C’est une tradition assez courante chez les fans du Trône de Fer (A Song of Ice and Fire) d’imaginer et de théoriser sur des Targaryen cachés. Certaines sont sérieuses et bien connues comme la célèbre théorie sur la parenté de Jon Snow, d’autres sont plus loufoques comme la théorie/poisson d’avril sur Catelyn, The Princess of Dragonfish qu’on vous proposait récemment. ^^
Entre ces deux extrêmes, il est une très ancienne théorie, amplement et âprement commentée, qui a toujours divisé la communauté de fans : Tyrion est-il le fils de Tywin Lannister, ou bien est-il un bâtard conçu par le roi Aerys II Targaryen ?
Ca y est, le pot de feu grégeois est lancé.
Certains trouvent la théorie « Tyrion Targaryen » absurde, impossible, voire carrément racoleuse. D’autres au contraire la perçoivent comme probable, séduisante et élégante. Bref, elle laisse peu de monde indifférent, et avant même d’en avoir énoncé les principaux arguments ou contre-arguments, nous avons tous un biais avant de l’aborder … Parler de cette théorie s’avère généralement compliqué à cause de notre affect de lecteur / spectateur et de nos perceptions ou de nos sentiments pour les personnages.
Tout comme nous l’avions fait pour la Grande Conspiration Nordienne, nous allons essayer dans cet article d’adopter un point de vue neutre, afin d’expliquer d’où vient cette théorie, ce qui la rend crédible ou pas, ce qui la contredit ou pas … et vous permettre de vous faire votre propre avis sur la question.
↑La naissance d’une théorie
La théorie de « Tyrion Targaryen » apparaît très tôt dans les sphères de fans. Chez les francophones, dès juin 2006 (soit un an après la création du forum et quelques mois après la publication de l’intégrale 4), un sujet apparaît sur notre ancien forum. Cette théorie est donc presque aussi ancienne que la théorie sur la parenté de Jon Snow. Elle s’est d’ailleurs suffisamment répandue pour être reprise par les sites d’actualité, notamment à l’occasion de la diffusion de la saison 8, où certains s’attendaient à une confirmation (la série a finalement décidé de ne pas aborder la question). Toutefois, contrairement à la théorie sur la parenté de Jon qui a toujours joui d’un large consensus et semble désormais acquise pour la plupart d’entre nous, la théorie « Tyrion Targaryen » a toujours été débattue et contestée par le lectorat.
Alors, comment expliquer que les fans se soient penchés si tôt sur cette question et aient remis en cause un fait qui semblait aussi clairement établi que la paternité de Tywin sur Tyrion ? Déjà, parce que toute paternité est impossible à établir avec certitude dans l’univers d’ASOIAF. Comme le dit George R.R. Martin, « sans test sanguin ou ADN, on ne peut établir de paternité parfaitement fiable » (Source).
Partant du postulat que toute paternité peut-être contestée et remise en cause dans ASOIAF, les réflexions plaidant pour une paternité d’Aerys et non de Tywin se sont organisées autour de quatre axes de persuasion :
- la relation complexe Tyrion-Tywin, et sa perception par les personnages ;
- le physique de Tyrion, son nanisme et sa naissance ;
- l’attirance de Tyrion pour les dragons ;
- la relation étrange entre Tywin, Aerys et Joanna.
Tour à tour, nous allons explorer les arguments et contre-arguments qui ont été émis dans chacun de ces grands axes, avant d’explorer les implications, essentiellement littéraires, qu’entraînent ces deux hypothèses : Tyrion Lion ou Tyrion Dragon.
↑Doutes, convictions et problèmes relationnels
Dès son apparition, Tyrion instille au cours de son dialogue avec Jon Snow un doute sur la paternité de Tywin :
« Comme si vous saviez ce qu’est la bâtardise !
— Aux yeux de leur père, les nains sont toujours bâtards.
— Mais vous êtes par votre mère un Lannister légitime…
— Ça…, riposta Tyrion d’un air sardonique, va en persuader le seigneur mon père. Comme ma mère est morte en me donnant le jour, il n’a jamais pu obtenir de confirmation.
Ce doute est repris par Tywin lui-même :
Les lois des hommes t’accordent le droit d’arborer mes couleurs et de porter mon nom, puisque je ne puis prouver que tu n’es pas de moi.
On pourra encore citer les derniers mots de Tywin, rejetant farouchement l’idée que Tyrion soit de lui :
« Tu m’as tiré dessus…, fit lord Tywin d’un air incrédule, l’œil vitreux de stupéfaction. […] Tu… tu n’es pas… pas mon fils…
Toutefois, ce dernier point mérite d’être nuancé : Tywin ne cesse d’affirmer ou de désavouer sa paternité. C’est un moyen de pression psychologique dont Tyrion n’est pas vraiment dupe et dont Tywin use sur ses trois enfants à tout bout de champ (et qui explique en partie leurs névroses respectives). Il en abuse tellement qu’il en vient même parfois jusqu’à se contredire au sein d’un même chapitre.
« Pourquoi moi ? […] Pourquoi pas quelqu’un de plus… grand ? »
Lord Tywin se leva sèchement. « Tu es mon fils. »
Ce fut une illumination. Ah… ! songea Tyrion, tu le considères comme foutu. Espèce de salopard. Maintenant que Jaime est à tes yeux autant dire mort, tu n’as plus que moi…
Je suis reine des Sept Couronnes, pas une jument de reproduction ! La reine Régente !
– Tu es ma fille, et tu m’obéiras. »
— Tu es mon fils, et…
— Je suis chevalier de la Garde. Le lord Commandant de la Garde ! Et voilà tout ce que j’entends être ! »
Les reflets du feu doraient vaguement les rudes favoris dont lord Tywin s’encadrait le visage. Une veine lui battait au col, mais il se taisait. Et se tut. Et se tut.
Ce silence angoissant se prolongea jusqu’au moment où, n’y tenant plus, Jaime commença : « Père…
— Vous n’êtes pas mon fils », l’interrompit lord Tywin.
Toutefois, ce doute est contrebalancé par d’autres déclarations. Ainsi, lorsque Tyrion est emprisonné après le meurtre de Joffrey, Kevan vient le voir et semble dire à Tyrion que Tywin a prévu de lui épargner la peine de mort en raison de leur lien familial :
— Vous êtes le fils de mon frère.
— C’est à lui que vous pourriez rafraîchir la mémoire sur ce point.
— Pensez-vous qu’il vous permettrait de prendre le noir si vous n’étiez son propre sang et celui de Joanna ?
Quant à la propre sœur de Tywin, elle est allée jusqu’à se fâcher avec son frère, lorsqu’elle a affirmé que Tyrion était le fils qui lui ressemblait le plus :
J’étais la précieuse princesse de mon père, et celle de Tywin aussi, jusqu’au jour où je l’ai désappointé. Mon frère n’a jamais appris à savourer le goût du désappointement. […] Jaime, dit-elle en lui tirant l’oreille, mon petit chéri, je te connais depuis que Joanna te donnait le sein. […] Mais c’est Tyrion qui est le fils tout craché de Tywin, pas toi. Je l’ai carrément dit à ton père, un jour, et il a passé six mois sans daigner m’adresser la parole après cela.
Quant à Tyrion ? Lui-même se croit fermement le fils de Tywin et l’affirme à plusieurs reprises :
– Tu… tu n’es pas… pas mon fils…
– Voilà en quoi vous vous trompez, Père. Je crois bien, moi, que je suis votre miniature. Maintenant, accordez-moi une faveur, crevez rondement.
Un Lannister n’est point un lion. Je reste néanmoins le fils de mon père, et c’est à moi de tuer Jaime et Cersei.
Mais sachez que je suis né Tyrion de la maison Lannister, fils légitime de Tywin et Joanna, que j’ai tous deux tués. D’aucuns vous diront que je suis un tueur de roi, un tueur des miens, et un menteur, et tout cela est vrai…
Au-delà des déclarations et des doutes, certains lecteurs ont interprété la haine que porte Tywin à Tyrion comme une conséquence du fait qu’il ne soit pas son père : que Tywin ait un doute inconscient ou conscient à ce sujet ou qu’il sache ce qui s’est passé entre Aerys et sa femme mais sans pouvoir le prouver, la haine qu’il manifeste à son fils serait une conséquence de la paternité d’Aerys sur Tyrion.
Si on creuse plus profondément la relation Tywin/Tyrion, il faudrait écrire un autre article qui dépasserait largement le cadre de celui-ci : Tywin et Tyrion ne s’aiment pas, c’est un fait. La froideur et la sévérité de Tywin, qui peut se muer en cruauté lorsqu’on ne lui obéit pas, nourrissent la peur et la haine de Tyrion à son égard. L’insolence, les goûts et les choix de Tyrion (notamment le fait de s’afficher publiquement avec des prostituées ou de plaisanter à tout bout de champ) exaspèrent Tywin, qui le tient en piètre estime, ne percevant pas l’intelligence sous-jacente de son fils. Tywin ne supporte ni d’être désappointé, ni d’être moqué ; la naissance d’un nain de ses œuvres ne pouvait que lui être odieuse, étant source tant de désappointement que de moqueries pour toute la maison Lannister, alors que Tywin est très attaché à la position sociale et au prestige de sa famille. Et bien sûr, il y a les contentieux qu’ils entretiennent l’un contre l’autre : Tywin reproche à Tyrion la mort de Joanna, Tyrion reproche à Tywin la « leçon » qu’il lui a donné avec sa première épouse, Tysha. Tywin porte lui-aussi des névroses héritées de l’enfance et de son propre père, qui lui font rejeter Tyrion et tout faire pour que celui-ci n’hérite pas de Castral Roc, qu’il a toujours destiné à Jaime, même après son entrée dans la Garde Royale.
Pour autant, si on va plus loin, on se rendra compte qu’en dehors des sentiments et des paroles, Tywin n’a jamais cessé d’agir avec Tyrion comme il le fait avec tous les membres de sa famille : il ne lui accorde que très peu d’attention surtout dans l’enfance mais contribue à ses besoins de loin et lui fournit tout l’or qu’il réclame ; il assure son éducation en lui fournissant maître d’armes et mestre ; il le laisse porter ses couleurs et lui fournit des gens pour qu’il soit digne de son rang ; il le défend quant une autre famille s’attaque à lui ; il se sert (énormément) de lui pour assurer les intérêts politiques de leur maison sans tenir compte de ses sentiments ou de ses états d’âme. Et surtout, Tywin ne cesse de chercher un parti convenable à marier à un Lannister, faisant apparemment fi du nanisme de son fils, ce que les autres maisons interprètent à chaque fois comme une proposition offensante avant de le rebuter : il adresse notamment une proposition aux Martell, aux Royce, aux Hightower, aux Florent, aux Tully, pour finalement imposer Tyrion à l’héritière du Nord, Sansa Stark. Certes, Tywin se montre autoritariste et cruel quand Tyrion refuse de lui obéir ou lui déplaît … Mais les autres membres de sa famille (Jaime, Cersei, Genna) subissent également des avanies quand ils se rebiffent ou déplaisent au patriarche (sans parler de ceux qui n’appartiennent pas à sa famille, les Reyne, les Tarbeck, les Targaryen, qui subissent pire encore). Si Tyrion est au sein de sa famille celui qui subit le plus la malveillance de Tywin, c’est aussi parce qu’il est celui qui s’est montré le plus indiscipliné et celui qui a le plus jeté d’opprobre sur la maison Lannister (du moins jusqu’à ce que soit révélé l’inceste de Cersei et Jaime).
Contrairement à Tyrion qui a un besoin maladif de reconnaissance et d’amour, Tywin affirme ne pas chercher à se faire aimer. Le fossé qui s’est creusé entre eux mène à beaucoup d’incompréhension et de méfiance … et le point de vue de Tyrion sur son père, seul des deux points de vue auquel le lecteur a accès, est fatalement déformant : Tyrion pense qu’une haine viscérale anime son père à son encontre, mais la réalité est plus complexe et nuancée. Cette relation compliquée ne peut pas être imputée qu’à la paternité douteuse de Tywin, elle peut aussi parfaitement s’expliquer sans ça.
↑Le physique composite de Tyrion
L’argument du physique de Tyrion est souvent évoqué pour justifier la théorie d’un « Tyrion Targaryen ». Il est vrai que GRRM fait passer beaucoup d’indices par le physique de ses personnages pour faire deviner leur ascendance cachée (Joffrey-Myrcella-Tommen Baratheon, Jacaerys-Lucerys-Joffrey Velaryon), mais il existe des exceptions comme Jon Snow. Quand on scrute attentivement le physique de Tyrion, il y a des éléments qui interpellent.
C’est sur ce seulement qu’à demi dissimulé par le premier lui apparut le dandinement du second, Tyrion. Le Lutin. Hideux benjamin de cette brillante couvée. Autant les dieux s’étaient montrés prodigues envers ses aînés, autant ils l’avaient, lui, mis à la portion congrue. Nabot, il n’arrivait pas à la ceinture de ser Jaime et, pour conserver l’allure, devait désespérément tricoter de ses jambes torses. Outre un crâne démesuré, il avait un faciès écrabouillé de brute qu’empirait la saillie monstrueuse du front. En dégoulinait une tignasse raide, filasse au point de paraître blanche, et entre les mèches de laquelle vous scrutaient si méchamment des yeux dépareillés, l’un vert et l’autre noir, que Jon demeura médusé.
Quelques éléments du physique décrit sont particulièrement notables. Ses cheveux sont raides et filasse au point de paraître blancs. Cette description rappelle moins la blondeur d’or jaune des Lannister, que les cheveux d’or et d’argent des Targaryen : plusieurs membres des familles Targaryen et Velaryon ont des cheveux blancs ou d’argent-blanc, comme Laenor Velaryon (cheveux d’argent-blanc), Aegon III Targaryen (« des cheveux d’argent si pâles qu’ils étaient presque blancs ») ou le bâtard Ulf le Licheur, surnommé Ulf le Blanc à cause de ses cheveux. On retrouve également ce genre de description chez des Lysiens, qui cultivent l’héritage de Valyria : ainsi, Moredo Rogare a également des « cheveux blanc-blond » .
De là à dire qu’il s’agisse d’une caractéristique purement valyrienne … Ce serait exagéré : dans le même chapitre où on nous présente Tyrion, on a la description des cheveux des autres Lannister, et les cheveux de Tommen sont décrits comme « platines » dans la vf (white-blond hair en vo, tout comme ceux de Moredo Rogare). Il semble donc parfaitement possible que ce genre de couleur apparaisse chez les descendants des Lannister.
Les yeux de Tyrion ont également beaucoup fait parler. Ils sont vairons : l’un vert, l’autre noir. Dans tout le corpus connu à l’heure actuelle, il n’y a que deux autres personnages qui ont les yeux vairons : Alyssa Targaryen, fille de Jaehaerys le Conciliateur (un violet, l’autre d’un vert étonnant) et Shaïra Astre des Mers, fille bâtarde d’Aegon IV Targaryen (l’un bleu sombre, l’autre d’un vert brillant). Pour le coup, c’est une caractéristique typiquement targaryenne, qui ne peut être retrouvée pour le moment chez aucune autre famille. On remarquera au passage cette récurrence de l’œil vert chez ces trois personnages.
Pour ce qui est de la couleur des yeux de Tyrion spécifiquement, la dualité vert-noir fait penser qu’il pourrait s’agir d’une évocation de ses deux maisons d’origines : par sa mère Joanna Lannister, il a un œil vert (les Lannister ont tous les yeux verts), le noir de l’autre œil étant censé évoquer son père. Les Targaryen n’ont pas les yeux noirs, mais leur blason est un dragon rouge sur fond noir. Cette explication peut paraître faible, mais il est à noter qu’à côté de cette explication, on retrouve cette dualité vert-noir dans un événement bien connu de l’histoire de la maison Targaryen : la guerre de succession appelée Danse des Dragons, où les « Noirs » de Rhaenyra Targaryen ont affronté les « Verts » d’Aegon II Targaryen. Une « coïncidence » troublante, dirons-nous.
Malgré tout, on peut avoir le sentiment que le physique de Tyrion est encore trop Lannister, et pas assez Targaryen … mais quand bien même, ça n’invalide en rien la théorie : la mère de Tyrion, Joanna, est une cousine de Tywin, une Lannister avec toutes les caractéristiques physiques des Lannister : les cheveux blonds, les yeux verts. Tyrion peut donc parfaitement être le fils d’un Targaryen et avoir hérité des caractéristiques physiques Lannister de sa mère (Tout comme un certain Jon Snow a pu hériter des caractéristiques physique des Stark par sa propre mère. 😉 ).
Un autre point qui mérite d’être étudié, c’est le nanisme de Tyrion : au sein de la généalogie Lannister, on ne retrouve aucun autre cas de nanisme. Les Lannister ont au contraire une réputation de grande beauté. Ils sont généralement athlétiques et élancés, à l’inverse de tout ce qu’est Tyrion. D’où lui vient alors son nanisme ? Peut-être du mariage consanguin entre Jonna et Tywin, qui sont cousins germains ? Ce serait une explication peu probable d’un point de vue strictement scientifique, mais rappelons que George R.R. Martin n’est pas un spécialiste de la génétique.
A l’inverse des Lannister, certains Targaryen souffrent de handicaps physiques de naissance : on a ainsi le cas des jumeaux Jaehaerys et Jaehaera.
Cependant, tout n’allait pas au mieux chez ces nouveaux jumeaux. Jaehaera était minuscule et sa croissance était lente. Elle ne pleurait pas, ne souriait pas, ne faisait rien de ce qu’un bébé était censé faire. Son frère, s’il était plus grand et plus robuste, ne présentait pas la perfection qu’on attendait d’un petit prince Targaryen, arborant six doigts à sa main gauche, et six orteils à chaque pied.
Feu et Sang, Les héritiers du Dragon – Une affaire de succession.
On a également le cas du bâtard Brynden Rivers, dit « Freuxsanglant » qui est né albinos (ce n’est toutefois pas le seul albinos qu’on connaisse). On peut aussi évoquer les cas des nombreux enfants morts-nés et monstrueux au sein de la famille Targaryen. A ce propos, il est intéressant de comparer la description physique de ces enfants avec la description que le peuple fait de Tyrion à sa naissance :
Quand le roi Maegor vint examiner l’avorton, il fut horrifié de trouver que le garçon était un monstre aux membres tordus, à la tête énorme, dénué d’yeux. « Ce ne peut pas être mon fils ! » rugit-il avec douleur*.
[…]
Trois lunes avant la date prévue, la reine Jeyne dut s’aliter à cause du commencement soudain des douleurs de l’enfantement et elle accoucha d’un enfant mort-né aussi monstrueux que celui auquel Alys Herpivoie avait donné le jour, une créature sans bras ni jambes, dotée d’organes génitaux masculins et féminins.
[…]
La lune fit un cycle, puis un autre, et, dans le noir de la nuit, la reine Elinor accoucha elle aussi d’un enfant malformé et mort-né, un garçon dénué d’yeux, avec des ailes rudimentaires.Feu et Sang, Les fils du Dragon.
* : Petit déni de paternité en passant, qui rappelle celui de Tywin. Le parallèle est d’autant plus fort que Maegor « rugit » (roared en vo.) ce qui n’est pas sans rappeler la devise des Lannister « entendez moi rugir » ( « hear me roar » en vo.) Quelques paragraphes plus loin, on apprend que l’épouse de Maegor l’aurait effectivement trompé, mais cette histoire-là reste sujette à caution.
Lorsque l’enfant parut enfin, elle se révéla véritablement être un monstre : une fille mort-née, tordue, déformée, avec un trou dans la poitrine à l’endroit où aurait dû se trouver son cœur, et une queue embryonnaire, écailleuse. C’est du moins ainsi que Champignon la décrit.
Feu et Sang, La Mort des Dragons – Les Noirs et les Verts.
« Monstrueux », acheva Mirri Maz Duur à sa place. […] « Contrefait. C’est moi qui l’ai mis au monde. Couvert d’écailles comme un lézard, aveugle, avec un tronçon de queue et de petites ailes de cuir analogues à celles d’une chauve-souris. Quand je l’ai touché, sa chair s’est détachée de l’os, et il grouillait d’asticots de tombe, il empestait la putréfaction. Il était mort depuis des années. »
Et pour ce qui est des rumeurs concernant l’aspect de Tyrion à sa naissance :
on vous en prêtait [une queue] superbe, raide et vrillée, comme un goret. Vous aviez une tête, ouïmes-nous, monstrueusement disproportionnée, moitié plus copieuse que la carcasse, et vous étiez venu au monde équipé d’une toison noire, sans parler d’une barbe, d’un œil diabolique et de griffes léonines. Vous possédiez des crocs d’une telle longueur qu’il vous était impossible de fermer la bouche et, entre les jambes, un bijou de fille en plus des bijoux de garçon.
L’embryon de queue et les parties génitales mâle et femelle sont aussi des caractéristiques que l’on retrouve chez les bébés morts-nés des Targaryen, d’après les rumeurs. La tête plus grosse que le reste du corps est aussi une caractéristique qu’on retrouve parfois chez ces enfants. De même, les caractéristiques animales qu’on prête aux uns et aux autres ne sont pas sans rappeler celles des animaux de leur blason : des écailles et des ailes membraneuses de chauve-souris pour les bébés targaryens, une crinière et des crocs léonin pour Tyrion. Faut-il y voir plus que la manifestation de rumeurs superstitieuses et ignorantes ? Les rumeurs sont rarement fiables dans l’univers du Trône de Fer, mais le parallèle est troublant.
Il faut aussi noter qu’Aerys II et sa sœur-épouse Rhaella ont eu du mal à avoir des enfants au cours de leur vie maritale, comme plusieurs de leurs ancêtres. Si aucun de ces enfants n’a jamais été monstrueux à notre connaissance, beaucoup sont morts-nés. Le nanisme de Tyrion pourrait donc trouver son explication dans les problèmes de fertilité d’Aerys (même s’il accusait pour sa part Rhaella d’être responsable, parce que c’est tellement plus simple comme ça).
↑Le lien entre Tyrion et les dragons
Évidemment, le lien le plus évident entre Tyrion et les Targaryen, ce sont les dragons. Dès son deuxième chapitre, Tyrion commence à les évoquer et à parler de sa « fascination quasiment morbide » pour eux. Il se plonge dans des lectures érudites sur les dragons, retrouve les crânes des anciens dragons dans les caves du Donjon Rouge et les trouve sublimes, passant des heures à les contempler. Il évoque même avoir « rêvé » d’en posséder un :
Quand j’avais ton âge, je rêvais d’en avoir un à moi. […] Si laid, chétif, contrefait soit-il, un gamin peut toiser le monde, du haut d’un dragon. » Il se dépêtra de sa pelisse pour se lever. « J’allumais du feu dans les entrailles de Castral Roc, et je passais des heures à fixer les flammes en les imputant à mes chers dragons. Parfois, j’imaginais qu’elles brûlaient mon père. Parfois ma sœur. […] La plupart des hommes aiment mieux nier les vérités dures que les affronter.
— La plupart. Pas vous.
— Non, pas moi. Il ne m’arrive même presque plus de rêver de dragons. Les dragons n’existent pas.
Et effectivement, par la suite, Tyrion parle assez peu de son amour pour les dragons et ne fait aucun rêve qui en implique un. Ce ne sera qu’après la mort de Tywin que Tyrion approfondira son lien avec les dragons : arrivé chez Illyrio Mopatis, celui-ci lui annonce que les Sept Couronnes seront prochainement sauvé par « un dragon à trois têtes ». Devenu partisan des Targaryen par défaut, Tyrion se met à écrire pour leur compte tout ce qu’il a accumulé de savoirs sur les dragons et il se remet à évoquer ses rêves de dragon d’autrefois :
Lorsqu’il était encore un enfant solitaire dans le tréfonds de Castral Roc, il avait maintes fois chevauché des dragons au fil des nuits, se prenant pour un jeune prince targaryen perdu, ou un seigneur des dragons valyrien planant haut au-dessus des prairies et des montagnes. Un jour que ses oncles lui avaient demandé quel cadeau il voulait pour son anniversaire, il les supplia de lui offrir un dragon. « Point besoin qu’il soit grand. Il pourrait être tout petit, comme moi. » Son oncle Gerion estima qu’il n’avait jamais rien entendu de plus drôle, mais son oncle Tygett lui expliqua : « Le dernier dragon est mort il y a un siècle, mon garçon. » L’injustice lui avait paru si monstrueuse que le garçonnet s’était endormi en pleurant, cette nuit-là.
Après avoir souhaité rêver de dragon, Tyrion rêve de Daenerys, à qui il prête allégeance, mais celle-ci, le confondant avec Jaime, le fait manger par ses dragons. Quelques jours plus tard, il fait un autre rêve, encore plus étrange où l’on retrouve des dragons :
Cette nuit-là, Tyrion Lannister rêva d’une bataille qui teignait les collines de Westeros d’un rouge de sang. Il se trouvait en plein milieu, octroyant la mort avec une hache aussi grande que lui, combattant aux côtés de Barristan le Hardi et d’Aigracier tandis que tournoyaient des dragons au-dessus d’eux dans les cieux. Dans le rêve, il avait deux têtes, toutes deux dépourvues de nez. Son père menait l’ennemi, aussi le tua-t-il une fois de plus. Puis il tua son frère Jaime, le frappant au visage jusqu’à ce que n’en reste que ruines sanglantes, riant à chaque coup qu’il portait. Ce ne fut qu’une fois le combat terminé qu’il s’aperçut que sa seconde tête pleurait.
Plus tard, sur le Salesori Qhoran, Moqorro a une vision de Tyrion au milieu des dragons :
Des dragons, des dragons, anciens et nouveaux, vrais et faux, lumineux et ténébreux. Et toi. Un petit homme avec une grande ombre, montrant les dents au milieu de tout cela.
Si Tyrion lui-même fait peu cas de cette supposée vision, certains caractéristiques des dragons évoqués par Moqorro laissent songeurs.
Ces éléments sont-ils suffisants pour raccrocher Tyrion aux Targaryen ? Quant à sa fascination pour les dragons et son savoir accumulé, il n’est pas le seul dans ce cas : les dragons sont des animaux fantastiques qui ont profondément marqué l’imaginaire collectif de Westeros et d’Essos. Nombre de chroniqueurs, d’érudits ou de mestres leur ont consacré leurs écrits, sans avoir un lien particulier avec les Targaryen. Quant aux rêves, il n’y a sûrement pas que les Targaryen ou leurs descendants éloignés qui rêvent de dragons. On peut supposer qu’il y a eu de nombreux autres enfants, en particulier issus de familles les rejetant, qui auraient aimé être des « princes targaryen perdus ». Par ailleurs, s’il lui arrive de côtoyer des dragons dans ses rêves ou dans les visions des autres personnages, Tyrion n’est jamais représenté lui-même comme un dragon, contrairement à d’autres personnages, comme notamment Daenerys. Et lorsqu’il semble apparaître dans la prophétie faite par Quaithe à Daenerys dans l’intégrale 5, c’est bien sous la forme d’un lion. Comme toujours, il est difficile de se fier aux rêves et aux prophéties dans cette saga.
↑Le mystère Joanna Lannister
Impossible d’aborder cette théorie sans en revenir au personnage central : Joanna Lannister. Elle-seule sait (peut-être ?) ce qu’il en est vraiment. Les éléments et indices à son sujet sont disséminés dans l’ensemble du corpus. Si on en croit Kevan Lannister, Tywin avait perçu en Joanna une épouse fiable :
Tout homme a besoin de quelqu’un en qui se fier. Tywin décela ce quelqu’un en moi, comme il avait fait jadis en ta mère.
D’autres rumeurs prétendent que Tywin était profondément épris de son épouse (ce qui semble confirmer par les reproches qu’il adresse à Tyrion pour sa mort) et même, qu’elle le régentait :
Il ne parlait guère de sa femme, mais Tyrion avait entendu ses oncles évoquer l’affection qui les unissait. A cette époque-là, Père était la Main d’Aerys, et bien des gens disaient que, si c’était lord Tywin qui gouvernait le royaume, c’était lady Joanna qui gouvernait lord Tywin. « Il n’a plus été le même homme après son veuvage, Lutin, lui avait un jour confié Oncle Géry. Ce qu’il avait de meilleur est mort avec elle.»
Madame votre mère avait l’intention de fiancer Jaime à ma sœur, ou Cersei à moi. Voire les deux.
— Voire, dit Tyrion, mais mon père…
— … gouvernait les Sept Couronnes mais était gouverné chez lui par dame sa femme. Ma mère, en tout cas, le disait toujours. »
Reprenons la chronologie des faits, tels qu’ils sont exposés dans Les origines de la saga et voyons un peu ce que George R.R. Martin dit de la relation triapartite d’Aerys, de Tywin et de Joanna :
Lady Joanna Lannister, cousine et grand amour de Tywin Lannister arrive à Port-Réal en 259, pour le couronnement du roi Jaehaerys II. Elle devient dame de compagnie de la princesse Rhaella Targaryen, sœur-épouse du prince héritier Aerys Targaryen. Celui-ci devient roi à peine trois ans plus tard, en 262, et nomme son ami Tywin Lannister Main du Roi.
Une rumeur apparaît à cette époque. Mestre Yandel la rapporte en la balayant d’office : Joanna Lannister aurait cédé sa virginité au prince Aerys au soir du couronnement de son père Jaehaerys II, et elle serait devenue brièvement son amante une fois Aerys sur le trône … Yandel juge que c’est impensable et que Tywin n’aurait pas épousé sa cousine si la rumeur était avérée, car selon les rapports du Grand Mestre Pycelle à la Citadelle :
[Tywin] a toujours été fier, et n’a point coutume de banqueter des restes d’autrui.
TWOIAF, Le règne des Dragons : Aerys II.
On peut s’arrêter sur ce détail quelques instants. Pycelle n’est pas un observateur objectif : il est le témoin privilégié du règne d’Aerys II dans le récit de Yandel, où il dresse un portrait obséquieusement flatteur de Tywin Lannister, qu’il idolâtre par ailleurs.
« Les dieux ont créé et façonné cet homme pour régner », écrivit de Tywin Lannister le Grand Mestre Pycelle à la Citadelle après avoir servi deux ans avec lui au conseil restreint.
[…]
« Lord Tywin est une présence aussi impressionnante que Castral Roc, écrivit le Grand Mestre Pycelle, et aucun roi n’eut jamais Main plus capable ni plus diligente. »TWOIAF, Le règne des Dragons : Aerys II.
Le lecteur avisé sait que Pycelle, dès le règne d’Aerys II, est favorable aux Lannister. Mais Pycelle ne connaît pas Tywin aussi bien que le lecteur de l’intégrale 3, ou alors, le mestre ment pour en dresser un portrait abusivement élogieux : le lecteur sait que Tywin a fait venir Shae dans son lit, la même prostituée qui avait été l’amante de son fils Tyrion. Le lecteur sait aussi qu’ils n’ont pas fait que discuter. Contrairement à ce que dit Pycelle, il arrive bien à Tywin Lannister de « banqueter les restes d’autrui ». Le témoignage du Grand Mestre est superficiel, et se limite aux apparences, aux mensonges que renvoie Tywin. Il admet lui-même ne pas connaître « l’homme sous l’armure », contrairement à sa cousine Joanna :
« Seule lady Joanna connaît l’homme sous l’armure, écrivit le Grand Mestre Pycelle à la Citadelle, et tous les sourires de Tywin sont pour elle et pour elle seule. Je jure l’avoir même vue le faire rire, non pas en une, mais en trois occasions distinctes ! »
TWOIAF, Le règne des Dragons : Aerys II.
Partant de là, on peut sérieusement s’interroger. Tywin, dans son aveuglement amoureux pour Joanna aurait-il pu fermer les yeux ? Était-il seulement au courant de ses frasques avec Aerys ? Après tout, seules des rumeurs ont fuité, ce n’est pas comme si Joanna s’était affiché en maîtresse officielle à la cour …
Quoi qu’il en soit, il semble effectivement qu’Aerys se soit montré très déluré avec l’épouse, lors du mariage de Joanna et Tywin en 263.
Des rapports fiables content cependant que le roi Aerys se livra à des privautés démesurées sur la personne de lady Joanna à la cérémonie du coucher, au déplaisir de Tywin. Peu de temps après, la reine Rhaella congédia Joanna Lannister de son service. Aucune raison ne fut jamais donnée, mais lady Joanna rentra aussitôt à Castral Roc et ne visita plus Port-Réal que rarement.
TWOIAF, Le règne des Dragons : Aerys II.
Et le texte nous révèle que ce n’était ni la première, ni la dernière fois.
Si [la reine Rhaella] détournait les yeux de la plupart des infidélités du roi, la reine n’appréciait pas de le voir « faire de mes dames ses catins ». (Joanna Lannister ne fut ni la première, ni la dernière à être subitement renvoyée du service de Sa Grâce.)
TWOIAF, Le règne des Dragons : Aerys II.
L’attirance d’Aerys pour Joanna est confirmée par un témoin de première main : ser Barristan Selmy de la Garde Royale, qui a été au plus proche de la famille royale durant les années de règne d’Aerys II :
« Et mon père ? Y avait-il une femme qu’il aimait plus que sa reine ? »
Ser Barristan parut mal à l’aise sur sa selle. « Aimait… Aimait, non. Peut-être le mot voulait conviendrait-il mieux, mais… ce n’étaient que ragots de cuisine, des rumeurs de lavandières et de garçons d’écurie…
— Je veux savoir. Je n’ai jamais connu mon père. Je veux tout savoir de lui. Le bon et le… reste.
— Si vous l’ordonnez. » Le chevalier blanc choisit ses mots avec soin. « Le prince Aerys… Dans sa jeunesse, il s’était entiché d’une certaine dame de Castral Roc, cousine de Tywin Lannister. Lorsque Tywin et elle se sont mariés, votre père a abusé du vin au banquet de noces et on l’a entendu clamer que c’était grande pitié que le droit du seigneur à la première nuit ait été aboli. Plaisanterie d’après boire, rien de plus, mais Tywin Lannister n’était pas homme à oublier de telles paroles, ni les… les libertés prises par votre père au moment du coucher. » Son visage s’empourpra. « J’en ai trop dit, Votre Grâce. Je…
Joanna vit désormais éloignée d’Aerys. En 266, elle met au monde deux jumeaux (Cersei et Jaime), sans qu’Aerys puisse apparemment être mis en cause dans leur naissance. Celle-ci sert tout de même de prétextes pour quelques allusions :
« Il semble que j’aie épousé celle qu’il ne fallait pas », aurait dit Sa Grâce, quand on l’informa de [la naissance de Cersei et Jaime]. Néanmoins, il envoya à chaque enfant son poids en or en présent et ordonna à Tywin de les amener à la cour quand ils seraient d’âge à voyager. « Et amenez aussi leur mère, car voilà trop longtemps que je n’ai vu ce beau visage », insista-t-il.
TWOIAF, Le règne des Dragons : Aerys II.
L’année suivante, à la mort de lord Tytos Lannister, Tywin devient seigneur du Roc et rentre à Castral Roc. Le roi saisit l’occasion pour passer presque toute l’année à Castral Roc avec les Lannister et la moitié de sa cour. Il refuse cependant d’emmener Rhaella avec lui, soit disant parce qu’elle est enceinte, mais peut-être y a-t-il eu une autre raison ? Ce n’est qu’en revenant de Castral Roc qu’Aerys commence à brimer Tywin, à le rabaisser et à ne plus l’écouter. Les relations entre la Main et le roi deviennent se tendent de plus en plus et Aerys ne se prive pas de quelques allusions fines.
Il fait pire encore en 272, lorsque Joanna amène Cersei et Jaime à Port-Réal.
Le roi (en grand état d’ébriété) lui demanda si leur donner la tétée avait « abîmé vos seins, qui étaient tellement hauts et arrogants ». La question amusa beaucoup les rivaux de lord Tywin, qui aimaient toujours voir la Main abaissée ou moquée, mais lady Joanna en fut humiliée.
TWOIAF, Le règne des Dragons : Aerys II.
Suite à l’incident en 272, Tywin veut démissionner de la charge de Main du Roi … mais inexplicablement, Aerys refuse sa démission. Sont-ce les prémices de la paranoïa qui lui font craindre sa Main ? Quelqu’un l’a-t-il convaincu ?
Quoi qu’il en soit, Tyrion naît en 273, ce qui permet de supposer que sa conception aurait pu avoir lieu à Port-Réal en 272 pendant la visite de Joanna et des jumeaux … que ce soit avec Tywin ou avec Aerys (ou les deux1). On n’en sait pas plus, et on ne peut pas trancher à ce sujet pour le moment. L’imminente rencontre entre Barristan et Tyrion sera peut-être l’occasion de revenir sur les rapports conflictuels du trio Aerys, Joanna et Tywin.
↑Et l’intérêt scénaristique/littéraire ?
Au final, toute la question est là ! Le Trône de Fer est une saga littéraire abordant de très nombreux thèmes, dont notamment celui de la famille, des ancêtres et de l’héritage que les personnages doivent porter ou qu’ils transmettront. Tyrion lui-même le résume très justement avant le duel Oberyn-Gregor :
Tout remonte et n’arrête de remonter à nos pères et mères et aux leurs, avant. Nous sommes des fantoches dansant au bout des ficelles de ceux qui nous ont précédés, et un jour viendra où nos propres enfants prendront à leur tour nos ficelles et danseront à notre place au bout.
Les personnages se définissent énormément à travers leur famille dans ASOIAF, et en particulier les Lannister, famille qui entre toute, entretient en interne sa mythologie de prestiges et d’orgueils, et donne à l’extérieur une image d’ambition, de fourberie et de cynisme. Malgré lui, Tyrion est porteur de cet héritage, tout autant que son frère ou sa sœur. Sa confrontation avec Sol dans l’intégrale 5 nous montre d’ailleurs parfaitement le décalage qui existe entre un Tyrion, né et élevé dans une famille noble, bouffi par la fierté, et une naine, née dans une famille de nains baladins, qui se sont appropriés la curiosité et les rires que leur valent leur condition et qui s’en servent pour survivre dans un monde où tout leur est hostile.
Pourquoi ne pouviez-vous pas venir jouter avec nous, comme le roi le demandait ? Vous n’auriez pas été blessé. Qu’est-ce que cela aurait coûté à Votre Seigneurie de grimper sur notre chien et de rompre une lance pour satisfaire l’enfant ? Il s’agissait juste de s’amuser un peu. Ils auraient ri de vous, voilà tout.
— Ils auraient ri de moi », dit Tyrion. Et je les ai fait rire de Joff, à la place. Fort habile manœuvre, n’est-ce pas ?
Il ressort de leur confrontation que Tyrion a bel et bien appris à se conduire en Lannister et non en nain :
Il ne faut pas vous moquer de [Jorah Mormont]. Vous ne savez donc rien ? Il ne faut pas parler de la sorte à une grande personne. Elles peuvent vous faire du mal. Ser Jorah aurait pu vous jeter à la mer. Les matelots auraient ri en vous regardant vous noyer. Il faut être prudent avec les grands. Avec eux, soyez jovial, joueur, faites-les sourire tout le temps, faites-les rire, disait toujours mon père. Votre père ne vous a-t-il jamais appris à vous comporter avec les grands ?
— Mon père les traitait de petites gens, répliqua Tyrion, et il n’était pas ce qu’on pourrait qualifier d’homme jovial. […] Cependant, je conçois votre argument. J’ai beaucoup à apprendre sur la condition de nain.
Fier comme tous les Lannister, Tyrion ne supporte pas les rires que lui valent les activités de baladins auxquelles il est réduit dans l’intégrale 5, et fait sans cesse référence à ce que son père penserait s’il le voyait.
Quand les rires commencèrent, le rêve s’évanouit. Il n’était pas un champion, rien qu’un nain à califourchon sur un cochon, une perche à la main, exécutant des cabrioles pour amuser quelques marins impatients et imbibés de tafia dans l’espoir de les amadouer. Quelque part aux enfers, son père bouillait de colère et Joffrey ricanait. Tyrion sentait leurs yeux morts et froids qui observaient cette farce de baladins, avec autant d’avidité que l’équipage du Selaesori Qhoran.
Même à un moment aussi incongru que lors qu’il est vendu comme esclave aux pieds de Meereen, Tyrion ne peut s’empêcher de penser à Tywin et d’adopter son point de vue :
Mon père disait toujours qu’un Lannister valait dix fois plus que n’importe quel homme ordinaire.
Tyrion a beau avoir coupé ses liens avec la maison Lannister et être devenu leur ennemi depuis l’intégrale 3, il porte toujours l’héritage de cette famille et aura visiblement bien du mal à s’en affranchir. Définir la paternité de Tyrion est tout sauf anodin. C’est inscrire le personnage dans une histoire familiale, lui attribuer un héritage, qui permet de donner un certain sens à son histoire littéraire. Si Tyrion porte par sa mère et par son éducation au moins l’héritage des Lannister, la question de savoir qui est réellement son père permettrait soit de confirmer que son histoire s’attache essentiellement à celle de la famille Lannister, soit de la rattacher à l’histoire de la famille Targaryen. La relation de Tyrion avec Tywin, son père présumé, est un élément important des chapitres de Tyrion, définissant profondément les personnages et le récit de la saga. L’évolution de cette relation amène Tyrion à commettre un des crimes les plus impensables qui soit : le parricide, le meurtre de celui qu’il considère comme son père. En fonction de qui est le père de Tyrion, les enjeux de sa trame narrative sont bouleversés.
Si Tyrion est bien le fils d’Aerys, on appréciera la justice immanente, l’ironie du sort entre la mort d’Aerys et celle de Tywin : Jaime, fils légitime de Tywin Lannister, a tué Aerys ; Tyrion, fils illégitime d’Aerys, a vengé son père de la trahison de Tywin et a puni également Jaime. De plus, cet élément apporteraient une explication supplémentaire à d’autres élément de la saga : la haine que Tywin vouait à Tyrion et les doutes qu’il entretenait à son égard avaient une justification fondée et rationnelle. Le retournement de Tywin à la fin de la rébellion de Robert permet à celui-ci de placer opportunément sa famille dans le camp des vainqueur tout en se vengeant des divers affronts qu’Aerys a fait subir à la famille Lannister au cours des années passées. Cela dit, ces événements s’expliquent même sans la paternité d’Aerys sur Tyrion. Par ailleurs, cette ascendance surprise permettrait peut-être dans le futur à Tyrion de se libérer du jugement de Tywin qui l’obsède et d’obtenir le dragon dont il a tant rêvé enfant : trois têtes a le dragon, et on peut relever des similitudes troublantes entre Jon Snow, Daenerys et Tyrion. Tous les trois entraîne la mort de leurs mères respectives en naissant, tous les trois ont une enfance relativement compliquée et malheureuse.
Si en revanche, Tyrion est bien le fils de Tywin … Bon, déjà, on évitera l’écueil de la répétitivité du « Targaryen-caché » (entre Jon Snow et le Pseudo-Aegon, ça commence déjà à en faire beaucoup !) Et surtout, la relation Tywin-Tyrion garderait tout son intérêt : Tyrion a bel et bien commis un parricide, acte monstrueux par nature dans cet univers ; il est donc un kinslayer ( « tueur des siens » ) et si on en croit le dicton populaire, « nul n’est aussi maudit que le kinslayer » … Toutefois, si cet acte peut paraître monstrueux aux contemporains de Tyrion qui le jugent sans savoir quelles étaient ses relations avec Tywin, le lecteur lui peut se permettre d’avoir un avis plus nuancé, ayant suivi le parcours de Tyrion d’AGOT à ASOS et s’étant parfois approprié son antipathie pour Tywin. L’histoire de Tywin et de Tyrion nous pousse à nous interroger : à la place de Tyrion, aurions-nous agi différemment ? Face au mépris, à la tyrannie et à la méchanceté de ce père qui n’en a que le nom, le meurtre était-il une forme de catharsis nécessaire ?
George R.R. Martin est tout à fait conscient de l’existence de cette théorie, et il s’en amuse, semant des indices de ci, de là (et de plus en plus dans les récents livres), laissant la porte grande ouverte à l’imagination et à l’interprétation de ses fans. En interview, il ne cesse de répéter qu’il écrit avant tout pour que les gens réfléchissent et se posent des questions. Le doute autour de Tyrion Targaryen fait sans doute parti de ces mystères qu’il a décidé d’élaborer pour que ces lecteurs se questionnent, et peut-être n’a-t-il prévu en définitive de ne jamais y apporter de réponse ? A moins qu’au contraire, il ait déjà prévue une trame pour nous révéler une vérité, quelle qu’elle soit ?
_ _ _ _ _ _ _
Et vous, quel est votre avis sur ce « Tyrion Targaryen » ? Venez en discuter sur le forum
- 1 Oui, parce qu’il faut vous dire … Certains sont même allés plus loin que le simple « Tyrion Targaryen » … ^^ Une autre théorie, dérivée de celle-ci, suppose que Tyrion est le fruit une double paternité, une « chimère » née d’une double fécondation. Il aurait donc deux pères : Aerys ET Tywin. Si la naissance de chimère est assez rare chez les humains, cette possibilité est envisageable même dans le monde réel, donc sans doute aussi à Westeros et ce ne serait pas la première fois que la saga aborde la question de l’hybridation, notamment quand il s’agit des Valyriens ou de leurs descendants Targaryen.
Yunyuns
Merci pour cet exposé tout à fait exhaustif.
Mon problème avec cette théorie c’est que je ne vois pas pourquoi ou comment Tywin aurait laissé Tyrion vivre plus de 3 secondes s’il avait eu le moindre doute.
Mais comme dit en introduction c’est une théorie qui divise et dont on n’aura peut-être jamais le fin mot de l’histoire.
Guillian
Merci pour la présentation de cette théorie que je ne connaissait pas.
Pour appuyer cette théorie j ajouterai un détail : la couleur des trois dragons, le noir pour daenerys, le blanc pour Jon (white wolf / white dragon) et le vert pour tyrion et son œil lannister.
Eridan
Merci pour ton retour.
La théorie la plus « populaire » à propos de la répartition des dragons les associent à leur dragonnier moins par la couleur que par le nom :
Drogon le noir évoque Drogo, c’est donc logiquement le dragon de Daenerys ;
Rhaegal le vert évoque Rhaegar … pour cette raison, il semble prédisposé à Jon, qui pourrait bien être le fils de Rhaegar ;
Viserion le crème et or évoque Viserys, et là pour le coup, ça devient plus compliqué ^^
Certains cherchent donc un personnage dont le prénom se termine comme Viserion : Tyrion, FAegon ou Euron, ou encore Victarion. 😉
gonju
Premiere fois que je post sur le forum, et mon message d’1 heure s’efface.Et celui que je ré-ecrit derriere aussi. Magique.
Je reponds de nouveau mais dans les grandes lignes.
Tyrion serait un heritier Targaryen ET Lannister. Tywin fait tuer tout les Heritiers legitimes d’Aerys pendant la revolution, ce qui augment la valeur de Tyrion.
Tywin protege Tyrion en tant que Lannister, mais nie ses incroyables capacités et l’eloigne du pouvoir au sein de la famille en tant que Targaryen.
Il deteste d’autant plus les frasques de Tyrion qu’elles lui rappellent celle du roi fou, son vrai pere, qui a en plus humilié les Lannister sous alcool, et traiter sa femme, et la mere de Tyrion, comme une de ses catins.
Ce qui expliquerait aussi la violence avec laquelle il mat un terme au premier mariage de Tyrion. Il ne le veut ni trop pres, ni trop loin du trône, et surtout diponible pour ses machinations.
Sa relation avec Tyrion est d’autant plu conflictuelle qu’il ne peut s’empêcher de voir qu’il est son « enfant » le plus talentueux et celui qui lui ressemble le plus.
Voila quelques explications plausibles je pense.
gonju
Et desolé pour les fautes, le triple post m’a fatigué 😀
La patate tartinée
Il me semblait que la malformations des enfants morts-nés de Maegor le Cruel était le fait de Tyanna de la Tour qui avait confessé sous la torture qu’elle avait empoisoné les trois Épouses Noirs pour que leur enfants est ces problèmes.
Bombur
C’est une théorie que je trouve assez élégante et relativement probable, en tout cas comparée au tout-venant, mais absolument pas séduisante. Tout le contraire, en fait. En effet, sa relation compliquée avec son père représente une énorme part du personnage de Tyrion, des causes de ses conflits antérieurs. En faire un fils d’Aerys serait définitivement une échappatoire trop facile et décevante. Et dans le sens contraire, c’est presque pire encore : cela détruirait complètement toute la savoureuse ironie résidant dans le fait que Tywin, détestant son dernier-né pour les différentes raisons citées dans l’article, ne s’aperçoit pas (ou refuse de voir) qu’il est celui de ses enfants qui le ressemble le plus en esprit, le meilleur héritier qu’il ait et, malgré son nanisme, celui le plus à même d’apporter gloire et succès à la maison Lannistre après sa mort.
Bref, quel énorme double-gâchis si elle devait se révéler vraie !
Bombur
*Intérieurs, les conflits, pardon.