Octobre, c’est le mois de l’imaginaire ! Nous allons donc évidemment parler de littérature de l’imaginaire, en nous cantonnant à des récits écrits en langue française publiés récemment. En espérant que les recommandations de nos chroniqueurs vous plairont. Et n’oubliez pas : achetez des livres et soutenez les auteurs !
↑Le Monde Après, de Aodren March’oc
C’est toujours un risque de commencer un livre auto-édité, mais en l’occurrence c’est une belle surprise ! J’ai été attirée par ce roman publié en 2017, car c’est un post-apocalyptique se déroulant en France. Même s’il ne renouvelle pas le genre, il offre une lecture captivante.
Un cataclysme a ravagé la Terre : tous les gouvernements s’étaient alliés pour financer les armes pouvant détourner un météorite, mais un groupe d’intégristes fit capoter le projet, et des morceaux de la Lune détruisirent la quasi-totalité de la surface. Ce jour-là, un Français réussit à sauver les dernières données cartographiques permettant de voir les zones épargnées et celles à éviter.
Des décennies plus tard, le monde a profondément changé et les rares survivants se sont organisés comme ils ont pu. Tours, transformée en ville-forteresse, est le centre du Monde Libre. Soutenant quelques colonies alentours qui tentent de se développer, cette ville a une organisation à la fois moyenâgeuse et militaire, tout en maintenant un système démocratique. Ce Monde Libre tente de conserver une civilisation, mais il peine à intégrer les réfugiés, et il est continuellement à la recherche de matériel et d’armes anciennes à récupérer malgré le danger dans les campagnes, les difficultés de communication et le risque d’espionnage du camp ennemi.
Reims, quant à elle, est le siège de Valcre, un puissant seigneur de guerre qui règne grâce à la terreur et qui n’a pas hésité à réinstaurer l’esclavage. Son système est à la fois très hiérarchisé et violent, reprenant le thème classique en post-apo de la sauvagerie qui revient quand il n’y a plus de civilisation ni de lois, sauf la loi du plus fort.
Enfin, les campagnes sont quasiment abandonnées et en proie à des bandes dangereuses, dans un climat refroidi par l’atmosphère polluée par les poussières de la lune, accentuant ainsi l’aspect sombre de l’histoire. On a très, très froid, dans ce livre.
La découverte de l’emplacement des données cartographiques va entraîner une course contre-la-montre entre ces deux embryons de puissance vers les ruines habitées de Paris, car celui qui possédera ces données aura un atout formidable pour l’emporter sur l’autre camp. L’auteur nous entraîne dans une aventure ayant un rythme de plus en plus soutenu et prenant.
FeyGirl
↑Grish-Mère, d’Isabelle Bauthian
Je suis tombée sur ce livre par hasard, grâce au site Elbakin.net (référence française internet en ce qui concerne la littérature fantasy) qui a eu le bon goût d’accorder à Grish-Mère le prix du « Meilleur roman fantasy français 2018 ». Curieuse, je me suis lancée, et j’ai eu un vrai coup de cœur pour ce roman.L’autrice nous plonge dans le monde de Civilisation (c’est d’ailleurs le second tome d’une série de l’autrice consacrée à ce monde… mais je n’avais pas lu le premier tome et je ne me suis pas sentie perdue, les histoires sont indépendantes, vous pouvez y aller sans crainte 😉 ). Plus précisément, l’histoire amène Sylve, un factotum – un genre de soldat-majordome d’élite – bourré de principes et de préjugés, dans la ville de Grish-mère, régie par une société matriarcale et féministe. Notre héros recherche le malandrin qui a volé un objet qu’il était chargé de protéger, et se retrouve confronté à une guilde mystérieuse dans cette société très éloignée de son univers. Le récit est entrecoupé de flash-backs nous dépeignant son éducation de factotum.
L’écriture du roman est fine, et voir ce héros perdre au fil des pages ses préjugés pour apprendre à devenir lui-même est passionnant. J’ai vraiment été prise dans l’histoire, et ait été conquise par l’intelligence de l’auteur, qui ne matraque pas son lecteur de messages mais laisse plein de clefs pour appréhender ce monde de Civilisation par soi-même. Le rythme de l’histoire, où l’on assiste au monologue intérieur du héros, peut parfois déconcerter, mais j’ai beaucoup aimé la façon qu’a eue l’autrice de glisser dans un univers de fantasy une réflexion très moderne et actuelle. Une vraie réussite à mes yeux !
Nymphadora
↑Panorama illustré de la Fantasy et du Merveilleux
Trichons un peu, mais c’est pour la bonne cause, et parlons non pas d’un roman d’imaginaire, mais d’un ouvrage sur les romans de l’imaginaire. Le Panorama illustré de la Fantasy et du Merveilleux, c’est le livre parfait pour qui cherche à combler ses lacunes en matière de culture de l’imaginaire, et à replacer dans un contexte littéraire et historique la Fantasy en tant que genre littéraire. Auteurs (beaucoup) et thématiques (un peu) s’y côtoient dans une « table des merveilles » très complète. Les grands anciens que sont Shakespeare, Charles Perrault, Victor Hugo, Lewis Caroll ou le philosophe Gaston Bachelard y côtoient les dieux plus modernes de la Fantasy que sont Tolkien, Howard, Ursula Le Guin, George R. R. Martin ou Terry Pratchett. Des auteurs normalement revendiqués par la littérature blanche (Julien Gracq, Haruki Murakami, Dino Buzzati) s’invitent à leur côtés. Des entrées thématiques très bienvenues (Antiquité, Matières de Bretagne, Fantasy animalière, Réalisme Magique…) viennent éclaircir des thématiques transversales et tournants littéraires. A chaque entrée est consacrée une poignée de pages souvent bien écrites et agréables à lire, de quoi bien développer les idées principales sans pour autant trop rentrer dans des détails de spécialistes.
Ce Panorama illustré de la Fantasy et du Merveilleux est patrimonial plus que document d’actualité, et s’intéresse aux phénomènes qui ont résisté au temps. Si certains auteurs sont encore vivants, n’y cherchez pas des entrées aux noms d’auteurs français contemporains. Ceux-ci sont pourtant bien présents… Mais ce sont eux qui tiennent la plume. L’ouvrage, dirigé et largement écrit par André-François Ruaud, directeur de la maison d’édition Les Moutons électriques, comporte des sections entières écrites par Jean-Philippe Jaworski, Sara Doke, Xavier Mauméjean, Catherine Dufour, Fabien Clavel, Ugo Bellagamba ou Patrick Marcel.
Enfin, comme son nom l’indique, le Panorama est illustré, et les illustrations sont elles aussi choisies avec goût non seulement pour leur intérêt esthétique, mais aussi pour leur valeur historique, pour la façon dont elles illustrent l’apport de tel auteur ou de tel mouvement aux littératures de l’imaginaire.
Au final, ce Panorama est un excellent livre à picorer avec plaisir dans le plus grand désordre. En fonction des goûts et envies du lecteur, il peut servir de base académique, de réservoir d’idées de lectures, ou de livre qui en soi recèle son propre plaisir de lecture: celui de redécouvrir une histoire, celle de la Fantasy, en replaçant dans leur contexte des pièces du grand puzzle qui a mené à produire cet imaginaire contemporain.
DNDM
↑Sénéchal, de Grégory Da Rosa
« Sénéchal, la ville est assiégée ! » C’est par ces mots que commence la trilogie de livres Sénéchal écrite par le jeune auteur Grégory Da Rosa. Plongée directement dans l’action, cette dernière ne cesse jamais. Le style de l’auteur est très appréciable. Il est fluide, clair, a d’excellentes réparties et bon mots, même si par moment la sur-abondance de termes issus de l’époque médiévale (mais explicités par des *) est un peu fatigante. Cela fait partie des quelques erreurs que je me permettrais de relever de la part de l’auteur, mais qui sont vraiment négligeables par rapport à la grande qualité du récit qui nous est conté. L’intrigue se déroulant sur une unité de lieu (la ville assiégée) et de temps (le récit va se dérouler au jour le jour. Et ce premier tome s’achève à la moitié du Jour 3) on s’attache facilement au différents personnages. En particulier le Sénéchal, étrange mélange entre Ned Stark et Littlefinger, qui doit se débattre à chaque instant face au nid de vipère qu’est devenu la cité… L’ambiance médiévalisante est très prégnante. Outre le vocabulaire usité, les titres des chapitres font référence à la liturgie des heures chrétiennes (Tierce, Sexte, None, etc.) par exemple. De plus, il y a en filigrane dans l’œuvre une sorte d’ambiance « Martinesque » qui rehausse encore plus la sauce!
J’ai beaucoup aimé ce premier tome qui ne perd pas de temps à présenter son intrigue et ses personnages. L’univers dépeint est aussi très particulier (surtout en ce qui concerne la religion et la magie) mais toujours empreint d’un certain réalisme. Les combats sont violents et les mots tuent parfois aussi sûrement que les épées dans cette ville assiégée. L’action est soutenue, et je me suis surpris à retenir plus d’une fois mon souffle pendant certains événements. De fait j’étais heureux d’avoir le tome suivant à portée de mains après avoir fini ce premier tome !
Geoffray
↑Diseur de Mots (La Lyre et le glaive 1/2), de Christian Léourier
« Lorsque Kelt se voit refuser le passage d’un pont parce qu’il ne peut s’acquitter du péage, il prédit l’effondrement de la construction. Ainsi sont les diseurs de mots, ils ont de drôle de pouvoirs, jamais ils ne mentent et, dit-on, leurs vérités ensorcellent. »
Je ne citerai pas plus le (long) résumé du quatrième de couverture, car à mon goût il spoile trop la suite de l’intrigue, et pourtant, je ne l’ai lu qu’après lecture de l’entièreté du roman. Diseur de mots est donc un diptyque proposé par Christian Léourier, à qui l’on doit entre autres, le Cycle de Lanmeur. N’ayant pas eu l’occasion de découvrir ce dernier ou même d’autres textes de l’auteur, c’est bien ce joli pavé paru chez Critic au printemps qui constitue ma porte d’entrée dans la prose poétique de l’auteur.
Et de printemps il en est question dans l’intrigue, avec la fonte des neiges dans les montagnes qui engendrent bien des catastrophes, à moins qu’elles ne soient dues qu’à Kelt, le Diseur de mots. Toujours est-il que c’est typiquement le genre de situation qui m’attire en fantasy ou en récits médiévaux : un gars se pointe, ne peut pas payer, lance une malédiction et tout part à vau-l’eau ! Si l’on y ajoute l’ambiance montagnarde aux accents sibériens, un peuple de forgerons nomades, un duel judiciaire qui n’est pas sans évoquer ce cher Bronn, des querelles intestines dans le bastion du pouvoir et des guerres de territoire, cela donne le cocktail détonnant de Léourier. Les personnages y sont attachants, la langue magnifique et cela vous donnera furieusement envie de vous jeter sur le second tome au titre éponyme de Danseuse de corde qui reste malheureusement à paraître. Bref, un beau roman pour passer l’automne ou entamer le printemps !
Crys
↑Conclusion
Nous espérons que notre sélection vous aura plu. Si vous êtes en panne de lecture malgré tous ces titres du mois, n’hésitez pas à consulter l’annuaire de toutes les recommandations publiées sur le blog de la Garde de Nuit.