En ce joli petit mois de février, qui compte seulement 28 jours encore cette année, les chroniqueurs de la Garde de Nuit vous proposent des histoires courtes, qui tiennent en quelques pages, mais qui déboîtent. Pas forcément besoin d’une saga de 15 tomes pour lire des pépites !
↑Les meurtres de Molly Southbourne, de Tade Thompson
Parution de l’excellente collection « Une heure lumière » aux éditions du Bélial’, consacrée aux récits courts, Les meurtres de Molly Southbourne, de Tade Thompson et traduit par Jean-Daniel Brèque, est une nouvelle d’horreur qui se lit d’une traite.Tout s’ouvre sur une scène de séquestration, mais très vite, nous rencontrons la ravisseuse, Molly, et découvrons sa sombre histoire, pleine de mystères qui s’éclaircissent peu à peu. Un vrai puzzle qui se construit au fil des pages. Molly a grandi dans une ferme isolée, complètement coupée du monde par ses parents. L’exposer au monde serait dangereux : dès son enfance, elle a manifesté un pouvoir hors du commun. Lorsque son sang coule, un double d’elle-même est créé.
Le récit est immersif, fluide, et hyper-prenant. Plein de suspense, avec une histoire très originale, en une petite centaine de pages, j’ai été complètement happée. Entre l’horreur, le roman d’apprentissage, la SF… en très peu de pages, on aborde bien des thèmes avec brio, sans forcer. Un vrai tour de force !
Par contre, attention, si vous avez un problème avec le sang, c’est très sanguinolent.
Nymphadora
↑Citoyen+, d’Audrey Pleynet
Cette courte nouvelle est proposée gratuitement par l’auteure sur les plateformes internet, et ce serait dommage de s’en priver car elle nous permet de découvrir une nouvelle plume féminine française.Dans un futur très proche, les citoyens peuvent améliorer leur situation sociale et financière en souscrivant à un programme qui les incite à prendre soin d’eux, mais aussi à partager leur vie sur internet et à consommer des produits recommandés. Mélange de programmes de santé publique et de marketing très basique à base de réseaux sociaux !
Évidemment, on ne peut pas éviter de penser à ce qu’il se passe actuellement en Chine, avec ces programmes qui notent les citoyens selon leur bon comportement, et dont dépendra leur liberté de déplacement et sans doute à terme leur position dans la société.
Sur un thème d’actualité, l’auteure nous offre une variation plaisante dans un beau style, et surtout une fin inattendue qui a beaucoup de sel, comme toute « nouvelle à chute » qui se respecte !
FeyGirl
↑Variantes douteuses (Unsound Variations), de George R. R. Martin
Avant d’écrire Le Trône de Fer, George R. R. Martin a publié beaucoup de nouvelles qui ont parfois été primées. A l’occasion de ce mois consacré aux formes courtes, je vous conseille de lire Variantes douteuses (1982) que vous pouvez retrouver dans le recueil Au fil du temps ou dans la brique R.R.étrospective (traduction d’Éric Holstein). En format poche, cette nouvelle approche les cent pages. Cela parle d’échecs, ça tombe bien, le jeu est revenu à la mode depuis quelques mois, même s’il n’y a pas besoin de le connaître précisément pour apprécier le texte.
Au départ, nous rencontrons un couple en voiture pendant les fêtes de fin d’année. Peter et Kathy se déplacent sur les routes montagneuses du Colorado, répondant à l’invitation de Bruce Bunnish, un milliardaire qui fut l’ami à l’université de Peter. Pendant leurs études, avec leurs deux autres amis, également invités, Edward et Steve, ils avaient participé à des tournois d’échecs et tout le monde se souvient de la partie où Bunnish avait fait perdre son équipe en concédant la défaite alors qu’une victoire était à sa portée. Depuis, les quatre amis se sont perdus de vue et Bunnish est le seul à avoir « réussi » alors que pourtant rien ne le distinguait des autres. Et là, d’un coup, dix ans après, Bunnish les invite dans sa maison perdue au milieu des montagnes.
Je n’en dirais pas plus sur l’intrigue, car le plaisir réside dans la découverte. On part sur un schéma très classique « l’invitation mystérieuse d’un gars perdu de vue, dans un lieu isolé ». Mais l’intrigue prend des tours très inattendus par la suite et débouche sur des questions assez vertigineuses sur notre rapport au temps, aux souvenirs, aux échecs (dans tous les sens du terme) et aux voies envisageables pour changer sa situation. Si cela est assez nébuleux pour vous, lisez la nouvelle, puis venez en parler avec nous sur le forum.
L’auteur lui-même a beaucoup joué aux échecs. Il fut même capitaine d’une équipe et organisateur de tournois à son université. En décembre dernier, il a écrit un billet de blog où il déclarait toute son admiration pour la série Le Jeu de la dame. L’occasion d’aller voir comment il avait traité ce jeu il y a près de quarante ans ?
R.Graymarch
↑Cycle de Lanmeur, de Christian Léourier
Mais qu’est-ce qu’il raconte, Crys ? Il débloque ? On lui parle de formes courtes et il nous colle un cycle ! Oui mais un cycle de formats courts, voyez plutôt !
Les Contacteurs, c’est le titre de l’intégrale 1 du Cycle de Lanmeur, de Christian Léourier, un petit pavé qui regroupe trois novellas à l’intérieur. Si vous suivez attentivement les prix littéraires de l’imaginaire, le nom de Léourier ne peut vous être inconnu. Lauréat du prix Elbakin pour La Lyre et le Glaive (dont je vous avais déjà parlé ici), c’est avec Helstrid qu’il a connu la consécration l’an passé en recevant le Grand Prix de l’Imaginaire. A l’origine, ce Cycle de Lanmeur avait été publié chez J’ai Lu entre 1984 et 1994 avant d’être réuni dans cette collection « intégrale » (qui obtint elle-même le prix spécial du GPI en 2013).
C’est bien gentil, tout ça, mais de quoi ça cause, me direz-vous ? Eh bien des Contacteurs, des individus envoyés par une planète du nom de Lanmeur vers d’autres systèmes avec pour objectif de prendre contact avec les civilisations sur place pour mieux les connaître… et mieux les dominer. Chaque roman s’intéresse à monde différent avec un Contacteur différent et peut presque se lire de manière indépendante. J’inviterai ceux qui se lanceront dans l’aventure à lire au moins les deux premières novellas. La première, Tir Hanog, baigne dans une ambiance celtique de fantasy, là où la seconde, L’homme qui tua l’hiver, est vraiment plus dans la veine SF d’Ursula Le Guin.
Voici donc un cycle qui peut ponctuer un peu votre future année sans vous demander de vous souvenir de mille personnages et à chaque fois vous enchanter avec la plume virtuose de Léourier et ses mondes uniques en leurs genres !
Crys
↑Raisa Stepanova, de Carrie Vaughn
L’an dernier déjà, nous vous recommandions en ce mot court des formes courtes. DNDM notamment vous recommandait Des ombres pour Silence dans les forêts de l’Enfer de Brandon Sanderson, au sein de la première partie française de l’anthologie Dangerous Women, qui y rassemblait les 9 textes d’auteurs. Mais cette anthologie contenait également 12 œuvres d’autrices, qui parurent en français au sein d’un second volume, et je crois qu’elles valent aussi d’être mises à l’honneur. Voici donc Raisa Stepanova, de Carrie Vaughn :
L’autrice étasunienne, connue pour sa série de fantasy urbaine Kitty Norville et fréquente contributrice aux projets de Martin (Les Années folles [The Roaring Twenties] dans Vauriens [Rogues], une demi-douzaine de nouvelles au sein de la série Wild Cards) nous envole là sur le front de l’Est, près de Voronej, en février 1943, au côté d’une pilote de la 586e escadrille de chasse aérienne. Nous suivons pendant quelques mois le quotidien de l’éponyme Raisa Ivanovna Stepanova, rythmé par les lettres envoyées à son frère David, et les sorties contre les Allemands.
Il s’agit donc d’une fiction historique, qui sera peut-être l’occasion pour vous comme ce le fut pour moi de découvrir ces « dangerous women » que furent les pilotes féminines soviétiques, premières femmes pilotes de chasse. Raisa, qui sert au sein d’un des 3 régiments exclusivement féminins créés par Marina Raskova, est commandée par Aleksandr Grivnev, et se rêve en as de l’aviation, rivalisant à distance avec Lidia Litviak. Vaughn rend ainsi hommage à ces figures historiques, pionnières de l’aviation (de chasse) au féminin, sans passer sous silence les difficiles conditions de vie au front, s’attardant sur les conséquences tragiques pour les concerné-es et leurs familles de l’ordre n°270, reprenant l’aphorisme de Staline : « Il n’y a pas de prisonniers de guerre soviétiques, il n’y a que des traîtres. »
Oscillant ainsi entre célébration de la place qu’il fit aux femmes et condamnation des dérives du système soviétique, mise en scène épique d’affrontements aériens et mise en lumière de la faim, du froid et du manque d’hygiène qui étaient synonymes de routine pour les soldat-es de la Seconde Guerre mondiale, peignant malgré tout leurs vies et leurs relations avec fraicheur, et humour, Carrie Vaughn délivre en une trentaine de pages une sympathique nouvelle qui est aussi l’occasion d’en apprendre plus sur notre Histoire. En somme, de l’art comme je l’aime : divertissant et instruisant.
no one
↑Conclusion
Pour d’autres idées de lecture, n’hésitez pas à consulter l’annuaire de toutes les recommandations publiées sur le blog de la Garde de Nuit.