agit sans doute d’un bricolage expliquant comment les Premiers Hommes vivant sur les îles ont abandonné le culte des barrals pour se faire des bateaux dans les bois sacrés. Bref, l’existence du dieu Noyé prend l’eau de toute part et on se demande pourquoi sa seule action tangible consisterait à sauver Bariol.

Une autre piste possible est de reprendre le parallèle avec Arlequin, le serviteur des enfers, et de tenir pour justes les propos de Mélisandre sur le fou et l’avis des fidèles de R’hllor sur le dieu des Fer-nés. En effet, selon Moqorro :

Ton dieu Noyé est un démon, déclara par la suite Moqorro le prêtre noir. Il n’est qu’un serf de l’Autre, le dieu obscur dont on ne doit pas dire le nom.

(Le prétendant de fer, ADWD)

Bariol prétend mener la chevauchée vers Durlieu pour sauver les sauvageons de la non-vie :

« Nous marcherons dans la mer et en ressortirons. Sous les vagues, nous chevaucherons les hippocampes, et des sirènes souffleront dans des conques pour annoncer notre arrivée, oh, oh, oh. »

(Jon XIII, ADWD)

Il pourrait donc mener une armée de non-morts déferlant sur le Mur, réinterprétant ainsi la Chasse sauvage. Il serait alors un agent démoniaque du dieu Noyé, qui lui-même serait un agent du dieu des ténèbres, l’Autre, pendant maléfique de R’hllor. Cependant, on se demande bien pourquoi les morts ou les Marcheurs blancs auraient besoin de Bariol à leur tête et pourquoi user d’un plan si alambiqué. D’ailleurs, le lien entre l’Autre et les Autres (les Marcheurs blancs) n’est pas explicite dans les livres. Parfois surnommé the Great Other sur les forums anglo-saxons et confondu avec le Roi de la Nuit (the Nightking) de la série télévisée, cet être ne se manifeste pas non plus dans les romans. Bref, l’explication, bien que possible, n’est guère satisfaisante, et les fans ont commencé à s’interroger.

Car il existe encore une piste. Et si la mer n’était pas une évidence, mais une coïncidence ?

The Beach Boys

En effet, avant de couler sous les flots, Bariol est sous les murs d’Accalmie. Avant que les Sept, le dieu Noyé ou R’hllor ne viennent en Westeros, c’étaient les anciens dieux, les vervoyants et les barrals qui régnaient sur cette région. Et Arlequin, avant que le christianisme n’en fasse un serviteur des enfers, était le dieu Odin. Vous savez, le dieu borgne pendu à Yggdrasil avec ses corbeaux, ses loups, … La magie de l’Âge de l’Aube et des enfants, que l’on croyait disparue, perdure en réalité. Les barrals, pour peu qu’on les laisse tranquilles, sont pratiquement éternels, et une partie de la conscience des vervoyants survit en eux, comme dans les corbeaux de la grotte de Brynden « Freuxsanglant » Rivers, plus connu comme la Corneille à trois yeux. Et la magie d’Accalmie, avec son arbre-cœur millénaire, est toujours active. Mélisandre la ressent, lorsqu’elle veut assassiner Cortney Penrose avec son ombre. Elle est contrainte de demander à Davos Mervault de la déposer en barque sous la forteresse. Et si c’était le barral, les consciences qui l’habitent ou le dernier vervoyant qui avaient sauvé Bariol de la noyade ? En effet, celui-ci a plus en commun avec Bran et Jojen Reed qu’avec n’importe quel autre mage ou prophète. Bran et Bariol étaient des enfants pleins de vie, tous deux décrits agiles comme des singes et sont passés près de la mort, ce qui en a fait des enfants brisés. Les rêves verts imagés de Jojen Reed, comme Winterfell submergée par la mer, ont également des points communs avec les visions du fou.

On remarquera d’ailleurs l’ironique mise en abîme du parallèle. Le lecteur observe avec condescendance Mikken, Panse-à-Bière et Septon Chayle mourir par la mer loin de la mer malgré l’avertissement du rêve vert de Jojen Reed à propos de l’attaque de Theon et de ses Fer-nés. GrrM pourrait faire de même ici, laissant le lecteur chercher une solution dans la mer alors qu’elle n’y est pas.

Dans la mer, on tombe. Fond d’écran, origine inconnue.

On pourrait ajouter comme point commun aux facultés de Bariol que l’éveil et le développement de dons magiques semble lui aussi passer par un risque mortel, une maladie ou une privation sensorielle. Bran chute, Jojen a des fièvres, même Arya se met à voir par les yeux du chat quand elle devient aveugle durant son apprentissage à Braavos. Freuxsanglant est albinos, de même que le Fantôme sous la colline de Noblecœur. Les paroles de la naine albinos ont aussi certaines similitudes avec les paroles du fou, avec des personnages qui ne comprennent pas leurs visions, alors que le lecteur en devine le sens.

La magie des Enfants s’est déjà manifestée chez Freuxsanglant, la Corneille à trois yeux, et chez Bran, et ce dernier doit apprendre à voler pour stopper sa chute. Et on soupçonne que ce fut le cas aussi chez Euron Greyjoy qui a pour surnom et emblème un œil et une « corneille » et Bran, lors de son coma, a la vision de « rêveurs » empalés sur des pics de glace (Rêveur est aussi le titre ou surnom donné par le patrouilleur Mains-froides au dernier vervoyant). Euron aussi parle d’apprendre à « voler », tout comme Bran. Bariol, lui, dit cette phrase énigmatique :

« Dans la mer, on tombe vers le haut, déclara-t-il, oh, je sais je sais, holà. »

(Prélude, ACOK)

Mais, contrairement au jeune Stark, sa volonté ou son talent n’était pas assez fort, ou trop étranger à la magie d’Accalmie, et son esprit a été brisé par l’intrusion et n’a pas pu prendre son envol pour s’éveiller au don. La magie des change-peaux est la seule dont on sait qu’elle peut s’introduire de force dans la conscience d’une personne pour essayer de la contrôler, et cela n’est guère agréable. La sauvageonne Cirse se coupe la langue et se crève les yeux quand Varamyr essaie, et Hodor, lui, se recroqueville dans une partie de son esprit lorsque Bran se force un passage.
La survie étrange du garçon aurait donc une origine magique autre que l’intervention du dieu Noyé. Ce qui n’est pas incohérent. Le garçon a pu s’accrocher à un récif ou une falaise, épuisé et transi de froid, la conscience du barral, ou la conscience d’un vervoyant dans le barral, serait entrée en lui pour lui insuffler la volonté de revenir à lui. Il est même possible que des animaux marins aient été complices. En effet, même si on ne voit pas de change-peau avec un tel compagnon (logique car ils sont loin de l’eau), il est dit que les enfants en avaient couramment.

Les vervoyants étaient également censés détenir un pouvoir sur les oiseaux des arbres et les fauves des bois. Même sur les poissons.

(Mestre Luwin – Bran IV, ACOK)

***

« Non, dit Jojen. Juste un garçon qui rêve. Les vervoyants étaient bien davantage. Ils étaient également zomans, comme vous, et les plus grands d’entre eux savaient endosser la peau de n’importe quelle bête qui vole, qui nage ou qui marche à quatre pattes, et ils savaient encore emprunter les yeux des arbres-cœurs pour déchiffrer la vérité cachée sous les dehors du monde. »

(Jojen Reed – Bran I, ASOS)

Et si un vervoyant peut prendre la forme onirique d’une corneille, d’un loup, d’un arbre, alors pourquoi pas d’animaux marins ?

Conclusion: Sous l’océan, sous l’océan

Rattacher Bariol à cette constellation de personnages et d’indices autour du passé de Westeros, des Enfants et de leur magie, bien présents au travers de la saga, a davantage de sens que de partir dans toute autre direction très hasardeuse. On comprend même mieux les inquiétudes de Mélissandre, qui voit dans ses visions un danger en un Bariol entouré de crânes et aux lèvres rouge sang, tout comme elle voit un danger dans le visage de bois blême et l’enfant-loup (Freuxsanglant et Bran, au cas où vous ne les aviez pas). En effet, même si on ne comprend encore pas grand-chose aux objectifs des barrals, des Enfants ou de la Corneille à trois yeux, s’ils en ont et que ne sont pas que de simples observateurs, leur existence et leur subtile influence, elles, sont bien réelles. Et donc faire le lien entre ces métaphores marines et l’outre-monde des barrals ouvre de nouvelles perspectives sur les paroles énigmatiques du fou. Sous la mer n’est plus seulement sous l’eau ou bien les demeures du dieu Noyé, mais le brouillard de souvenirs et la mer d’ombre des jours à venir dont parle Freuxsanglant lorsqu’il évoque le temps dans ADWD. Bariol aurait ainsi accès à un autre monde, un inframonde, qui est celui des visions, mais aussi celui des morts et du sombre passé sanglant du continent.

Le tour du personnage est désormais fait, il n’y plus grand-chose à dire sur lui et il est difficile d’apporter des conclusions définitives sur ce qu’il est vraiment. Tout au plus peut-on encore s’interroger sur son rôle dans les chapitres liés à Stannis, puis à Jon. Mélisandre est déjà capable de voir le futur, elle n’hésite pas à utiliser son don et a des objectifs avoués bien que tortueux. Bariol, lui, semble pour l’instant n’avoir aucune utilité dans l’intrigue. La nature de ses messages échappe totalement aux protagonistes. Bariol semble vouloir venir en aide à Cressen, Stannis ou Jon Snow par des avertissements cryptiques. Avec toujours aussi peu de succès. Le fou rejouerait la malédiction que nul prophète ne le sera dans son pays. Il serait ainsi le pendant de Mélisandre, qui elle voit et est écoutée, mais se trompe, tandis que lui voit juste mais est ignoré. La suite de la saga nous en dira peut-être davantage, ou peut-être Bariol restera-t’il cantonné à ce rôle…

Pour l’instant, les seuls qui semblent capables de comprendre les avertissements cachés dans ses chansons sont les lecteurs. Le fou serait donc également un moyen élégant d’établir un lien de complicité entre le lecteur et l’auteur. A vous de vous faire votre avis, grâce aux paroles de Bariol…

Annexe: Aux sombres héros de la mer

La suite de cet article recense les extraits en principe prophétiques du fou, dans l’ordre chronologique de leur apparition, accompagnés d’une explication possible et plausible. Ils ne font pas partie intégrante de la présente analyse, mais sont davantage là pour éveiller votre curiosité, car comme dit précédemment, il est difficile d’y voir des indices clairs pour la suite de la saga.
Le fou n’intervient pas dans le premier tome, A Game of Thrones, ni dans le quatrième, A Feast for Crows.

Dans ACOK

« Dans la mer, lâcha-t-il en ding-din-dongant, les oiseaux portent des écailles en guise de plumes. Oh, je sais je sais, holà. »

Il aura vu que les dragons sont revenus. Juste après, Shôren dit également avoir vu des dragons en rêve.

« Dans la mer, c’est toujours l’été, pontifia-t-il. Les ondines se coiffent de nénimones et se tissent des tuniques d’algues argentées. Oh, je sais je sais, holà. »

Dans cet autre monde, le temps n’a pas la même signification, l’été peut y être éternel pour celui qui veut s’immerger dans cette mer de souvenirs. La seconde partie évoque la résille d’améthystes empoisonnées et la robe de satin argenté de Sansa. Celle-ci, comme tous les enfants Stark, semble avoir des pouvoirs latents ce qui ferait d’elle une « ondine ». Les nénimones étant ici des anémones de mer, connues pour leurs couleurs vives et leurs toxines mortelles.

Dans la mer, reprit le fou, la neige s’élève et la pluie est sèche comme l’os. Oh, je sais je sais, holà.

Sans doute une bataille, avec des cendres et une pluie de flèches. L’image revient souvent dans la saga. Difficile d’être plus précis, mais dans ASOS (intégrale 3) – Davos IV, Stannis dit avoir eu, grâce à Mélisandre, une vision dans les cendres blanches de la neige et de ce qu’on comprend être la bataille du Poing des Premiers Hommes contre les morts.

— Oiseau futé, homme futé, fou futé futé, fit écho le carillon discordant de Bariol. Oh, fou futé futé futé.

Le corbeau blanc a une intelligence supérieure, le mestre également. Mais le fou, lui, en sait encore davantage. Ces corbeaux seraient plus intelligents parce que les Enfants auraient instruits leurs ancêtres ou parce qu’une trace subsiste en eux. Bariol pourrait donc également dire qu’il a le savoir des deux. Cette dualité se verrait aussi dans son tatouage bicolore, magie du feu, rouge, alors qu’il était à Volantis, et magie des rêves ou des hommes verts, depuis qu’il est à Accalmie.

Il se mit à chanter. « Les ombres entrent, messire, dans la danse, danse messire, messire danse, chantait-il en sautillant d’un pied sur l’autre, alternativement. Les ombres entendent s’installer, messire, s’installer messire, s’installer messire. »

« Les ombres entrent, messire, dans la danse, messire danse, danse messire »

La danse implique en général la mort. Les ombres peuvent être celles des sortilèges, sous la tente de Daenerys ou invoqués par Mélisandre. Mais « ombres blanches » est aussi un surnom donnés aux Autres et Bariol chante cette chanson sans arrêt d’après Shôren. Il aura sans doute sentit les deux, ombres de Mélisandre, et ces créatures qui reviennent s’installer.

« Dans la mer, on tombe vers le haut, déclara-t-il, oh, je sais je sais, holà. »

D’une manière générale, les règles et la logique « sous la mer » ne sont pas les mêmes que dans le monde réel. Plus spécifiquement, pour l’atteindre, il faut s’éveiller, c’est-à-dire ouvrir son troisième œil, soit en atteignant la surface, soit en volant, comme dit plus haut.

« Ici, nous mangeons du poisson, s’extasia-t-il en agitant le sceptre d’une morue. Dans la mer, le poisson nous mange. Oh, je sais je sais, holà. »

Les humains se méprennent sur le pouvoir qu’ils exercent sur le monde, brandissant un sceptre qui n’en est pas un. Le monde onirique, bien que réduit à l’état de squelette en surface (les barrals y sont souvent comparés), se nourrit des vivants dans l’inframonde. Si un animal marin est la forme de la conscience du barral d’Accalmie dans l’esprit du fou, alors cela peut se comprendre comme quoi le barral emmagasine les souvenirs et les consciences des habitants du lieu, comme le fait le barral de Winterfell dans les visions de Bran. Si sous la mer est le monde des morts, alors cela peut aussi s’interpréter comme la venue des spectres tueurs.

— Dans la mer, intervint le fou, personne ne porte de couvre-chef. Oh, je sais je sais, holà. »

Pas de noblesse, de couronne ni de hiérarchie humaine dans l’autre monde.
Dans ce prologue, Bariol semble essayer de communiquer avec le vieux mestre, qui a été bon pour lui. Cressen, souvent comparé au fou (fool, fool, fool sont d’ailleurs ses dernières pensées), va bientôt rejoindre cet autre monde et qui sait, une forme de compréhension qui lui échappait jusque-là.

« Dans la mer, la fumée s’élève sous forme de bulles, et les flammes sont vertes et noires et bleues, chantonna Bariol, quelque part. Oh, je sais je sais, holala. »

Il s’agit vraisemblablement de la bataille de la Néra avec son feu grégeois.

Dans ASOS

« Sang de fou, sang de roi, sang sur la cuisse de la pucelle, mais chaînes pour les invités, chaînes pour le marié, ouais ouais ouais. »

Le sang de Tintinnabul, le fou des Jumeaux, de Robb Stark, de Roslyn Frey, les chaînes pour les invités des Noces Pourpres et pour Edmure Tully.

« Dans les profondeurs de la mer, le vieux poisson mange le jeune poisson », bougonna-t-il à l’adresse de Davos. Il pencha la tête de côté, faisant sonner, carillonner, fredonner ses clochettes. « Oh, je sais, je sais, holà. »

Bariol insinue sans doute que dans l’autre monde, mestre Pylos, qui l’a mis à la porte, serait un gamin qui se ferait bouffer par plus fort que lui. Ce que Davos semble confirmer sans réellement le comprendre. D’une manière plus générale, il veut peut-être dire que les forces de l‘ancien temps étaient plus puissantes que celles du présent. Il fait peut-être également référence à ce qui lui serait arrivé : la vieille conscience du barral s’est introduite de force dans sa jeune conscience.

Dans ADWD

« Dans le noir, les géants dansent. […] Je sais, je sais, hé hé hé. »

Cela fait peut-être allusion à Wun Wun qui va tuer ser Patrek, mais le pluriel et le noir indique sans doute plutôt que tous les géants vont s’éteindre, ou se relever parmi l’armée des morts. Bariol a une peur instinctive de Wun Wun quand celui-ci veut le toucher et dit « Oh non, oh non, oh non ». Même si cette peur peut s’expliquer par sa taille, il faut savoir que les géants étaient également pendant des millénaires les ennemis des enfants de la forêt.

« Sous la mer, les tritons s’empiffrent de soupe d’étoile de mer, et tous les serviteurs sont des crabes. […] Je le sais, je le sais, hé, hé, hé. »

Cela fait référence aux Manderly, dont l’emblème est un triton (merman – homme sirène en VO), qui mangent de la tourte aux Frey, ces derniers étant des adorateurs de l’étoile à sept branches, ainsi que des « prédateurs » opportunistes à la famille tentaculaire. Les crabes font référence soit au fait que les Nordiens sont en colère (crabby comme adjectif signifie irritable) ou que le Nord est un panier de crabes, l’expression existant aussi en anglais. Ou alors, cela désigne la maison Borrell dont l’emblème est un crabe et qui « livre » Davos à Blancport.

« Le corbeau, le corbeau, s’exclama Bariol en voyant paraître Jon. Sous la mer, blancs comme neige sont les corbeaux, je sais, je sais, ohé, ohé. »

Sans doute une nouvelle allusion aux corbeaux et change-peaux, dont Jon fait partie et qui est souvent suivi du corbeau de Mormont, plus que spécial. Dans le monde onirique, le corbeau, enfin la corneille, est Freuxsanglant, qui est un albinos et un ancien corbac de la Garde. Ou alors, c’est un indice que les frères jurés au-delà du Mur se sont fait avoir par les Marcheurs Blancs.

« Allons, allons, chantonna-t-il. Venez avec moi sous la mer, allons, allons, allons. »

Une invitation à le rejoindre et à partager son monde, ce qui on l’a vu pour mestre Cressen, est un mauvais présage.

« Nous marcherons dans la mer et en ressortirons. Sous les vagues, nous chevaucherons les hippocampes, et des sirènes souffleront dans des conques pour annoncer notre arrivée, oh, oh, oh. »

Soit Bariol parle bien de l’expédition vers Durlieu, et celle-ci reviendra. Vivante ou mort-vivante selon le nombre de sonneries de cor. Ou alors, cette traversée est symbolique de l’au-delà et il fait allusion au fait que Jon va à son tour passer les portes de la mort et en revenir.

« Sous la mer, les hommes épousent les poissons. […] Que oui, que oui, que oui. »

Cela fait sans doute référence à la légende d’union entre les Premiers hommes et les enfants, et que les hommes, dont Jon Snow, ont obtenu des pouvoirs « sous la mer ».

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3 Comments

  1. Beau travail Pandémie, j’aime beaucoup l’analyse que tu en as fait. Bariol a aussi parfois été comparé au Fou dans L’Assassin royal pour son physique et ses paroles énigmatiques. À voir s’il aura un rôle aussi important dans la suite d’ASOIAF.

  2. Très bel article bravo 🙂
    Ce personnage m’avait fortement intrigué dès la première lecture, je me souviens

    J’aime beaucoup ce point de vue :
    « Le fou serait donc également un moyen élégant d’établir un lien de complicité entre le lecteur et l’auteur.  »
    C’est une analyse amusante mais pertinente.

    Et mention spéciale à l’expression :
    « Mais si on en vient à se demander ce que cette divinité vient faire dans cette galère, on seiche (jeu de mot en vogue chez les Greyjoy depuis -5000 avant la Conquête). »
    ça a fait ma soirée ^^

  3. Cet article ne fait que renforcer ma première impression: ce personnage est décidément trop nébuleux et toute interprétation de ses propos, vu les maigres sources disponibles, relève de la spéculation plus ou moins hasardeuse.
    Faute de grives, on mange des merles. C’est toujours mieux que de mourir de faim… 😉
    Merci Pandémie pour ce récapitulatif sur Bariol !

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