Patrick Marcel, nouveau traducteur du Trône de fer, a accepté hier de répondre à quelques unes de nos questions lors d’une petite interview. Voici ce qu’il nous dit :
Bonjour Patrick, tout d’abord, merci d’avoir accepté de répondre à ses quelques questions entre deux traductions, et ce malgré ton planning chargé. Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots pour ceux qui ne te connaissent pas ou qui ne connaissent pas ton parcours ?
Hé bien, pour l’essentiel, ça fait une bonne vingtaine d’années que je traduis des romans, essentiellement des romans de genre. En fantasy plus particulièrement, j’ai traduit des livres de Mary Gentle, Barry Hughart, Robert Holdstock, Ellen Kushner, Gene Wolfe, Terry Pratchett, Neil Gaiman et probablement un ou deux qui ne me reviennent pas à l’esprit sur le moment.
Tu traduis principalement des livres de littérature de l’imaginaire, fantasy, fantastique… C’est un choix car tu apprécies ce genre ? Quelles sont tes œuvres et tes auteurs de références ? et ceux que tu as le plus apprécié traduire ?
Oui, c’est un choix, je suis de très longue date amateur de fantasy, fantastique et science-fiction. Difficile de choisir des auteurs préférés, mais disons que j’apprécie particulièrement Neil Gaiman, Peter Straub, Graham Joyce, Alfred Bester… En fantasy, mes auteurs préférés sont sans doute des classiques: J.R.R. Tolkien, T.H. White, E. R. Eddison, Fritz Leiber, Robert Howard, Karl Edward Wagner et, plus récemment, Susanna Clarke. Et plein d’autres.
Pour ceux que j’ai le plus apprécié de traduire, je mettrais d’abord Barry Hughart avec sa trilogie chinoise des aventures de Maître Li et Bœuf Numéro Dix, une sorte de combinaison improbable, exotique et drôle, entre Indiana Jones et le Juge Ti. Neil Gaiman, avec son roman de fantasy urbaine, Neverwhere. Ellen Kushner avec un livre qui est de la fantasy sans en être, À la pointe de l’épée. Mary Gentle avec Le Livre de Cendres, une œuvre de longue haleine, en SF et fantasy, qui peut rétrospectivement ressembler à un échauffement pour Le Trône de fer, par sa taille et ses exigences de vocabulaire. Mais j’ai eu beaucoup de chance de traduire, pour l’essentiel, des livres que j’aimais, à des degrés divers.
Te voilà donc parti pour traduire le Trône de fer. Comment as-tu été choisi ? Que penses-tu du nom de la saga en VF « Le Trône de fer » au lieu de « A Song of Ice and Fire » ?
Le choix a été assez simple. J’ai contacté Thibaud Eliroff pour lui proposer mes services et il m’a demandé si je voulais traduire le livre. J’ai dû hésiter une seconde avant de dire oui, en essayant d’avoir l’air nonchalant.
Le titre me plaît bien. Il a des avantages et des inconvénients; certes, il réduit les enjeux de la série aux luttes pour le pouvoir. Mais une traduction plus fidèle, malgré le célèbre et lointain précédent de la Chanson de Roland, aurait pu moins bien sonner en français. Il me semble que, dans l’ensemble, c’est un titre qui a de la gueule.
Avais-tu lu les romans avant de savoir que tu allais traduire la suite ? Si oui, les aimes-tu et quels sont tes personnages préférés ? Et la série télé, qu’en penses-tu ?
J’avais envie de lire les romans, mais la cadence à laquelle Martin les publie m’avait incité à attendre que toute la série soit disponible, avant de m’y mettre. La série m’intéressait, puisque Martin est un auteur que j’aime beaucoup. J’avais déjà traduit sa très belle collaboration avec Lisa Tuttle sur Windhaven, et j’aime beaucoup Fever Dream ou Armageddon Rag, entre autres, que j’ai dû lire à leur sortie originale.
Autant dire que cette belle résolution a volé en éclats. Ayant regardé (et apprécié) entre-temps l’adaptation télévisée, je me retrouve maintenant obligé de me griller trois tomes de rebondissements et d’intrigue en accéléré. Ce qui est assez frustrant. Mais bon: je peux me dire que je les relirai tous à un rythme plus raisonnable lorsque la série sera terminée.
J’ai beaucoup aimé la série télévisée, j’ai trouvé que c’était une adaptation intelligente qui ne se borne par à illustrer mais replace l’intrigue dans les cadres des possibilités de la télévision, la respectant sans la suivre forcément au mot près. Mais comme George R.R. Martin la supervise, cela ne m’étonne pas. D’ailleurs, il connaît bien la télévision, et sait comment l’employer. La distribution est excellente. J’ai du mal à avoir un personnage préféré, même si j’aime beaucoup Arya et Tyrion, qui sont fascinants. Mais quand on voit Charles Dance incarner le chef de la famille Lannister et dépecer un cerf tout en discutant de la situation, comment ne pas être bluffé?
Tu reprends le flambeau d’un autre traducteur, M. Sola. C’est une situation qui ne m’a pas l’air très courante. L’avais tu déjà fait avant ? Quelles sont les principales difficultés liées à cet exercice ?
Ça m’est déjà arrivé: j’ai traduit le dernier volume de la série de la Forêt des Mythagos de Robert Holdstock, et repris deux séries de Gene Wolfe, L’ombre du bourreau et Soldat des Brumes. À chaque fois les modalités étaient un peu différentes: comme il s’agissait d’ouvrages épuisés depuis un moment, j’ai pu reprendre les ouvrages précédents pour harmoniser les traductions, éventuellement changer un ou deux éléments pour la cohérence de l’ensemble. Ici, je m’insère dans une série en cours dont les volumes sont parfaitement disponibles (même si j’ai cru comprendre que le volume 2 s’est fait surprendre par la popularité de la série et qu’il s’est épuisé d’un coup — mais c’est un incident temporaire). Donc, je dois me placer dans la continuité de ce qui est déjà fait.
Concernant la traduction de M. Sola justement, elle est assez particulière, et a ses admirateurs profonds comme ses détracteurs farouches, elle a en tout cas déchainés de houleux débats. Qu’en penses-tu ? Quels sont les points forts et les points faibles de la traduction de ton prédécesseur ?
Le vocabulaire est indéniablement à compter au nombre des points forts: les termes précis, l’orientation médiévalisante dans les noms traduits, ce sont des choses que je trouve très réussies. Je comprends le choix d’une langue parfois un peu archaïque pour le roman, même si Martin a visiblement fait le choix d’un style moderne et direct, justement pour rendre son histoire plus proche du lecteur. Ce qui va créer pour moi un dilemme. Mais je n’ai pas lu à proprement parler la traduction des tomes précédents, donc je n’ai pas encore de vue d’ensemble.
Il va donc falloir que tu satisfasse à la fois les fans de Sola comme ses détracteurs tout en traduisant un livre qui va se retrouver en top des ventes US le jour de sa sortie, qui possède un fan-pool immense et qui est attendu comme le messie depuis 6 ans. Pas trop de pression sur les épaules ?
J’avoue qu’au départ, je n’avais pas vraiment envisagé cet aspect des choses. Quand Thibaud Eliroff m’a proposé la traduction du roman, je savais que la série était populaire, mais je
n’ai commencé à me rendre compte de l’ampleur de cet engouement qu’en voyant que le tome 2 de l’intégrale était subitement épuisé, suite de la diffusion de la série télé. Ça ouvre une autre perspective sur la situation. Je vais essayer de ne pas trop y penser et de travailler de mon mieux, ce sera probablement la meilleure façon de procéder.
n’ai commencé à me rendre compte de l’ampleur de cet engouement qu’en voyant que le tome 2 de l’intégrale était subitement épuisé, suite de la diffusion de la série télé. Ça ouvre une autre perspective sur la situation. Je vais essayer de ne pas trop y penser et de travailler de mon mieux, ce sera probablement la meilleure façon de procéder.
Concernant le style d’écriture : Comptes-tu changer radicalement le style de la V.F., continuer dans la lignée de Sola ou trouver un compromis en essayant de ménager un équilibre ?
Le problème évidemment, c’est que chaque traducteur a sa vision de la traduction, des choix à faire, des orientations à adopter. En reprenant la série en cours de route, il faut que je reste dans le prolongement des tomes précédents pour ne pas créer une rupture de ton qui n’a pas lieu d’être dans l’œuvre. Je démarre tout juste la traduction, et les choix se feront sur le tas. Mais mon intention première est de tenter de rester dans la droite ligne de mon prédécesseur, en songeant bien qu’immanquablement au fil du temps, je vais peu à peu aller vers mes choix propres. En principe, la transition devrait se faire en douceur, donc.
Concernant les noms propres : Comptes-tu garder les noms propres/noms de termes spécifiques choisis par Sola ou en retraduire certains ? Pour les nouveaux noms/termes qui apparaitront au fur et à mesure, as-tu l’intention de les franciser comme le faisait souvent (mais pas systématiquement) Jean Sola ou les laisser en anglais ?
Comme je disais, il y a de très beaux choix de traduction sur les noms. Je regrette que certains soient restés en anglais, car, ainsi, ils parlent moins au lecteur — dans le texte de Martin, ce sont clairement les traductions américaines de noms en langue de Westeros, pour que le nom ait un pouvoir d’évocation par rapport au personnage. Je pense aller, à ce titre, vers une traduction systématique des noms propres. Mais il n’est pas possible, après quatre tomes, de retraduire les noms qui ne l’étaient pas jusque-là: cela créerait une confusion inutile.
Mais, je le répète, je commence tout juste, donc tout ça reste un peu théorique. C’est sur la longueur que je vais me forger une vue d’ensemble et une stratégie.
Certains lieux et termes apparaissant en V.O. sur des cartes/appendices/ dérivés n’ont jamais été traduits dans la saga mais ont reçu une traduction dans les jeu-de-rôle/ jeu de cartes/ jeu de plateau ; si ces termes venaient à apparaitre dans les romans, comptes-tu réutiliser les termes issus de ses produits dérivés afin de garder une cohérence au sein de l’univers, ou considérer leur traduction comme non-canon et en proposer une nouvelle ?
Là encore, je n’ai pas envisagé le problème. Mais effectivement, il sera sans doute préférable d’utiliser les noms français qui peuvent exister dans les jeux de rôles. À condition que le contexte de l’histoire ne l’interdise pas — un nom dont le sens est finalement autre que celui qu’il semblait avoir à première vue, ou une allusion à un élément différent, qui oblige à un autre choix.
Là encore, on verra à l’usage. Mais je suis partisan d’être aussi fidèle que possible à ce qui est déjà en cours.
Lors de l’annonce où tu dévoiles être le nouveau traducteur du Trône de fer, tu as évoqué la Garde de Nuit et son wiki. Comment as-tu découvert le site ? Le consultes-tu régulièrement ? Dans quel mesure va-t-il t’aider dans ta traduction ?
Thibaud Eliroff me l’a recommandé pour les problèmes de cohérence que je vais immanquablement rencontrer. Et il va m’être absolument essentiel. Je l’ai déjà consulté quatre ou cinq fois pour les premières pages de ce nouveau volume. Mais j’en avais déjà entendu parler, puisque c’est la référence incontournable sur la série, et je l’avais consulté à l’occasion — notamment pour savoir, par curiosité, comment The Eyrie était traduit en français: j’achève une traduction où le terme est employé, aussi, pour désigner la tour où loge un sorcier. C’est amusant de constater comme je retrouve une sorte de chaîne de coïncidences d’un roman à l’autre, dans mes traductions: des noms de personnage ou de lieux qui se répondent, des éléments de scénarios qui se répètent d’un roman au suivant, alors que je change parfois totalement de genre et qu’ils ont pu être écrits par des auteurs différents à des dates très différentes.
Les délais d’écriture de George R.R. Martin sont parfois impressionnant, tel ce DWD qui aurait du sortir en 2006… Est-ce que ça te fait peur pour la suite ? Traduiras-tu les tomes VI et VII également lorsqu’ils sortiront ?
Peur, non, pas spécialement. Ce serait beaucoup plus inquiétant si je devais traduire de pareils volumes à une cadence plus rapprochée! Mais c’est vrai qu’il fait languir ses lecteurs. Je me fais une raison en me disant qu’il vaut mieux qu’un auteur publie son livre quand il en est satisfait plutôt que quand la date est de livraison est arrivée, même s’il n’en est pas content. Quant à traduire les tomes 6 et 7, c’est probablement trop tôt pour le dire, on verra à ce moment-là. Vu de l’orée du tome 5, je peux seulement dire que, pour ma part, je serais probablement partant.
Tiens en parlant de DWD… tu as sûrement déjà reçu ton exemplaire ? Tu l’as lu ? Il est aussi bien que ce qu’on espère depuis tant d’années ? Tu me laisses jeter un coup d’œil ?
Ce n’est pas un exemplaire, c’est un fichier Word, avec filigrane en travers des pages. Ça va être difficile de pas me faire repérer, si je fais circuler.
Je ne l’ai reçu qu’il y a quelques jours, donc je vais me lancer dans le premier jet sans le lire d’abord et le découvrir au fur et à mesure. Pour un premier jet, la curiosité aide à maintenir le rythme, je trouve. J’effectuerai par la suite suffisamment de passages, de re-passages et de polissages pour rectifier les éventuels fourvoiements.
Beaucoup de gens pestent contre le prix, le découpage opéré et les délais de parution de la version française. Toi qui est « dans le milieu », qu’en penses-tu ? Peux tu nous éclairer sur les délais de traduction habituels et l’intérêt d’un tel découpage ?
Les délais de traduction sont inévitables: 1000 pages (1655 dans le fichier Word que j’ai reçu) ne se traduisent pas en cinq minutes. Le découpage permet aux lecteurs français d’avoir accès à une partie du roman plus tôt. D’après un calcul élémentaire, s’il faut un certain temps pour traduire un tiers de l’ouvrage, il en faut trois fois plus pour traduire la totalité. Donc, au lieu d’avoir la première partie dans six mois, il faudrait attendre l’intégrale dans un an et demi (et elle coûterait au moins deux fois plus cher que chaque tiers, probablement plus). Je doute que ce choix soit plébiscité.
C’est pourtant la norme: avec un auteur aussi attendu que Thomas Pynchon, pour prendre quelqu’un qui écrit des volumes de taille comparable, il a fallu attendre à peu près un an et demi avant d’avoir en un volume une traduction française d’Against the Day, paru en 2006 aux USA et en 2008 ici. Il n’y a pas de solution magique.
C’est pourtant la norme: avec un auteur aussi attendu que Thomas Pynchon, pour prendre quelqu’un qui écrit des volumes de taille comparable, il a fallu attendre à peu près un an et demi avant d’avoir en un volume une traduction française d’Against the Day, paru en 2006 aux USA et en 2008 ici. Il n’y a pas de solution magique.
Un petit mot que tu souhaites dire aux fans ?
Ne tirez pas! ^_____^
Non, essentiellement, je suis fan moi-même, et je vais faire de mon mieux pour rendre au mieux le roman de Martin.
Merci Patrick d’avoir pris un peu de ton temps pour répondre à ces questions. Je te souhaite une bonne continuation et une bonne traduction de la part de toute l’équipe de la Garde de Nuit.
Merci beaucoup!
A noter qu’une autre interview de Patrick Marcel, avec des questions un poil différentes, est disponible sur le blog d’Elbakin.net.
Le tome 13 du trône de fer, traduit par Patrick Marcel, devrait être disponible en mars 2012.