En cette journée internationale des droits des femmes, la Garde de Nuit a décidé de vous proposer des recommandations 100% féminines.
Nous ne vous apprendrons rien en vous rappelant que la parité est loin d’être acquise, et vous lirez probablement en ce jour de nombreux articles qui vous rappelleront qu’aujourd’hui encore, à travail égal, les femmes sont moins payées que les hommes, moins visibles dans les médias, etc. Hélas, le secteur du livre, et notamment les littératures de l’imaginaire, ne font pas exception. Que ce soit dans les stéréotypes qui peuvent être véhiculés par certains titres, ou dans la place des autrices au sein du genre, il reste encore un gros travail à faire pour que les femmes tiennent une place égale à celle des hommes.
Malheureusement, même sur la Garde de Nuit, nous sommes victimes et complices involontaires de cet état de fait qui rend les autrices moins visibles dans nos bibliothèques : sur 81 recommandations publiées dans le cadre de nos articles mensuels, seules 9 œuvres recommandées ont été écrites par des femmes. Aujourd’hui, nous tenons donc à rappeler que les femmes sont capables de traiter les mêmes sujets que les hommes avec la même qualité, en mettant en lumière des œuvres écrites par des autrices.
↑Qui a peur de la mort ?, de Nnedi Okorafor
Dans une Afrique post-apocalyptique, Onyesonwu est une ewu, une enfant du viol. Rejetée par la société, elle se découvre des pouvoirs surnaturels et se lance dans la quête de son père, qui constitue une menace pour sa vie, ainsi que dans une quête de paix entre les peuplades qui régissent son monde et qui s’affrontent.
L’histoire est prenante et aborde des thèmes très durs (le viol, la violence, la guerre, la place de la femme dans une société patriarcale archaïque…) le tout dans une atmosphère poisseuse extrêmement bien construite. Les personnages comme le lecteur sont confrontés à des réalités choquantes qu’ils préféreraient occulter. C’est le type de lecture dont on ressort chamboulé, et qu’il vaut mieux éviter de lire en plein moment de déprime, soyez prévenus.
Mais au delà de la dureté de l’histoire, le lecteur découvre également un univers fascinant et dépaysant. Dans cette Afrique post-apocalyptique, les indices qui nous rattachent au présent sont discrets, mais très intelligemment construits. La magie existe, mais est empreinte d’un mystère et d’une cohérence admirable, et le roman fait la part belle à des cultures imaginaires qui prennent leurs racines dans la culture africaine. L’autrice, américaine d’origine nigériane, a puisé dans son vécu pour concocter un récit qui entremêle avec réussite traditions, magie et spiritualité.
Les personnages, enfin, sont terriblement bien construits : tous bourrés de défauts, ils n’en sont pas moins touchants et attachants. Les personnages principaux ont une relation pleine d’amour, de respect mais aussi de feu, très loin des clichés de la fantasy habituelle. Et les personnages secondaires ne sont pas en reste : le vieux sorcier Aro, la courageuse et sulfureuse Luyu, la petite Binta… tous restent en tête longtemps après la lecture.
En bref : un roman original et intelligent, comme on en voit rarement !
Nymphadora
↑Les fiancés de l’hiver (La Passe-miroir, livre I), de Christelle Dabos
Sous son écharpe élimée et ses lunettes de myope, Ophélie cache des dons singuliers : elle peut lire le passé des objets et traverser les miroirs. Elle vit paisiblement sur l’arche d’Anima quand on la fiance à Thorn, du puissant clan des Dragons. La jeune fille doit quitter sa famille et le suivre à la Citacielle, capitale flottante du Pôle. À quelle fin a-t-elle été choisie ? Pourquoi doit-elle dissimuler sa véritable identité ? Sans le savoir, Ophélie devient le jouet d’un complot mortel.
Pour se remettre de l’atmosphère de la recommandation précédente, je vous propose une petite sucrerie concoctée par une Française, Christelle Dabos. Lauréate en 2013 d’un concours organisé par Gallimard, la voilà catapultée en tête des ventes de la fantasy jeunesse, une case où son roman aurait bien du mal à rester. Car si le ton reste accessible, en revanche, les références convoquées par l’autrice seront plus à même de séduire les lecteurs adultes. L’histoire pourrait s’apparenter à un « Hermione Granger est fiancée à Viktor Krum », mais l’analogie avec Harry Potter, pourtant souvent évoquée par les critiques, s’arrête là à mon sens. Christelle Dabos construit dans son œuvre une relation entre les deux protagonistes (qui brille par son refus de l’idylle et du coup de foudre traditionnels) qui évoquera davantage Orgueil et Préjugés dans un environnement visuel foisonnant digne de Hayao Miyazaki. Les fameuses Arches où vivent les personnages, résidus aériens d’une Terre qui a éclaté sans que l’on sache réellement pourquoi, ne sont pas sans évoquer Laputa ou Le Château Ambulant, mais la force de l’écrivaine, c’est de dépasser la référence pour se l’approprier pleinement. Elle nourrit sa cité volante d’intrigues de cour où chaque clan est proprement dangereux. C’est d’ailleurs une des autres forces du roman : Ophélie, l’héroïne marginale qui refuse de se marier, sort dès le début de sa zone de confort et marche sans cesse sur des œufs. Ainsi la tension reste permanente, même dans les moments les plus contemplatifs, et le roman se dévore en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Et quelque part, ça tombe bien, car il y a deux autres volumes parus qui reprennent pile là où s’arrêtent les précédents, et le quatrième ne devrait plus tarder.
En bref, voilà un cycle jeunesse écrit par une Française qui saura régaler tous les jeunes, même ceux de quatre-vingt-six ans. En plus, il existe en poche, donc aucune raison de ne pas se jeter dessus.
Crys
↑Le Royaume de Tobin (The Tamír Triad), de Lynn Flewelling
Le royaume de Tobin est une trilogie de fantasy américaine sortie de l’imaginaire de Lynn Flewelling, relativement classique de par son univers, fait de magiciens, de guerriers et d’intrigues pour sauver le monde : dans le royaume de Skala, une ancienne prophétie a annoncé que la paix régnerait tant qu’une reine siégerait sur le trône. Deux mages préservent la vie de l’héritière tandis que son oncle usurpe le pouvoir et met fin à plusieurs siècles de matriarcat au prix de la vie de toutes les autres prétendantes.A priori, rien de bien nouveau donc, mais c’est là que les romans se démarquent. La princesse, à peine née, est transformée en garçon par un rituel sanglant sacrifiant son frère jumeau, qui ne cessera de la hanter. Elle grandira à la cour, persuadée d’être un garçon affublé d’une malédiction. L’ambiguïté de la situation de la principale protagoniste fait évidemment le sel de l’histoire, et la grande sensibilité avec laquelle les personnages sont traités génère une empathie qui fait que l’on s’attache fortement à leur destin d’élus de la prophétie devant sauver le royaume, qui sans cela serait des plus banals.
À noter aussi que la traduction est l’œuvre de Jean Sola, le traducteur des premiers tomes du Trône de Fer, et que son style plutôt « vieille école » correspond sans doute mieux à Flewelling qu’à Martin.
Pandémie
↑Contes de fées, de Marie-Catherine d’Aulnoy
Retour en France et petite plongée quelques siècles en arrière, à la fin du 17ème siècle, avec les contes de fées de Marie-Catherine d’Aulnoy, dite Madame d’Aulnoy. Celle-ci était une contemporaine de Charles Perrault et a connu à son époque un succès plus important que son concurrent en écrivant dans le même registre, à savoir le conte merveilleux. Cependant, la comparaison s’arrête là : si Charles Perrault écrit en moraliste pour éduquer les enfants à travers des histoires prises dans le folklore populaire et remises en forme académique, Marie-Catherine d’Aulnoy pratique la satire et le pastiche à destination d’un public de cour adulte, et reprend des thèmes très en vogue dans les romans en prose et épopées en vers des générations précédentes. D’Aulnoy fait en outre la part très belle aux héroïnes, qui ont toujours le rôle actif et moteur dans ses contes : ce sont elles qui voyagent, vivent des aventures, prennent l’initiative, ont des idées et sauvent le monde.À défaut du monde, leur prince charmant, comme dans « L’Abeille et l’Oranger ». Parfois, déguisées en chevalier, elles vont chercher leur roi jusque sur le champ de bataille et font tomber les cœurs des dames, comme Belle-Belle/Fortuné. Ses contes n’ont pas de morale et conservent la plupart du temps une ambiguïté bienvenue, qui permet de ne pas trancher nettement entre un camp du bien et un camp du mal, mais surtout de laisser percevoir la vie intérieure de ses héroïnes, qui sans cela resteraient sans nuances. Le mariage final est souvent expédié en deux phrases, comme si l’autrice sacrifiait à une convention de conte où la princesse épouse son prince promis, d’autant qu’auparavant, le prince promis a pu être réduit au rôle de potiche – au sens propre dans le conte de Fortunée. Les mordus de psychanalyse trouveront beaucoup de princes castrés symboliques et de princesses qui en ont pour deux.
Si d’Aulnoy fait l’objet de rééditions en poche depuis quelques années, on ne trouve pas encore tous ses contes et autres écrits à la librairie du coin ! C’est dommage, car la langue de l’autrice est riche, vivante, inventive, pleine d’ironie et très agréable à lire. Très éloignée du format académique et pourtant très élégante, une vraie bouffée d’air frais !
D’Aulnoy dépeint à travers ses contes son propre monde, celui de la cour et des courtisans, sa cruauté, et en creux l’injustice de la domination masculine et du sort tragique réservé aux filles mariées de force. Et là, elle nous parle d’elle, mariée à 15 ou 16 ans à un tyran domestique. Sa vie ressemble un peu à celle d’une héroïne de GRRM, avec ses tentatives pour se débarrasser d’un si encombrant époux, une fuite rocambolesque et quelques voyages à travers l’Europe avant un retour en grâce en France, pour « services rendus ». Elle tiendra un salon littéraire fréquenté par d’autres écrivaines dont la vie mouvementée reste toujours surprenante pour nous qui avons tendance à imaginer des dames au train-train quotidien facile, bien ordonné et gentiment galant.
Emmalaure
↑The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate), de Margaret Atwood
Dans un monde post apocalypse nucléaire, alors que l’humanité connait une crise de fertilité, des fanatiques ont pris le pouvoir et instauré un système ultra-cloisonné dans lequel les femmes ont des fonctions, mais pas de droits. Celles qui sont fertiles sont réservées aux puissants, comme reproductrices, pour pallier la stérilité de leurs épouses légitimes et fournir des héritiers. L’histoire est contée du point de vue d’Offred (Defred, en VO, puisqu’elle appartient à Fred), une de ces « servantes » habillées de rouge. Petit à petit, le lecteur découvre les conditions de vie des hommes et des femmes dans une société totalitaire qui vous dépossède de tout, jusqu’à votre nom, et où chaque élément de votre vie — vos vêtements, ce que vous mangez, les personnes avec qui vous interagissez — est réglé au millimètre, à la fois pour minimiser, voire annuler, les risques de rébellion et pour optimiser vos chances de reproduction, dans le cas des servantes écarlates, ou de remplir votre fonction de façon optimale.La description de l’intérieur de cette dystopie glaçante est stupéfiante par son réalisme et par sa capacité à entraîner le lecteur en immersion dans l’esprit de la narratrice, qui est parfaitement imparfaite. L’évolution du personnage, les mécanismes de défense qu’elle développe pour survivre à l’enfer de son quotidien sont parfaitement rendus par la plume de Margaret Atwood, sobre, élégante et crue. Aucun détail n’est épargné, sans jamais tomber dans le trash ou le voyeurisme. On plonge dans cet univers, et on en ressort rincé par le flot d’émotions qu’il suscite. Et la fin est magistrale.
J’ai lu ce livre après avoir entendu parler de la série, dont la première saison a été encensée par la critique. Je n’ai vu que quelques épisodes de la série qui est visuellement très respectueuse de ce qu’on imagine en lisant le bouquin. Même si vous avez vu la série, ne passez pas à côté de ce chef-d’œuvre.
Tomcat
↑Génération K, de Marine Carteron
Alors que des épidémies se déclenchent partout sur le globe, et que les morts s’empilent, les Enfants d’Enoch mènent des expériences sur les porteurs du chromosome K et cherchent les quatre Génophores dont le sang et les pouvoirs sont les clefs de leurs sombres desseins. Dans le même temps, le Maître se réveille et rassemble son peuple, à la recherche de ses enfants. Ka, Georges et Mina se retrouvent plongés malgré eux au milieu de cette lutte millénaire, dont ils vont découvrir peu à peu les enjeux…Venez parcourir l’Europe (pour changer des USA !) aux côtés d’une héritière aristocrate métalleuse en pleine rébellion, de sa sœur de lait fille de domestique, et d’un orphelin-gangster-dur à cuire-au grand cœur (4 en 1 !). Une fois passée l’appréhension initiale de lire un texte à la première personne, l’immersion est immédiate. Le style, direct et naturel, vous plongera facilement au cœur de l’action. Les mystères sont suffisamment distillés pour éviter une impression de secret artificiel, tout en conservant intacte la curiosité du lecteur, et les écueils d’un trop classique roman d’apprentissage / initiation sont évités, composant ainsi un premier tome de trilogie rythmé, intrigant et entraînant.
Enfin, et c’est bien souvent la force des autrices, les personnages féminins sont développés et cohérents, et ne se limitent pas à des rôles d’archétypes accompagnant le héros masculin.
Bref, n’hésitez plus, rejoignez la Génération K ! <3
Jon
↑Conclusion
Nous espérons vous avoir fait découvrir de chouettes lectures ! N’hésitez pas à réagir, ou ajouter vos propres idées dans les commentaires. Et si vous n’avez pas trouvé votre bonheur ici, vous pouvez toujours retrouver les conseils des mois précédents dans l’annuaire de toutes les recommandations publiées sur le blog de la Garde de Nuit.